Sida, annonce d’une fausse « découverte majeure »
Plusieurs journaux ont annoncé, en reprenant les dépêches fournies par les agences, la découverte d’un « gène qui pourrait neutraliser le VIH ». Sans aller jusqu’au sensationnel, cette nouvelle est de nature à susciter de réels espoirs s’il s’agit d’une piste sérieuse pour vaincre le virus. Or, la science, notamment avec les thérapies géniques, nous a appris à rester prudent et ne pas tirer des plans sur la comète, surtout dans le cas des pathologies où la génétique est impliquée, avec sa complexité et ses réseaux de gènes en interaction.

L’annonce émane de deux scientifiques appartenant à des grands instituts de recherche américains et dont les équipes ont été à l’origine de ce qui vient d’être désigné comme une superbe avancée génératrice d’espoir. La science pose en fait en réel problème aux médias qui sont obligés de se contenter des informations émanant des scientifiques et donc de leur faire confiance. Certes, pratiquement tous les résultats sont publiés dans les revues spécialisées mais à moins d’être du sérail, un journaliste scientifique aura bien du mal à s’y retrouver pour sélectionner les découvertes importantes. Par ailleurs, les médias n’ont sans doute plus sous la main des journalistes assez pointus pour enquêter et se faire préciser la nature des travaux dans un laboratoire. D’où cette impression d’approximation et d’imprécision que l’on ressent en lisant la dépêche évoquant par anticipation la publication des résultats le 5 septembre dans la revue Science. En fait, il est naturel que les scientifiques fassent état de l’avancement de leurs travaux, pour informer les citoyens et surtout, justifier les milliards de dollars que les nations mettent sur la table pour avoir des percées dans le traitement des grands fléaux de santé publique. Soigner le Sida est une cause juste alors présenter comme majeure une découverte qui est mineure ne lèse pas la société. Seul le résultat final compte, autrement dit la guérison définitive de l’infection HIV, un horizon dont la ligne ne s’est pas rapprochée depuis 20 ans. On ne guérit pas du Sida mais on peut se soigner et vivre durablement avec le traitement actuel.
Et cette fameuse découverte du gène capable de neutraliser le VIH grâce à des anticorps ? Eh bien ce gène est connu depuis des années. Il s’agit d’Apobec-3, un gène faisant partie d’un amas sur le chromosome 22, ensemble codant pour des cytidine-désaminases, protéines impliquée dans l’édition des ARN. L’édition est l’un des mécanismes post-transcriptionnels les plus utilisés avec l’épissage. Imaginons un ARN comme une pièce de Racine. L’épissage consisterait à faire sauter quelques scènes alors que l’édition remplacerait un mot précis par un autre. C’est ce que fait le produit d’Apobec-3, désaminant la cytosine qui est alors lue comme uracile. Entre la transcription en ARN et la traduction en protéine, l’information a subit une légère modification. On imagine aisément que si une séquence d’ARN rétroviral traîne dans les parages et rencontre ce type d’enzyme, son devenir risque d’être perturbé avec une information pour le moins perturbée. Ce qu’on sait du gène Apobec-3, c’est qu’il intervient dans certains mécanismes antiviraux. On le soupçonne de perturber le « traffic » intracellulaire du HIV, tout comme le gène TRIM5 déjà connu des virologues.
Examinons la deuxième vedette de ce scénario antiviral, le gène Rfv3. Ce gène, connu depuis 30 ans, intervient dans l’infection des souris par un rétrovirus nommé Friend, non pas à cause de la série télévisée mais parce celle qui l’a découvert s’appelait Friend. Si on inocule ce virus à des souris, elles meurent au bout de deux mois, sauf celles qui possèdent un exemplaire de ce gène situé dans l’amas impliqué dans le système H2, autrement dit, celui qui détermine la configuration des anticorps. Ce qui permet de penser que Rfv3 permet la délivrance d’anticorps impliqués dans la réponse antivirale chez les souris résistantes.
Et maintenant le scénario final, la découverte annoncée dans la revue Science. Ce gène Rfv3 est encodé par Apobec-3 dont l’inactivation perturbe la réponse immunitaire de souris qui étaient résistantes grâce à Rfv3. De plus, les souris possédant ce gène mais sensibles à l’injection virale ont la propriété de « flinguer » l’intégrité d’Apobec-3 en perturbant son épissage. Il existe donc des interactions entre les produits de ces deux gènes. Les auteurs de l’article ont conclu à un effet protecteur du gène Apobec-3 via l’autre gène Rfv3 et une production ad hoc d’anticorps. Et extrapolent à une possible réponse face à HIV, virus différent de Friend infectant non pas la souris mais l’homme. Autant dire que cette extrapolation est bien hasardeuse si on imagine un mécanisme en cascade car Apobec-3 fonctionne au niveau de l’édition des ARN. Mais elle tient à peu près la route si on admet (avec optimisme) que le mécanisme de perturbation par édition de HIV puisse être complété par une réponse avec des anticorps. Ce qui est possible puisque le HIV « muté » ne passerait pas forcément au travers du système de surveillance immunitaire, un peu comme un terroriste ayant muté par une ajout d’un gun dans son veston. Une hypothèse passionnante qui si elle se confirme, constituera alors une authentique avancée.
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