Un million d’ARN pour la levure, la nature n’aime pas les clones
En utilisant une nouvelle technique, des chercheurs en génétique ont fait une surprenante découverte en étudiant l’expression des gènes de la levure. Le nombre d’ARN transcrits est largement au-dessus de ce qui était escompté compte tenus des quelques 6000 zones d’ADN disponibles pour la transcription, autrement dit, les gènes. Les ARN produits sont de l’ordre du million, fait d’importance majeure car il ouvre des perspectives inédites sur la diversification moléculaire plus étendue que prévue et sans doute liée aux facultés adaptatives de cette levure capable de se développer dans des milieux aux compostions elles aussi très diverses. Repousser les limites dans l’analyse de la transcription, c’est ce qui a été réalisé par ces chercheurs dirigés par Lars Steinmetz. La notice de presse fournie par l’EMBL présente ces travaux avec l’image des musiciens d’un orchestre qui possèdent tous la même partition mais dont les interventions s’inscrivent dans une séquence temporelle. Cette image traduit bien le mécanisme de diversification des ARN à partir d’un seul gène grâce à une très grande variabilité conférant à ces ARN des extrémités (3’ et 5’) pouvant varier dans de grandes proportions et démultiplier de ce fait le nombre de transcrits par un facteur 10, voire même 200 ou 300.
L’identification des deux extrémités de l’ARN est indispensable pour accéder au produit de cet ARN sous forme de protéine (son potentiel fonctionnel). Ces analyses sont difficiles à réaliser et ont nécessité une approche technologique nouvelle dont les résultats viennent d’être publiés (V. Pelechano et al. Nature, mars 2013). L’étude a été réalisée sur une population homogène de cellules appartenant à l’espèce très connue de la levure de bière, également désignée comme levure du boulanger. Plusieurs observations étonnantes ont été recensées par les auteurs et en premier lieu le dévoilement d’une très grande variabilité dans les extrémités des ARN issus d’un gène commun. Ce phénomène moléculaire était auparavant masqué car exclu des « filets technologiques » utilisées jusqu’alors. Ces chercheurs ont donc découvert que la variabilité des extrémités est plutôt la règle que l’exception. La cellule s’octroie donc une très grande fantaisie dans la transcription. Si je reprends l’image du début, c’est comme si un musicien se plaisait à exécuter quelques notes de son goût avant de suivre la partition, puis d’achever sa prestation en ajoutant au gré de son humeur quelques notes de plus quitte même à retarder son intervention ou à l’achever prématurément. Ainsi, un gène codant de la levure produit en moyenne plus de 26 isoformes d’ARN, sans compter les centaines de petits ARN codant générés et pouvant donner lieu à la synthèse de protéines tronquées dont la fonction cellulaire est certainement importante mais inconnue à ce jour. Ce qui a surpris ces chercheurs, c’est cette très grande variabilité alors qu’ils étaient partis d’une souche génétiquement homogène. Dans les cellules eucaryotes, la diversité des ARN transcrits s’explique par l’épissage mais ce processus concerne les organismes pluricellulaires et non pas la levure où l’épissage est assez restreint. Mais sans épissage intense, la diversité des ARN est avérée pour la levure. Et c’est un détail important qui conduit à orienter la biologie moléculaire vers le monde des ARN en cessant de tout focaliser sur le gène.
N’économisons point notre enthousiasme en appréciant cette finesse d’analyse qui permet de tracer une autre conclusion inattendue. Dans une population homogène de levure, la variété des ARN indique que chaque cellule posséderait une propre signature épigénétique malgré un génome commun. Ce qui permettrait de déduire un penchant naturel vers la diversification avec une formule assez iconoclaste : « la nature a horreur du clonage ». On retiendra cette tendance à la diversité dévoilée conjointement avec une autre tendance, exprimée vers la complexité interne à la cellule avec ces centaines de petits ARN codant dont la fonction échappe pour l’instant à l’investigation. Finalement, plus on affine les techniques d’analyse, plus la vie moléculaire dévoile ses détails en apparaissant de plus en plus complexe. Les inventeurs de cette nouvelle technique espèrent l’appliquer à d’autres types cellulaires et notamment à celles extraites des animaux supérieurs. Peut-être d’autres découvertes en vue vont confirmer ces tendances à la diversité. Néanmoins, rien ne permet de penser que dans les cellules d’insecte ou de mammifère on détecte cette fantaisie moléculaire. C’est ce qui rend passionnant la recherche. On ne sait pas ce qu’on va trouver.
Plus généralement, cette étude novatrice nous enseigne que l’ARN occupe une place de plus en plus importante. Allez savoir si au « siècle du gène » (le 20ème) succédera le « siècle de l’ARN » et pour aller encore plus loin, le siècle de la sémantique moléculaire, notion que je suggère comme pertinente pour concevoir les élaborations cognitives au niveau de la cellule. On ne peut pas encore tirer des plans définitifs mais notons qu’un million d’ARN pour quelques milliers de gènes, ça parle au niveau de la diversité qui repose peut-être plus sur les ARN et les protéines que sur le génome. Autre déduction assez étonnante. Cette diversité dans le transcriptome de cellules génétiquement homogènes étonne. Car au final, ces cellules ne font qu’assurer une seule fonction, celle de se multiplier en utilisant les métabolites disponibles. Mais peut-être que d’ici quelques décennies, lorsque nous connaîtrons un peu plus la logique et l’ontologie du vivant, nous serons moins étonnés.
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