Un web ça va, quatre bonjour les dégâts !
Du lancement en 1990 par Tim Berners-Lee du premier web aux générations web 4.0 qui existeront peut-être demain, le web danse une valse à quatre temps : web des vitrines, du souk, bavard, panoptique. Ces évolutions orchestrées par la rugissante technologique risquent de conduire à des abus numériques préjudiciables à notre santé sociétale.
Dans la valse du web, le premier temps est le web des vitrines. Grâce à des principes mis au point par Tim Berners-Lee (création d’adresses, marquage de liens…), on assiste à la création de sites. Ces fenêtres sur monde permettent aux entreprises et institutions de se présenter. L’internaute saute de liens en liens et découvre ces vitrines. Certaines, ergonomiques et riches en contenus, retiennent son attention. D’autres plus nombreuses, qui rivalisent dans le mauvais goût pour afficher des antiquités informationnelles, le font fuir.
Ces vitrines vendent du discours, de l’image, des produits ou services... Le chaland numérique achète avec précaution. Il n’a qu’une confiance modérée en cette technologie qui lui fait croire que tout est à portée de clic.
Le web du souk
Deuxième temps, c’est le web 2.0 ou le web du souk. Les vitrines se sont multipliées et diversifiées. Une kyrielle de vitrines individuelles nommées blogs prennent pignon sur le net. On y affiche son talent, on fait part de son expertise, on raconte sa vie... Dans ce web, on discute, échange, commente, critique, crée des liens. Des tribus de parleurs, penseurs, amuseurs se structurent. Les vitrines individuelles s’insèrent dans des vastes complexes nommés réseaux sociaux. Le principe de base de ce web du souk est l’interactivité. Contrairement au web des vitrines qui évaluaient leur performance au nombre de visiteurs, le web du souk mesure sa pertinence au nombre de liens générés.
Dans ce souk, le commerce est un jeu de billard à plusieurs bandes. Ce n’est plus le vendeur qui vante les mérites de son produit, c’est le client qui incite ses pairs à consommer comme lui. Le vendeur se contente de titiller les réflexes identitaires et conformistes en disant : "Si tu veux acheter cela, tu aurais tout intérêt à faire comme les autres acheteurs qui ont aussi acheté ceci et cela." Le mouton de panurge numérique ne discute pas. Il ajoute dans son panier les désirs des autres et passe à la caisse. Le vendeur affiche un sourire satisfait. Avec ce subterfuge, le client commence enfin à acheter ce dont il n’a pas besoin. Le vendeur le remercie en lui donnant le sympathique nom de "consom’acteur".
Le web des souks, considérant que "plus on est de connectés, mieux on se connecte" inclut progressivement dans sa sphère de chalandise des objets de notre quotidien. Cadres photos, jouets, appareils électroménagers, téléphones... Une puce, une liaison wifi, une adresse... L’objet trouve sa place dans le World Wilde Web. Sa connexion au grand réseau des réseaux lui permet de faire des prouesses. Les cadres photos font défiler les photos enregistrées sur notre ordinateur, des lapins bougent les oreilles lorsque nous avons reçu un mail, la chaudière téléphone au technicien, le réfrigérateur fait les courses... Les services étonnent les techniciens qui parlent d’objets intelligents !
Le web bavard
Le troisième temps se nomme web 3.O ou web sémantique, mais on pourrait aussi l’appeler web bavard, car il parle sur tout et tout le temps.
Le fonctionnement de ce web repose sur le taguage des données numériques. Elles sont caractérisées par une série de mots (d’où l’appellation de web sémantique). Ces marqueurs vont permettre aux ordinateurs de créer des liens entre des informations qui n’en ont pas a priori.
Si cette formalisation nécessite une solide lobotomisation niant les différences culturelles ou de genre, une fois opérée, les ordinateurs peuvent s’en donner à cœur joie dans le croisement des données et répondre à des demandes qui auraient hier demandé quelques années-lumière de recherche. Ainsi je peux trouver en quelques secondes un plombier unijambiste qui parle polonais, aime le bordeaux, habite à cinq minutes de chez moi, adore jouer au rami chinois et est disponible après 20 heures le jeudi soir. Enfin, s’il existe (et à vrai dire, je n’espère pas car je serais bien embêtée avec un tel phénomène).
A ce stade de l’évolution du web, les vendeurs se frottent les mains. De mes demandes, ils peuvent déduire que j’aime le bordeaux, j’habite à Paris, je suis sensible aux handicaps, j’adore le rami chinois, j’ai des problèmes de plomberie et je suis chez moi le jeudi soir. De là à ce qu’ils me proposent de "faire venir le jeudi soir un joueur de rami polonais qui apporte une bouteille de bordeaux qui règle tous les problèmes de plomberie", il n’y a qu’un clic. Mais, si je dédaigne leur offre, ils balayeront toutes les informations que j’ai déposées sur le web pour en faire une autre encore plus séduisante. Ce chant des sirènes finira par m’ensorceler et je remplirais mon panier d’une série d’inutiles.
Le web panoptique
Si le quatrième temps de la valse du web n’existe pas encore, on peut le nommer web 4.0. A peine le web 2.O fut sorti du cortex de Tim o’Reilly que ses détracteurs annonçaient la mort de ce web et l’arrivée du suivant le web 3.O. On imagine que les mêmes ne vont pas tarder à annoncer la mort du web 3.0 et l’arrivée du web 4.0.
J’aurais néanmoins envie de l’appeler "web sensible" les jours de beau temps et "web panoptique", les jours un peu plus sombres. Ce terme, qui signifie voir sans être vu, fait référence à des prisons aménagées de telle sorte que le surveillant puisse voir chaque détenu dans sa cellule sans être vu lui-même.
Après avoir traité et tagué les données numériques, les faiseurs du web vont compléter leur balayage en intégrant une kyrielle de nouvelles informations enregistrées au moyen de divers types de capteurs. Les espaces de stockage étant illimités, les moindres événements de notre vie pourront être transformés en zéro et un. Avec l’accumulation et le croisement de toutes ces informations, le meilleur et le pire sont attendus. A vous de les cocher dans une journée à la mode web panoptique de demain.
- 7 heures, vous vous levez. Vous avez des informations ciblées en fonction de vos centres d’intérêt personnels et professionnels.
- 7 h 15. Brossage de dents. Des puces enregistrent des informations concernant votre santé. Votre pilulier clignote et désigne le médicament à prendre.
- 7 h 40. Direction le placard à vêtement. Un lien ayant été fait avec votre agenda. Des vêtements sont préparés.
- 8 h 10. Vous avez opté pour le covoiturage. Une voiture vous attend au pied de l’immeuble. Quatre inconnus y sont déjà installés. Votre notebook vous indique qu’avec l’un, vous avez un ami d’ami en commun et qu’un autre travaille dans le même domaine que vous.
- 11 heures. Vous venez d’apprendre que votre client assiste régulièrement à des compétitions de kitesurf. Vous glissez dans la conversation que vous avez été champion de France. Il semble impressionné.
- 13 heures. Vous téléphonez pour commander un hamburger. Comme vous avez été identifié, le vendeur électronique vous accueille par votre nom et ajoute : "Désolé, nous ne pouvons pas vous livrer de hamburger car votre taux de cholestérol est trop élevé" (confère votre brossage de dents). Vous avez deux solutions : investir dans une assurance qui vous doublera le prix du hamburger ou prendre une salade.
- 15 heures. Alors que vous présentez vos références à des potentiels nouveaux clients, des images les présentant défilent sur l’écran. Un capteur sonore enregistre vos propos et va chercher les images appropriées sur le web. Cela ne vous a demandé aucune préparation.
- 16 heures. Votre femme dépose les clés de la voiture. Quand vous lui dites : "merci, chérie", une image d’une autre chérie est projetée sur l’écran. Vous déconnectez rapidement tous les capteurs.
- 18 heures. Votre notebook vous signale que vous avez une heure de libre, et prévu de faire du sport, qu’une salle de gym se trouve à 50 mètres et qu’elle est susceptible de vous accueillir. Vous l’ignorez, car il vous indique en même temps qu’un ami prend un café dans le voisinage.
- 19 heures. La rencontre a été agréable. En pénétrant dans l’aéroport, vous souriez. Erreur, dix secondes plus tard, votre notebook vous indique que vous devez payer une amende pour DSG (délit de souriante gueule). Les caméras ne pouvant pas identifier des visages aux traits déformés par le sourire, le gouvernement a profité d’un sursaut d’adrénaline sociétal pour promulguer cette interdiction.
Avant d’en arriver là, il serait judicieux de réfléchir ensemble aux moyens de modérer notre consommation du web et des technologies numériques et du moins d’éviter toutes dépendances. En clair, de prendre conscience que tous abus technologiques peuvent nuire gravement à notre santé sociétale en violant les droits au respect d’une intimité et d’un anonymat.
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