Un « gène » transforme une fourmi guerrière en une fourmi fourragère
Le monde des fourmis est d’une richesse telle qu’il se prête à l’écriture de romans à succès sous réserve que l’on ait le talent de Bernard Werber. Pour les scientifiques, la fourmi reste un sujet d’étonnement permanent, autant qu’un modèle idéal pour étudier la communication entre individus d’une espèce et la collaboration des différents congénères oeuvrant au service de la colonie. Récemment, une découverte génétique a permis de découvrir un mécanisme moléculaire impliqué dans le comportement de ces insectes à l’organisation parfaitement disciplinée.

Les fourmis développent des comportements très complexes et sont différenciées au sein d’une colonie. La reine pond les œufs alors que des castes d’ouvrières et de guerrières assurent différentes tâches tout en disposant d’une morphologie et parfois d’une taille bien définie. L’équipe de Marla Sokolowski a étudié le comportement de deux castes de fourmis appartenant à l’espèce Pheidole pallidula (PNAS, mars 2009) D’une part les fourragères et d’autre part les guerrières. Les premières sont destinées à aller chercher les nutriments dans l’environnement alors que les secondes assurent la défense de la colonie, grâce à une hypertrophie des mandibules disposées sur une tête de grosse taille. C’est la nourriture ingérée lors de la croissance qui détermine le destin de la fourmi et qui en fera un soldat ou une fourragère.
Bien que déterminé morphologiquement, le destin d’une fourmi n’est pas figé car en certaines occasions, le comportement peut changer. C’est notamment le cas lorsque dans une situation particulière, il est nécessaire de renforcer le nombre des fourragères. Par exemple quand un vers se présente comme une proie qu’il faut dépecer rapidement. Dans ce cas, un « basculement éthologique » se produit et les guerrières oublient leur vocation militaire pour venir donner un coup de main aux fourragères. Ce phénomène fait bien entendu intervenir des moyens de communications très sophistiqués (phéromones ou autres) qui ont été développés par ces insectes dit sociaux qu’on a cru un moment commandé par la reine alors qu’il s’agit plutôt d’une intelligence collective. Le mot n’est pas trop fort.
Là où cette affaire devient passionnante pour les scientifiques férus de génétique, c’est lorsque ce basculement de comportement est corrélé à l’activation d’un gène, celui de la PKG en l’occurrence, dont l’expression est mesurées au sein même des neurones cérébraux des fourmis. Un effet de seuil a été observé. Passé un certain niveau d’expression de la PKG, le comportement se modifie. Lorsque la PKG est en faible quantité, les guerrières sont disposées à combattre et les fourragères semblent indifférentes à la quête de nutriments. Inversement, un niveau élevé de PKG fera que les fourragères s’activent avec la participation des guerrières devenues l’espace d’un moment des ouvrières au service des besoins en nourriture de la collectivité. Transposons cette configuration à une société humaine, celle de l’Inde védique. Cela reviendrait à imaginer une situation ou la moisson est plus grande que prévue et où des guerriers viendraient prêter main forte aux paysans pour aller dans les champs.
Reste une question portant sur la causalité. Est-ce le niveau de PKG qui switche les comportements ou bien la PKG qui est en quelque sorte un élément de communication (commutation) nécessaire à l’activation des comportements dont on soupçonne qu’ils sont encodés dans le cerveau de ces bestioles si « intelligentes ». Pour tenter de répondre à cette question, les scientifiques ont fait ingérer aux fourmis une substance susceptible de stimuler la production de PKG. L’effet attendu s’est produit, les fourragères sont devenues calmes alors que les guerrières ont montré des attitudes belliqueuses face à des prédateurs. Cette expérience ne montre pas que la PKG est la cause première d’une modification du comportement mais certainement un signal interne dont le rôle est de modifier l’intention de la fourmi et de la faire coopérer lorsqu’elle est guerrière et qu’une modification du milieu requiert un surplus d’activité dans la quête de nourriture.
Cette découverte présente un intérêt scientifique et épistémologique indéniable, pour peu qu’on élargisse le cadre d’interprétation. D’abord, il se confirme que des mécanismes de transmission d’information semblent universels, comme s’ils avaient été conservés parce qu’ils confèrent un avantage adaptatif diront les darwiniens. Il faut rappeler en effet que la PKG fonctionne chez la paramécie, les insectes mais aussi l’homme. C’est une protéine dite transductrice, capable de transmettre un signal depuis la membrane vers l’intérieur de la cellule, avec comme messager le GMPc, molécule qui active cette PKG, protéine kinase dont la fonction est de modifier, par ajout d’un groupement phosphoryl, des protéines cibles qui seront alors stimulées ou inhibées. Cela ressemble à une sorte de connections simultanées permettant de positionner des circuits moléculaires en position on ou off. Des circuits dont le résultat détermine un comportement spécifique. Autant dire que nous effleurons la question de « l’intelligence animale » au sens d’une intelligence technique. Mais gardons-nous de tout enthousiasme démesuré, cette histoire de PKG n’est qu’une histoire de commutateur. Le secret de ce qui est commuté, avec toute sa complexité, nous échappe. Nous commençons juste à comprendre que la vie ressemble de près à un système technologique du genre central téléphonique ou ordinateurs en réseaux. Il est en effet étonnant qu’une simple molécule, la PKG, puisse modifier par son expression le comportement d’une fourmi. Il est plus encore plus étonnant de concevoir comment cela fonctionne dans le cerveau de la fourmi. Perception, transmission, opération, intention modifiée. C’est fascinant, cette intelligence individuelle (de l’insecte social) insérée dans le collectif, par la mémorisation des expériences réussies et conservées pendant l’évolution.
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