SARS-CoV-2, bientôt 5000 mutations, un danger ? Portait du virus réalisé au zoom épistémologique
Prologue
Faut-il s’inquiéter des mutations ? Réponse à la fin de l’article
Pour la nouvelle science évoquée en §8, quelques pistes ici
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/book/10.1002/9781119452874
1) 360° sur le Covid-19
Je vais tenter de zoomer depuis la maladie vers le virus et ses mutations et inversement. Pour étudier le Covid-19, trois sciences sont nécessaires, la médecine qui établit les signes, les pronostics et le tableau clinique, c’est le domaine spécialisé des infectiologues. L’épidémiologie qui étudie la propagation du virus d’un individu à l’autre, sur un territoire ou dans le monde si c’est une c’est une pandémie et c’en est une. Et enfin la virologie qui étudie le virus. La virologie est elle-même scindée en plusieurs spécialités. La génomique étudie les séquences, la biologie moléculaire étudie la structure du virus, la biologie cellulaire étudie le devenir du virus dans la cellule, son entrée, sa réplication, sa sortie. La médecine et l’épidémiologie sont des sciences du macroscope, la virologie est une science du mésoscope. Le manque de concertation entre ces différentes disciplines, lié à la spécialisation, a semble-t-il affaibli la réaction des scientifiques. Les spécialistes n’auraient pas retenu les leçons du SRAS de 2003. Les professionnels dans ces domaines se sont lancés dans la bataille en ordre dispersé comme l’indique ce papier synthétique (Yuen et al. Cell Biosci, 10, 40, 2020)
Le Covid-19 a un tableau clinique assez inédit et a surpris les cliniciens chinois. Cette maladie peut s’avérer asymptomatique, passer au stade 1 du banal rhume, puis évoluer vers un stade 2 autrement plus sévère, comparable en intensité à une violente grippe faisant du yoyo ou une forme sévère de mononucléose infectieuse mais avec un spectre clinique axé autour des affections respiratoires. Les poumons sont touchés et c’est une pneumonie. Avec une fièvre pas forcément élevée. Ensuite, le stade trois se traduit pas une extrême fatigue et une détresse respiratoire, parfois associée à un effondrement de plusieurs fonctions physiologiques. C’est ce stade qui est comparable au SRAS de 2003 et qui a justifié l’appellation du virus, nommé 2019-nCoV, puis SARS-CoV-2. Ce virus a une évolution assez atypique, chez nombre de patients, il fait du yoyo, contrairement au classique d’une grippe qui va sano puis crescendo et redescend piano. Depuis, une série de données cliniques ont compliqué l’affaire. Atteintes cérébrales, dermatoses, anosmie, agueusie, orages de cytokines et surtout influence du microbiote. Ce détail a toute son importance car il brouille complètement les pistes, expliquant pour une grande part la différence d’impact du virus sur les patients. Il est vain de chercher si une mutation rend la souche plus agressive. Peu d’équipes s’y sont aventurées et lorsqu’elles ont publié, elles ont été sèchement recadrées.
Pour résumer, SARS-CoV-2, le virusse qui joue aux montagnes russes, qui joue avec plusieurs coups d’avance comme Vladimir Poutine et qui joue à la roulette russe avec les gens rencontrés sur son passage.
La cinétique de l’affection a surpris tous les médecins comme en atteste ce témoignage : « quand on a la grippe, on est au fond de son lit pendant quelques jours et après on va globalement de mieux en mieux. Là, les malades vont mieux un jour, le lendemain à nouveau mal. C’est très surprenant. En 25 ans d’exercice, je n’ai jamais vu ça » (Marianne Pauti, médecin généraliste à Paris). Les patients confrontés à ce stade de la maladie sont déconcertés et ont l’impression de ne pas voir le bout du tunnel. De plus, l’entrée dans la maladie est progressive, contrairement à une bonne grippe qui vous cloue au lit rapidement et vous fiche la paix quelques jours après si vous n’avez pas de fragilité. Pour l’instant, aucune donnée génomique, ni moléculaire, ne permet d’expliquer ce phénomène. Quoique, il y en aurait une, c’est que le SARS-CoV-2 comme son cousin le SRAS de 2003, disposerait d’une stratégie informationnelle permettant de déjouer les défenses immunitaire et de perturber les réponses inflammatoires et surtout, possède comme clé d’entrée une même protéine S, pour spike. Le génome du coronavirus est deux fois et demi celui de la grippe. Il faut bien que ces informations servent à quelque chose (La nature ne fait rien en vain, Aristote)
Le second point important concerne l’épidémiologie, c’est la rapidité de propagation et un mode relativement connu (la présence de foyers – clusters) avec une énigme, celle des supercontaminateurs. Ce virus a pour principe l’allumette, le foyer et la forêt. Et cette forêt, c’est la grande ville, New-York par exemple et sa forêt de gratte-ciels, Paris, Milan, Londres… Le SARS-CoV-2 produit deux cinétiques atypiques, celle de la progression de la maladie chez les patients ayant attrapé le virus et celle de la progression de l’épidémie, extrêmement rapide et intense, surtout dans les zones fortement urbanisées. A l’image d’une forêt complètement sèche dans laquelle on jette une allumette. Pour l’instant on ne sait pas quel est le lien entre la « structure » du virus et ses conséquences cliniques et épidémiques. Ce qui n’empêche pas de réfléchir à cette question.
2) Macroscope et mésoscope, l’Homme et le virus
Les données cliniques et épidémiologiques relèvent des sciences macroscopiques. Les études sur le virus relèvent des sciences « nanoscopiques ou mésoscopiques ». Le SRAS-CoV-2 possède un diamètre respectable de 125 nanomètres. Ce qui représente grosso modo un millier d’atomes mis bout à bout. Le mésoscope couvre des objets entre quelques nanomètres et la taille d’une bactérie ou d’une cellule. Le lien causal entre le mésoscope et le macroscope n’est connu que de manière lacunaire. C’est une question de systémique qui n’a pas été résolue au siècle dernier, ni actuellement. Laissons cela pour l’avenir. La virologie est promise à la biosémantique, nouvelle science à peine esquissée (voir Dugué, chap. 7 et 11, Temps émergences et communications, Iste, 2017)
Le nombre de virus circulant est colossal. On les trouve dans les cellules hôtes, bactéries, cellules eucaryotes, végétaux, animaux. Mais aussi sur les interfaces solide-liquide et air. Les virus pathogènes sont détectés une fois qu’ils ont commencé leur œuvre du Cronos. Dans l’extrême majorité des cas, il est impossible de déduire la virulence d’un agent à partir de sa structure ou sa séquence génomique. La séquence des expériences se passe en général dans un seul sens. Elle commence par une observation de cas groupés ou non présentant un type clinique particulier, formant une « saillance », un ensemble de signes « anormaux », autrement dit une sorte d’anomalie qui n’entre pas dans les cadres connus. C’est ce qui s’est passé pour le SRAS en 2002 et en 2009 à Mexico. Dans ce genre de situation, des prélèvements sont effectués et l’on voit s’il y a un nouvel agent pathogène ou alors si c’est une présence fortuite d’une bactérie ou d’un virus déjà répertorié dans les bases de données. En 2009, le nouveau virus H1N1 était le résultat d’un réassortiment entre trois virus grippaux, humain, aviaire, porcin. Cette combinaison a affolé les épidémiologistes alors que les études épidémiologiques menées les mois suivants ont fini par établir que ce virus n’était pas plus agressif que d’autres ayant circulé les années précédentes.
La découverte du SARS-CoV-2 ne répond pas tout à fait au schéma du SRAS-2002, ni à celui du H1N1. L’alerte a été donnée par le Dr Li depuis décédé et devenu héros populaire. Les Chinois sont en alerte SRAS depuis 2003 et font régulièrement des prélèvements assortis d’analyses génomiques pour s’assurer que le virus ne revient pas. Doué d’un sens aigu de veille scientifique, « le 30 décembre 2019, Li Wenliang prend connaissance d’un rapport concernant un patient qui montre un résultat positif avec un intervalle de confiance élevé pour les tests de dépistage du coronavirus du SRAS. À 17 h 43, il partage ses soupçons dans une conversation privée sur la messagerie chinoise WeChat avec ses collègues diplômés de l’école de médecine. Il ajoute qu’il vient de trouver 7 cas confirmés de pneumonie aigüe au marché de gros de fruits de mer de Huanan. Il publie également le rapport et le résultat de la tomodensitométrie d’un patient (qui confirme la noirceur du tableau en dévoilant les dégâts subis par les poumons). À 18 h 42 il précise qu’il pourrait s’agit d’infections dues à un coronavirus, mais dont la souche doit être typée car ce n’est pas celui du SRAS de 2003 » (Li, Wikipédia, texte révisé par mes soins)
A ce moment précis, il y eut un léger « retard » à l’allumage car les sept cas groupés laissaient penser à une transmission de l’animal vers l’homme. Alors qu’en réalité, comme cela sera établi rapidement, la transmission se fait d’homme à homme et si ces cas étaient groupés, c’est sans doute parce ces patients se sont trouvé en contact sur le marché et se sont contaminés. Le tableau clinique est devenu sombre et cela s’est confirmé pendant la première quinzaine du mois de janvier. La séquence du virus a été rapidement établie et partagée par un laboratoire de Wuhan le 12 janvier. L’équipe de Zhang, basée à Shanghai (Dans un labo fermé après le partage de séquence, sans doute parce que le pouvoir voulait s’arroger l’initiative de diffuser l’information pour montrer sa « bonne rectitude » auprès de l’OMS. L’Etat chinois est parfait et nous n’en doutons pas !), qui a séquencé pour la première fois le virus, a constaté des similitudes avec une série de corononavirus circulant chez les chauves-souris, ce qui laisse penser à une recombinaison et c’est ce que redoutent le plus les virologues, l’émergence d’un virus hybride mêlant des informations génétiques humaines et animales. Qui plus est, si ce virus se transmet d’homme à homme, ce n’est pas une très bonne nouvelle. La séquence du nouveau virus a été partagée dans le monde. Le lendemain, des virologues allemands publiaient un protocole pour réaliser un test PCR en se servant de cette séquence. Un test PCR n’utilise que quelques séquences géniques pour être efficace. Nul besoin d’utiliser la séquence complète. Autrement dit, pas besoin du texte de 20 pages, trois alinéas pris sur des pages significatives suffisent. Une semaine plus tard, la transmission interhumaine était confirmée. Et le test fut produit en série.
3) Mécanique et informique du virus
Le SARS-CoV-2, comme celui de la grippe, est un virus à ARN mais il est non segmenté. Autrement dit, le texte du coronavirus est à l’image d’un livre relié alors que celui de la grippe est composé de feuillets. Pour faire simple, le virus est composé d’une capside, c’est en quelque sorte l’emballage qui permet au virus d’être « livré » dans la cellule, reproduit et « livré » à nouveau dans d’autres cellules par le biais des vésicules cytoplasmiques. Dans cette enveloppe est contenu le génome du virus qui contient deux éléments essentiel. (ii) L’ARN polymérase ARN dépendante, autrement dit, l’imprimante en 1D permettant de copier en multiples exemplaires le texte génomique. (ii) Tous les gènes permettant de produire les protéines de la capside, principalement S, la protéine qui permet d’entrer dans la cellule, E, l’enveloppe et N pour nucléocapside. De manière imagée, E c’est l’emballage qui permet au virus de se glisser dans la cellule, tel un colis qui prend la forme idéale pour entrer dans une boîte aux lettrex, S c’est l’adresse ou le digicode qui permet d’entrer dans la cellule et N une sorte de colle qui tient les éléments ensemble. Les protéines du virus sont produites par l’appareil de traduction (ribosome) de la cellule hôte. Le virus n’a qu’une imprimante 1D servant à reproduire son texte et doit utiliser l’imprimante 3D de la cellule pour fabriquer toutes les pièces dont il a besoin, y compris l’imprimante 1D. Une fois produites, les protéines virales s’assemblent telle une figure de lego dont les briques s’emboitent spontanément permettent d’empaqueter le génome viral.
Le SARS-CoV-2 a deux spécificités partagées avec les autres coronavirus. La longueur de son génome, quelque 30 000 bases, deux fois et demi celui des virus grippaux. Et une transcription imbriquée qui permet au génome de coder avec un nombre assez restreint de nucléotides l’information nécessaire à la production des pièces du virus. Le coronavirus, comme tous les virus à ARN, est une « particule » qui contient un message codé, un texte écrit en langage génétique et qui cherche à se répliquer et diffuser dans toutes les cellules de l’organisme. C’est donc un agent communicant dont ne sait au fond pas grand-chose si ce n’est qu’il se réplique dans une cellule, se disperse dans d’autres cellules et finit par affoler le système de défense immunitaire tout en faisant des dégâts sur les cellules qui l’hébergent. On notera enfin un détail sans présumer son importance. La protéine S qui est la clé d’entrée des deux SARS-CoV est gigantesque, dépassant les 1000 acides aminés. Pour comparer, les deux sous-unités de l’hémoglobine pèsent quelque 150 acides aminés. La séquence du SARS-CoV-2 code pour 1282 acides aminés, ce qui en fait la troisième séquence génique par la taille, après ORF1a et ORF1b où « logent » les informations pour coder les protéines fabricant l’appareil de réplication (imprimante 1D).
Le virus joue sur deux règles. Celles de la (i) physique thermomécanique et celles de la (ii) transmission des informations dans un champ complexe, celui de la matière (phase) vivante. (i) La propagation du virus répond à une sorte mécanique du feu viral, avec l’allumette, le foyer et la forêt. Le virus est comme le pollen, dans l’air il est voué aux caprices du vent, de l’air, des postillons, des contacts, des surfaces. (ii) Une fois dans l’organisme, ce n’est plus la mécanique qui décrit le devenir du virus, c’est la biosémantique, la science qui explique(ra) les processus sémantiques d’interprétation, de diffusion et de réplication des informations dans le vivant. Si ce virus a posé tant de problèmes, c’est parce qu’il joue dans une séquence chronologique inédite déjouant notre maîtrise du temps, mettant à mal le projet universel de Sapiens dans son aboutissement occidental. La signification philosophique est plus profonde qu’on ne le pense et ne sera pas abordée ici. Tout ce que l’on sait, c’est que ce virus est comme un feu se propageant rapidement, produisant une vague incontrôlable, d’autant plus qu’en infectant les humains, il prend son temps, s’insinue dans les cellules puis on ne sait pas trop pourquoi (le microbiote ?), épargne les uns, pénètre dans les poumons chez d’autres et lance parfois une offensive violente, menant à l’issue tragique, souvent avec un orage de cytokines.
L’information est le nerf de la guerre. Pour autant qu’on puisse penser que le virus mène une guerre de l’information. Il ne fait que se répliquer mais en prenant ses aises. Il est un messager, il est du genre champ alors que les hôtes sont du genre source, réception et émission et à l’intérieur, procédés pour gérer l’information en étant parfois submergé. La virulence du SARS-CoV-2 repose sur sa séquence génomique et les protéines qu’elle code, mais on ne sait pas pourquoi cet ensemble produit des effets si sidérants. On sait néanmoins analyser les séquences des virus récupérés sur les porteurs ce qui permet de faire des hypothèses.
L’étude de la réplication d’un virus, pas plus in silico qu’in vitro, ne laisse que peu d’indices permettant de prévoir ce que le virus fera dans l’organisme. Les virologues désignent par protéines structurales les protéines de la capside analysées en étudiant le virus in silico et in vitro. Ces protéines sont codées par le dernier tiers du génome. Les deux premiers tiers (ORF 1a et 1b) codent pour ces protéines non structurales nsp (non structural protein). Qui ont un rôle important dans la réplication. Ces deux tiers du génome codent pour la polymérase mais aussi pour autres protéines dont le rôle exact est en partie connu, notamment la nsp3. Par ailleurs, on ne sait pas exactement comment ces protéines ont des fonctionnalités spéciales pouvant expliquer comment ce virus déjoue les barrières immunitaires et se propage avec une efficacité étonnante dans l’organisme hôte, tout en persistant durablement, jusqu’à 20 jours. Le HCoV-229-E qui revient chaque année causer des rhumes contient 16 nsp et c’est le cas aussi pour le SARS-CoV-2. La nsp3 ne code pas pour la polymérase mais pour une protéase dont le rôle est important dans le cycle viral. Sa taille est gigantesque, presque 2000 acides aminés. C’est la plus grosse protéine de l’appareil réplicatif. C’est une protéase, sorte de fraiseuse moléculaire. Elle permet en quelque sorte d’usiner les pièces maîtresses dont l’assemblage forme l’imprimante 1D (polymérase) qui copie le génome en autant d’exemplaires que nécessaire (endonucléase, exonucléase…figurent parmi les pièces du jeu réplicatif) Les 16 nsp sont impliquées dans la construction de l’imprimante 1D ainsi que d’autres fonctionnalités. Ce virus est d’une complexité inouïe. Une nanomécanique infernale.
4) Peut-on établir un lien entre un type viral et son agressivité ?
Le virus est suivi par deux radars, celui des autorités sanitaires, auquel cas on utilise un des nombreux tests PCR disponibles, et celui des virologues, auquel cas il faut obtenir la séquence complexe du génome, ce qui d’une toute autre difficulté et ne peut se faire qu’avec des outils très sophistiqués. Dans un papier publié le 3 mars, Tang et ses confrères annoncèrent que le SARS-CoV-2 avait divergé suite à une mutation précoce, conduisant à la diffusion d’une souche L agressive, transmissible avec rapidité et une souche S ancestrale et moins agressive. La souche L (ou plutôt le type) aurait diminué en « part de marché » suite aux mesures prises par les autorités. Cet article a vite été démenti par la communauté des virologues, notamment parce que la divergence porte uniquement sur deux mutations nucléotidiques dont une seule est non synonyme. Cette mutation concerne une séquence ouverte énigmatique, ORF8. Cette fois le zoom est au maximum de l’agrandissement. Il me reste encore un zoom, celui de la physique quantique mais il n’est pas encore opérationnel, le sera-t-il un jour ? Si c’est le cas, ce sera un angle à 720%
Les conclusions de Tang ont vite été « déminées » car elles ne tiennent pas la route. Une seule mutation n’explique pas la différence entre deux types viraux, et quand bien même ce serait vrai, le vérifier serait hors de portée et même inutile car le nombre de mutations portant sur un acide aminé a maintenant dépassé le millier en date du 28 mars et bientôt 3000. Déjà le 2 mars, 111 mutations d’acides aminés étaient répertoriées, lorsqu’Oscar MacLean et ses confrères du centre de virologie de Glasgow publièrent une cinglante réplique à l’adresse des résultats de Tang. Relier une mutation à des effets cliniques est une tâche pratiquement inaccessible en termes expérimentaux. En revanche, le séquençage des virus prélevés dans le monde donnent des indications précieuses aux virologues, par exemple sur la vitesse de mutation, inférieure à celle d’un virus grippal mais néanmoins deux fois celle d’un coronavirus courant. Cette vitesse de mutation est reliée à la vitesse de propagation du virus. Plus il se réplique, plus les probabilités de faire des erreurs est grande. L’ARN est beaucoup moins fidèle que l’ADN (qui de plus voit ses erreurs corrigées par les systèmes de réparation).
Alors que nous sommes début avril, un arbre phylogénique du SARS-CoV-2 a été établi et contient plus de 3000 descendants du type ancestral (le nombre réel est sans doute plus élevé). On trouve des embranchements avec un dénombrement des descendants pour chaque branche mais ces informations ne sont pas vraiment importantes du point de vue clinique. Parler de clades, groupe, types, sous-types, n’a pas vraiment d’utilité comme l’a confirmé par mail Oscar MacLean que j’ai interrogé sur ce point. En revanche, ces informations permettent un traçage de la propagation planétaire du virus ainsi que de remonter dans le temps en utilisant le modèle (controversé) de l’horloge moléculaire qui fonctionne pour un virus à ARN mais aussi à l’échelle de l’évolution pour l’ADN (on consultera sur ce sujet le livre de Motoo Kimura sur l’évolution neutraliste). L’horloge moléculaire concerne les informations génétiques ainsi que les protéines. En plus de l’arbre phylogénétique du virus, une recension des substitutions d’acides aminés est disponible sur la plate-forme Cov-GLUE qui complète utilement l’arbre phylogénétique publié sur nextstrain. 1255 substitutions étaient répertoriées le 28 mars. Le lendemain, nous en étions à 1335, puis 1444, 1539… et 1950 le 4 avril, soit une progression pratiquement linéaire, liée autant au virus qu’au nombre de séquençages réalisés et bientôt le chiffre de 3000 sera dépassé. Les mutations augmentent, ce qui est logique puisque le virus s’est répandu et donc le nombre d’erreurs augmente mais pas forcément en proportion avec le nombre de patients infectés. Toutes les séquences géniques sont affectées (S, N, M, E et les 16 nsp). Si une mutation est repérée, c’est que le virus est en bon ordre de marche. Une mutation qui « déglingue » le cycle viral ne se verra pas. C’est le principe du darwinisme viral. Aucune étude ne peut corréler un type viral avec un tableau clinique indiquant une agressivité augmentée ou réduite. Rappelons que l’équipe chinoise qui s’est lancée dans ce genre de spéculation a vite été démentie. La plate-forme Cov-GLUE a enregistré la mutation en question : ORF8, L64S. C’est cette substitution qui fut à l’origine du papier controversé de Tang sur les types S et L. Si cette mutation a attiré le regard des scientifiques, c’est parce qu’elle concerne la séquence ORF8 située à la fin du génome. Un « incident » sur OFR8 apparaissait déjà dans le SARS-CoV de 2003 mais d’une autre nature, une délétion de 29 acides aminés. Cette séquence ouverte intrigue les virologues. Son importante serait surévaluée selon MacLean. Pour ma part je suis sûr d’une chose, c’est que je n’en sais rien. Mais que les virologues se penchent sur cette question.
5) Questions sur l’émergence du virus et l’effet des mutations
« Une suppression de 29 nucléotides dans séquence de lecture ORF8 est le changement génétique le plus évident du coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-CoV) lors de son apparition chez l’homme. Malgré une étude intense, il n’est pas clair si la suppression reflète réellement l'adaptation à l'homme (…) La suppression de 29 nucléotides dans le SRAS-CoV est une mutation délétère acquise le long de la chaîne de transmission interhumaine expliquant peut-être l’émergence de ce nouveau virus en 2002. Ces résultats ont d'importantes implications pour l'évaluation rétrospective de la menace occasionnée par le SRAS. » (D. Mut, 2018)
Une délétion dans la séquence ORF8 aurait été impliquée dans l’émergence du virus ayant causé le SRAS en 2003. Les auteurs pensent que ce détail aurait une importance particulière dans la reconstitution de l’épidémie de 2003. Cette séquence est connue pour être l’une des plus instables dans le virus infectant les chauves-souris. La délétion de 29 nt remonterait lors de l’émergence d’une version transmissible d’homme à homme lors des premiers épisodes de l’épidémie. L’étude in vitro a montré que le cycle viral est 23 plus faible après cette délétion (ce qui est loin d’être une preuve pour le devenir in vivo du virus). De plus, nombre de délétions sur cette séquence auraient été observées lors de la première phase de la pandémie, quelque 400 nt sur et autour de OFR8. Néanmoins, le rôle de cette séquence n’est pas connu. En revanche, l’agressivité des deux virus SARS paraît dépendre de la protéine spécifique qui leur permet d’entrer dans les cellules, la protéine Spike, dont la cible est l’enzyme ACE2 (angiotensine converting enzyme II). De plus, une étude réalisée in silico montre qu’un quatre insertions dans le gène S différencient le SARS-2 du SARS-1.
Les SARS responsables des épidémies de 2003 et 2020 ont été comparés (S. Srinivasan, 2020). Les auteurs ont placé le projecteur sur les séquences conservées. Mais les différences les plus importantes concernent le domaine wNsp3 et le domaine S. Nsp3 est organisé en 6 sous-domaines, il code pour la protéase dont l’une des fonctionnalités est d’usiner les différentes pièces de la polymérase servant à répliquer le génome. De là à expliquer la différence entre les deux SARS, je ne ferai pas le pas. En revanche, le domaine S est plus intéressant. Les auteurs ont constaté la présence de quatre insertions spécifiques au SARS-CoV-2, absentes sur SARS-1. Ce qui signifie que le nouveau virus utilise d’autres codes. Ces quatre insertions sont absentes de coronavirus proches isolés de chauve-souris en 2015 et 2017 ; en revanche, un virus de chauve-souris isolé en 2013 contient ces quatre insertions. Le SARS-CoV-2 pourrait bien avoir « piqué » des codes déjà anciens. La partie de la protéine S ayant le plus muté est celle qui interagit avec le récepteur ACE2. Le nouveau virus utilise donc le même récepteur que l’ancien mais il semble disposer de nouveaux codes. Pour faire quoi ? Pour se faufiler dans les cellules sans doute, mais quelles cellules ?
6) Qu’en est-il de l’origine épidémique du virus ? La thèse de la contamination au marché de Wuhan ne colle pas. Elle est souvent reprise parce qu’elle est commode pour entretenir une hypothèse devenue mythe, la contamination par les animaux dans des conditions d’hygiène douteuse. Le virus a circulé bien avant, certainement en décembre. Il aurait été présent en septembre 2019 en Chine, mais c’est improbable car compte-tenu de la mécanique du feu virale on s’en serait aperçu. Des cas de Covid-19 ou y ressemblant auraient été notés en novembre en Italie et même en France mais sans un test viral, on ne peut rien conclure. Une bonne vingtaine de virus respiratoires circulent et certains causent des pathologies aussi sévères que le Covid-19. Si ces données appartiennent à l’histoire du SARS-CoV-2 alors il faudrait envisager une émergence en deux étapes, d’abord un virus sévère mais peu contagieux, genre SARS 1bis, puis une délétion ou une recombinaison conduisant au virus actuel dont l’horloge situe l’émergence entre début novembre et fin décembre. Peut-être les virologues italiens auront-ils des éléments nouveaux quand les dépouilles des patients suspects décédés en 2019 auront été exhumées.
La question de l’origine risque d’être sans réponse, ce qui n’empêche pas les hypothèses farfelues de fleurir, y compris chez les scientifiques. Une infectiologue a laissé entendre que le virus chinois circulait en septembre 2019. Des Italiens laissent entendre que le virus aurait été transmis depuis l’Allemagne. Ce qui est de bonne guerre. Nul n’ignore que la science est parfois contaminée par des considérations politiques. Quant à la presse, elle a répercuté la thèse des deux souches L et S alors qu’il ne s’agit que de types dont les descendants ont eux aussi muté, des centaines de fois. D’ici un mois, sans doute 5000 mutations d’acides aminés (soit entre 6 et 7000 bases mutées en incluant les mutations synonymes) dont l’effet global ne devrait pas impacter le tableau épidémiologique. Diminution ou augmentation de la virulence ? Peut-être mais pas de grande ampleur, et sans doute une lente atténuation une fois le virus acclimaté aux humains. Le virus reste « maître » de son jeu. Seules les données cliniques et épidémiologiques permettent d’évaluer la situation avec une recension des cas et une évaluation de la létalité. Et puis comme la thèse du microbiote se dessine, ce sont les bactéries bien plus que les mutations qui modulent la gravité du Covid-19.
7) Pour conclure sur le plan épidémiologique, nous ne sommes pas maîtres du destin. Le virus poursuivra sa course. Il finira peut-être par accumuler des mutations qui le rendront progressivement moins agressif. Il y a trop d’éléments qui échappent à la virologie, ne serait-ce que l’interaction du virus avec l’organisme, les bactéries, le système immunitaire. Le SARS-CoV-2 est issu d’une souche ancestrale et l’augmentation de son agressivité est moins probable que sa diminution. Le seul danger serait une recombinaison capable de générer un virus bien plus pathogène. Si tel était le cas, cela ne se verrait pas dans les analyses génomiques mais par le constat d’un cas groupé de patients présentant un profil clinique distinct de celui du Covid-19.
L’hypothèse retenue sera celle d’une stabilité ou une stabilisation de l’agressivité du SARS-CoV-2 allant dans le sens d’une convergence adaptative globale, accompagnée par un nombre très important de mutations, comme on l'observe pour d'autres virus circulant chaque année, corona ou autres. Si une différence d’agressivité se produit dans la réalité, plutôt dans le sens négatif, elle ne devrait pas se voir prochainement. Elle serait trop faible pour passer au-dessus des radars épidémiologiques. Et de plus, l’évolution des virus dépend de l’interaction avec l’hôte et nombre de zones d’ombre échappent encore à la science contemporaine.
8) Conclusion scientifique. Peut-être la nouvelle science qu’est la biosémantique, combinée à la mécanique quantique, pourra nous en dire plus. Je n’y crois guère à court terme mais rien n’est impossible. Nul n’aurait imaginé la mécanique quantique en 1890. Les mutations sont parfois expliquées en évoquant une stratégie virale visant à muter pour augmenter ses chances de survies et maximiser sa propagation. Ce qui laisse entendre une sorte de téléologie virale. En réalité, le virus n’est pas une espèce vivante darwinienne, c’est une particule du genre champ mais très complexe, autrement dit un quantum biosémantique qui optimise sa capacité à entrer dans les cellules et reproduire son génome. Elle est un instrument de communication dont on ne sait pas l’origine mais si le virus se réplique, c’est avec la complicité des cellules de l’hôte qui parfois, s’affolent quand elles reçoivent des signaux qu’elles ne peuvent pas maîtriser avec le système de défense immunitaire. Le virus joue sur une interaction entre deux niveaux, le nanoscope macromoléculaire et le mésoscope cellulaire. La bactérie joue face à face, mésoscope contre mésoscope.
Si sélection des virus il y a, c’est celle répondant au concept de darwinisme sémantique. Cela signifie que les mutations du virus ne visent pas une stratégie adaptative comme celles de l’ADN animal qui lui, participe aux mécanismes sélection naturelle découverts par Darwin. Le virus n’est qu’un agent communiquant qui, étant trop pressé, finit par bégayer. L’ARN polymérase est tellement rapide qu’elle fait souvent des erreurs. Mais au fond, nous ne savons pas quel est le rôle des virus. En revanche, on sait que les bactéries sont des régulateurs chimiques et que si certaines sont pathogènes, la plupart sont utiles à la vie, présentes dans le microbiote intestinal. Les virus sont détectés quand ils causent des pathologies mais quand ce n’est pas le cas, auraient-ils une utilité ou bien ne sont-ils que des communications parasites jouées par une Nature qui elle aussi, évolue avec des bégaiements.
Délétion SARS ORF8
Muth, D., Corman, V.M., Roth, H. et al. Attenuation of replication by a 29 nucleotide deletion in SARS-coronavirus acquired during the early stages of human-to-human transmission. Sci Rep 8, 15177 (2018). https://doi.org/10.1038/s41598-018-33487-8
Tang, souches L et S
Tang, On the origin and continuing evolution of SARS-CoV-2, National Science Review, nwaa036, https://doi.org/10.1093/nsr/nwaa036 Published : 03 March 2020
Réplique de MacLean
http://virological.org/t/response-to-on-the-origin-and-continuing-evolution-of-sars-cov-2/418
Etude in silico du génome
S. Srinivasan et al. Structural Genomics of SARS-CoV-2 Indicates Evolutionary Conserved Functional Regions of Viral Proteins. Viruses. Mar 25 ;12(4). pii : E360. doi : 10.3390/v12040360. 2020
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/32218151
Cov-Glue Mutations AA
http://cov-glue.cvr.gla.ac.uk/#/replacement
Nextstrain Arbre phylogénique
https://nextstrain.org/ncov/global
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