Skype au ban de l’Education nationale pour rattraper nos retards ?
L’Education nationale vient d’interdire l’utilisation de Skype (téléphonie Internet gratuite) dans les écoles, les facultés et les centres de recherche. Comme le dit l’article de 01Net, c’est certainement "plus facile à dire qu’à faire" car les ingénieurs de Skype n’ont pas attendu cette mesure pour "emballer" leur protocole dans des paquets de données http très standards qui circulent très bien au milieu des milieux des pare-feux ("firewalls") et autres anti-virus qui truffent les meilleurs réseaux professionnels.
Donc, à moins d’une débauche de moyens technologiques qui dépasserait les budgets de notre Education nationale, les potaches et les profs qui veulent vraiment "skyper" vont pouvoir continuer.... D’ailleurs, sur le fond, quand on entend régulièrement les plaintes budgétaires de nos profs et chercheurs, on peut se demander pourquoi on ne leur permet pas, finalement, d’économiser au maximum sur leurs télécommunications ?
Cette mesure est prise pour endiguer l’espionnage industriel. Nos étudiants et chercheurs pourraient être écoutés dans les conversations "ultra secrètes" autour de leurs projets s’ils devenaient utilisateurs assidus de Skype ou d’autres logiciels basés sur les communications VoIP : l’Atelier va clairement dans ce sens et E. Deniaud fait même planer au-dessus de Skype le spectre du fameux système d’intelligence économique anglo-saxon Echelon ("officiellement reconnu" dans les années 1990).
Je vais donner un autre angle : la démarche de l’Education nationale apporte aussi - fortuitement mais bien à propos - sa contribution à la correction d’erreurs stratégiques.
En effet, des orientations approximatives de nos programmes de recherche nous ont fait manquer le virage des moteurs de recherche comme Google et celui des systèmes de communication P2P comme Skype.
L’Europe commence à reconnaître ces lacunes : en accordant toujours plus de crédit au projet Quaero (moteur de recherche) de J. Chirac, les Etats de la communauté européenne semblent admettre qu’il faut maintenant "mettre le turbo" dans ce domaine, sous peine de ne jamais combler le fossé créé par les trois grands dans la course au gigantisme de leur index central. Peut-être est-ce même déjà trop tard ? En effet, comment répliquer une infrastructure de la taille de celle de Google en partant maintenant de rien, ou presque ? ....
Nous aurions pourtant dû tirer les leçons "architecturales" du passé : dans les années 70, la DARPA américaine avait veillé, en créant - en pleine guerre froide - le réseau ARPANET (père de l’Internet), à lui donner une architecture fortement distribuée, résistant à de multiples pannes et à un éventuel morcellement complet. Aujourd’hui, l’Europe bénéficierait encore de cette architecture distribuée pour les couches "basses" si l’Internet devait être morcelé durablement lors d’un conflit global.
Mais cette résilience ne serait finalement que peu utile !
En effet, depuis les années 1990, nous (les Européens) avons laissé se développer d’une manière totalement centralisée - aux USA - les moteurs de recherche comme Google, Yahoo et MSN, et les systèmes de communication P2P comme Skype, AOL, MSN Messenger, Google Talk, etc. alors que ces deux fonctions représentent finalement le système nerveux vital, plaqué sur le squelette de l’Internet, que sont les liaisons de données au protocole TCP/IP de données. Récemment, on a même constaté que ce genre de systèmes était essentiel pour la gestion - par les individus directement concernés - des crises comme celles du 11 Septembre, du tsunami asiatique ou de la catastrophe en Louisiane.
Et dans l’entreprise, pourriez-vous aujourd’hui travailler efficacement - que vous soyez dans une administration ou dans une entreprise privée - sans accès à ce type d’outils modernes ? Moi, non !! En tous cas, nos entreprises ne pourraient clairement pas "tenir la route" face à des concurrents (ennemis ?) dotés de ces armes stratégiques pour la Société de l’information.
Notre prise de conscience collective et progressive autour de ces lacunes profondes ne peut être que catalysée par des évènements comme ceux-ci :
- le passage de ce fameux Skype, société luxembourgeoise, aux mains d’une société américaine comme EBay. Cette acquisition déplace ainsi clairement vers l’autre côté de l’Atlantique le centre de gravité de cette immense communauté d’utilisateurs qui grandit actuellement à une vitesse vertigineuse.
- notre ART (Autorité de Régulation des Télécoms - maintenant ARCEP) publie un rapport (pdf ici)
qui annonce que 6% des communications téléphoniques traditionnelles
passent maintenant par le protocole VoIP avec des solutions comme
Skype, Google Talk, MSN Messenger. Et 6% de chiffre d’affaire, dans
un environnement à coûts essentiellement fixes, et aussi concurrentiel
que les télécommunications, cela veut dire que nos opérateurs nationaux
travaillent au mieux pour un équilibre financier précaire, un "black
zero" comme disent les Américains. Comment vont-ils pouvoir faire leur
R&D et se construire ainsi un futur à partir de maintenant ?
Donc, les angoisses sécuritaires de l’Education nationale contribuent directement, et indirectement, par la réaction en chaîne qu’elles pourraient générer, à ralentir le développement explosif de services comme Skype.
C’est finalement bien ! Mais ce "bol d’oxygène" ne peut fonctionner que si, en parallèle, nous nous dotons de moyens significatifs pour faire aboutir au niveau européen des programmes de recherche dans ces nouveaux domaines vitaux de l’économie de l’information.
Dans le cas contraire, nous pourrions passer rapidement de l’autre côté de la célèbre Fracture numérique...
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