Streaming illégal : des régies publicitaires complices ?
Les efforts des pouvoirs publics pour lutter contre l’exposition des plus jeunes à la pornographie restent insuffisants. Devant ce constat, l’association Ennocence vient de lancer BalanceTonSite.com, une plateforme permettant de signaler les contenus inappropriés pour les plus jeunes.

En mars 2015, l’ex-ministre de la Culture, Fleur Pellerin, faisait signer aux ayants droit (cinéma, musique, jeux vidéo), aux annonceurs et aux régies publicitaires sur Internet une « charte des bonnes pratiques dans la publicité pour le respect du droit d’auteur ». Son objectif : empêcher les annonceurs de retrouver leurs publicités sur des sites qu’ils n’auraient pas choisis et, in fine, assécher les revenus des sites contrevenants, notamment « les sites Internet de streaming, de téléchargement ou de référencement tirant profit des œuvres piratées ». Les signataires s’engageant, de leur côté, à remplir une « liste noire » des sites contrevenants.
Une charte pour rien ?
Trois ans plus tard, force est de constater que cette charte n’a pas été suivie d’effets. Les sites de streaming et de téléchargement illégaux sont toujours aussi nombreux, si ce n’est plus. Et si pour la plupart des sites illégaux, les annonceurs et régies publicitaires renvoient à des sociétés-écrans intraçables, certains annonceurs sont, en revanche, connus, ont pignon sur rue... et plaident le plus souvent la bonne foi, leurs annonces s’étant, selon eux, retrouvées sur ces sites par erreur.
C’est le cas, éloquent, de la société suédoise Unibet, l’un des leaders des paris sportifs et jeux d’argent en ligne. Prise la main dans le sac à financer plusieurs sites de streaming sportif illégaux, Unibet a affirmé ne rien savoir de ces pratiques, quand bien même le code source des publicités incriminées renvoyait à sa maison-mère, le groupe Kindred. Si Unibet a fini par retirer ses publicités, on ne s’explique toujours pas comment celles-ci se sont retrouvées sur des sites pirates, apparemment sans vérifications préalables.
Unibet n’est pas la seule entreprise connue concernée par le phénomène, loin de là. Des publicités pour Engie, Voyage Privé, Quicksilver, Emirates, Groupama ou encore Habitat se sont aussi retrouvées sur des sites de streaming illégaux. Seul Voyage Privé a répondu aux journalistes sur cette affaire, se retranchant derrière une « erreur » qu’il « ne cautionne absolument pas ». Des « erreurs » pourtant bien réelles, qui posent la question de la responsabilité des régies publicitaires dans le financement du streaming illégal — ces sites se finançant presque exclusivement par la publicité, le plus souvent à caractère pornographique.
Les ravages de la pornographie sur les enfants
Selon une enquête publiée le 11 avril dernier par OpinionWay, 62 % des jeunes interrogés déclarent avoir vu leurs premières scènes pornographiques avant 15 ans, dont 20 % entre 11 et 12 ans, et même 11 % avant 11 ans. Plus de la moitié d’entre eux affirment en avoir été « choqués ». Et, contrairement aux idées reçues, visionner ces images n’est pas toujours un choix. Selon un sondage Ifop réalisé en 2017, plus de 50 % des adolescents étant tombés sur ces contenus ne l’avaient pas cherché. Autrement dit, ils ont été victimes d’images intempestives, apparaissant le plus souvent sous la forme de « pop-up » destinés à attirer des clics.
Si l’impact de ces images sur les adolescents fait débat, leurs conséquences sur les enfants font, en revanche, consensus : « Être confronté à de telles images avant que la sexualité soit présente psychiquement peut créer des troubles (anxiété, troubles du sommeil), sur le moment ou plus tard, car les enfants en ressentent de la culpabilité », analyse la psychologue Marion Haza, experte auprès de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique. D’autant plus que, dans leur course aux clics, les sites pornos proposent de plus en plus de contenus « trash », véhiculant des stéréotypes que les jeunes sont tentés de reproduire.
Avec BalanceTonSite, Ennocence crée sa propre liste noire
En pratique, il suffit d’entrer l’URL du site où est apparue la publicité et celui de la publicité en question. Il est également possible, sur BalanceTonSite, de joindre une capture d’écran du contenu que l’on juge offensant. De fait, ce portail vient « mettre en pratique le projet du gouvernement de constituer une liste noire des sites de streaming illégaux », assure Ennocence. Encore faut-il « permettre à la justice de se doter de moyens significativement plus puissants pour éradiquer ce fléau de manière efficace », afin que « le ministère public soit officiellement chargé des poursuites contre les sites exposant à des contenus dangereux ».
Décidée à ne pas attendre, Ennocence a déjà entamé plusieurs actions en justice. Le site Carpe Diem a ainsi accepté l’ajout d’un filtre pour les mineurs et la suppression du site litigieux. Depuis le début de l’année, l’association cible aussi les régies publicitaires, hébergeurs, moteurs de recherche et annonceurs : l’un d’entre eux a accepté de retirer son contenu dès réception de la lettre de mise en demeure. Si ces réussites isolées démontrent qu’il est possible de lutter contre l’exposition à la pornographie, elles devraient également inciter les pouvoirs publics à agir.
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