Une rare « licorne de mer » à deux cornes tuée par un chasseur groenlandais
Malgré son surnom de licorne de mer, le narval, un mammifère faisant partie des cétacés à dents au même titre que le dauphin, l’épaulard ou le cachalot, est moins connu que son plus proche cousin, le bélouga ou baleine blanche, dont les ébats dans les eaux arctiques ou du Saint-Laurent sont devenus un classique des feuilletons animaliers.
Le narval partage avec le bélouga une famille qui leur est propre, celle des monodontidés (« à une seule dent »), autrefois appelée delphinaptéridés, ce qui signifie littéralement « dauphins sans aile » - comprenez : sans nageoire. Le dauphin de l’Irrawaddy, qui ressemble au bélouga, est parfois classé dans cette famille, mais il s’agit en réalité d’une sorte de petite orque.
Comme le bélouga, le narval est une sorte de gros dauphin d’environ 4-5 m de long, caractérisé par un museau court, une denture peu développée (quasi absente chez le narval) et l’absence de nageoire dorsale. Malgré le surnom de « baleine blanche » du bélouga, narval et bélouga sont plus proches des dauphins que des baleines proprement dites, ces dernières ne possédant pas des dents, mais des fanons dérivés des plis de leur palais et avec lesquels elles filtrent le plancton qui constitue leur nourriture. Comme les dauphins d’eau douce (dont nous venons de perdre une espèce sans que ça ne contrarie la digestion de beaucoup de monde), le narval et le bélouga ont des vertèbres cervicales non soudées, ce qui les autorise à bouger la tête et ce qui les rend particulièrement télégéniques dans les feuilletons animaliers pour lesquels les cétacés en général, et les dauphins en particulier, avec leur sempiternel sourire, sont des sujets de choix.
La caractéristique la plus frappante du narval, c’est évidemment sa corne, enroulée en spirale comme celle des licornes légendaires qu’on peut admirer sur les tapisseries médiévales. Mais cette corne, qui est le propre des mâles, n’en est en réalité pas une. Il s’agit d’une défense constituée d’une dent hypertrophiée, un phénomène que l’on retrouve chez les morses, les hippopotames ou les éléphants. Si le narval n’est apparenté à aucun de ces animaux (ou, de très loin, à l’hippopotame, avec lequel il partage un estomac compartimenté préfigurant celui des ruminants), c’est avec l’éléphant que sa défense présente le plus d’homologie. Comme chez ce dernier, la dent est une incisive, hypertrophiée à l’extrême et n’a depuis longtemps aucune fonction alimentaire. Chez l’éléphant, ce sont deux des incisives supérieures qui donnent ces défenses majestueuses, plus développées chez les mâles, parfois presque absentes chez les femelles de l’espèce asiatique. Chez le narval, les dents sont également des incisives de la mâchoire supérieure, mais une seule, la gauche, se développe, l’autre restant à l’état vestigial dans son alvéole.
Vous l’aurez sans doute deviné, le narval bicorne qui vient d’être tué par un chasseur esquimau (inuit) groenlandais dont il est question ici a tout simplement eu un bug dans son programme dentaire. Au lieu de rester bien sagement dans son alvéole, l’incisive droite a entrepris de se développer « normalement ». A quoi sert une telle inhibition, et qu’est-ce qui empêcherait les narvals d’être bicornes, ou plutôt, « bi-défenses », comme les éléphants ? Mystère également. La fonction de la défense du narval est elle-même incertaine : on serait tenté de l’assimiler au rostre des espadons, marlins, voiliers, voire poissons-scies (de grosses raies à allure de requin), qui s’en servent comme arme d’estoc dans les bancs de poissons. Sauf que les femelles étant généralement dépourvues de cet attribut, son rôle est plus vraisemblablement sexuel, comme l’attestent les observations de narvals mâles en train d’en découdre en croisant leurs « épées » dentaires.
Contrairement à l’éléphant, chez lequel la dent-défense se développe normalement vers le bas et sort par la bouche, comme les canines du sanglier ou du phacochère, la dent du narval pousse dans le crâne et le perce par devant, une quasi-aberration de l’évolution qui se retrouve chez une autre sorte de sanglier, le babiroussa, un habitant des Célèbes en voie de disparition. Malgré la troublante coïncidence de sa corne spiralée, le narval n’est pas à l’origine de la légende de la licorne, celle-ci étant mentionnée dès l’Antiquité par les Grecs, dont il est légitime de penser qu’ils n’avaient guère l’occasion d’aller se faire voir sur les plages groenlandaises. Cette légende tire plutôt son origine des chèvres unicornes, une monstruosité rare dans laquelle les deux cornes sont fusionnées sur le front de l’animal.
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