Technophilie, technophobes et techno-résilients
Le débat climatique s’envenime avec 1) à ma gauche, les gros médias du Système bobo-turbo-mondialiste qui en surajoutent sur la canicule, et 2) à ma droite, les complotistes réacs qui réduisent l’écologie à un énième complot du Nouvel Ordre Mondial. Personne ou presque ne se pose le problème de la technique avec cette froideur lucide et modérée qui fait les honnêtes gens. Ça buzze partout, ça ne pense nulle part.
I — Les technophiles : écolobobos et conspiréacs, même combat !
Lorsqu’on cherche la juste mesure des idéologies, il faut et il suffit de montrer que deux idéologies qui s’opposent en un combat sans merci sont en réalité les deux versions superficielles d’une même erreur profonde.
Les écolobobos sont des technophiles patentés. Et pour deux raisons.
– Premièrement : ils ne songent qu’à remplacer des techniques jugées polluantes par d’autres techniques qui polluent différemment. Qu’est-ce que la voiture électrique, sinon du nucléaire en plus ? Qu’est-ce qu’une éolienne (maritime ou terrestre), sinon des tonnes et des tonnes de béton (pour l’ancrage au sol) et une multitude de composants métalliques et chimiques (et l’on ne compte même pas la pollution visuelle et surtout sonore pour les riverains) ? La maison écolo elle-même est un condensé de technologies de pointe : triples vitrages, matériaux isolants, bio si l’on veut, en tout cas industriels, et souvent régulateurs électroniques pour tout et n’importe quoi. Des choses qui auraient bien fait rigoler nos ancêtres riches ou pauvres ; les châteaux du Moyen Âge n’avaient même de vitres.
– Deuxièmement : l’écologie politique est aux mains de politicards fortunés dont « l’empreinte carbone » – comme ils disent – est nettement supérieure à celle du prolétaire de base. Réunions aux quatre coins du monde, voyages en avion ou en hélico, voitures de fonction, plusieurs résidences secondaires, vacances bourgeoises, livraisons incessantes de colis à domicile, bonne bouffe, joli train de vie, on en passe et des meilleures. Le riche ou le demi-riche coûte cher, tant à l’environnement qu’aux caisses de l’État. Mais passons.
Mais les tradi-conspis, conspiréacs et autres mystico-dingos plus ou moins droitards ne valent pas mieux.
– Pour ces gens, toute réflexion sur l’environnement est, déjà, suspecte de satanisme. Les écolos sont stigmatisés comme des sortes d’hérétiques, téléguidés par Lucifer, au service du Nouvel Ordre Mondial. Les écolos s’intéressent à la nature et à l’environnement, ils préfèrent donc la création et les créatures au Créateur… Ce sont des naturalistes : oh, les vilains ! Saint Paul, au secours ! Mais que fait l’Inquisition ?
– Et, en attendant, nos réacs religieux (et tous les réacs non religieux qui s’agrègent à leur cause) continuent à consommer de la technique, tranquilles, peinards, comme si de rien n’était, tout en hurlant sur YouTube que la modernité est l’œuvre du diable. Descartes est voué à l’Enfer, mais qu’est-ce que ça nous arrange les mathématiques solidifiées en machines ! Je leur conseille La formation de l’esprit scientifique de Gaston Bachelard (1938).
On peut se reporter ici à mon article précédent, expliquant pourquoi les anti-écolos sont aussi détestables que les écolos.
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/rechauffement-climatique-il-faut-216100
Comme l’avait déjà vu Jacques Ellul, dès les années 1950, les questions contemporaines sont toutes liées à la problématique de la technique. Les positions purement mystiques ou moralisatrices, des écolos comme des anti-écolos, ne mènent à rien d’autre qu’au ridicule et à l’incohérence. Lire éventuellement : La technique ou l’enjeu du siècle (1954).
II — Les technophobes : un milieu qui n’existe pas vraiment…
– L’attitude technophobe est en soi, impossible. L’observation suffit à le montrer. Il y a certes beaucoup de gens – et j’en fais partie – qui ont tendance à freiner leur consommation technologique, retardant au maximum l’achat du nouveau mobile, du nouvel ordinateur portable, de la nouvelle box, du nouvel électroménager, etc. Nous en sommes à peu près tous là, et notamment pour des raisons budgétaires. Mais il ne s’agit pas de technophobie au sens strict ; on devrait parler plutôt de comportements techno-critiques.
– Nos sociétés sont bâties pour que personne ne puisse échapper aux techniques, ne serait-ce que pour des raisons professionnelles et administratives. Tout est dématérialisé actuellement, y compris nos bulletins de paye et nos comptes bancaires. On paye un peu en cash, beaucoup en carte bleue. Il y a des gens qui tentent de vivre « comme autrefois » mais c’est pratiquement mission impossible et cela n’existe qu’à la marge. Tout au plus, nous faisons comme nos amis survivalistes, avec une sorte de double-système. Chauffage gaz de ville ET poêle traditionnel avec du bois en réserve. Eau courante Et récupérateur d’eau. Éclairage électrique ET stock de bougie. Etc.
III — La techno-résilience arrivera toute seule, un peu par la force des choses
– Le double-système décrit précédemment n’est pas une attitude technophobe, mais techno-résiliente. Il est bon, lorsqu’on le peut, d’être vaguement survivaliste, même si le survivalisme de compétition à la Piero San Giorgio reste, en définitive, un luxe réservé à des gens suffisamment aisés pour investir dans une ferme-bunker équipée, précisément, de ce double-système poussé à son maximum.
– Mais en réalité, c’est la mécanique d’enrayement du progrès technique qui fera de nous des résilients sans que nous nous en rendions vraiment compte. Pour l’instant, nos pays ont échappé à des catastrophes majeures, comme, par exemple, une panne d’électricité générale et de plusieurs semaines. Ou encore un bug informatique à grande échelle. Ou une défaillance universelle des réseaux d’eau potable. Mais ces choses arriveront. Et pour diverses raisons. 1) Nous sommes dans une économie de gaspillage, l’argent est rarement employé à bon escient, et la maintenance technologique est déjà très défaillante par manque de crédits. 2) S’ajoute à cette misère économique des anciens pays riches, une misère morale et intellectuelle préoccupante. Trouvera-t-on encore des techniciens et des ingénieurs – bosseurs, sages, honnêtes, compétents – pour entretenir toutes ces machines et ces réseaux de machines ? Certes, on « externalise » beaucoup à notre époque. Par exemple, les bonnes vieilles agence de France Télécom ont été remplacées par d’improbables plateformes situées on ne sait où. Mais jusqu’où fonctionnera cette logique ?
Il est donc des plus probables que la technologie s’effondre, au moins partiellement, et que les premiers soubresauts de la régression technologique se situent dans la vieille Europe, submergées par ses contradictions et son imprévoyance.
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