Wanted, boson de Higgs ! Mise à prix, 2 milliards d’euros
Titanesque, gigantesque, des énergies colossales, un dispositif géant, un coût faramineux, les superlatifs ne manquent pas pour évoquer la prochaine mise en service du LHC, cet accélérateur de particules le plus puissant au monde, enterré sous les Alpes, financé à coup de milliards d’euros par les nations européennes qui peuvent maintenant être fières d’avoir dépassé le concurrent américain, le Tevatron, construit en 1984 puis constamment doté d’améliorations.

Le citoyen ordinaire, mais curieux, comme vous et moi, se pose une question évidente. A quoi cet outil va-t-il servir ? Et, bien entendu, la communauté des physiciens des hautes énergies s’est préparée à répondre à cette question car il faut bien justifier le coût de ce super jouet, surtout à l’époque de la vie chère et des déficits budgétaires. Le LHC va servir dit-on à identifier la particule de Higgs. Carrément le graal tel que c’est raconté dans les journaux, pas uniquement spécialisés. Ainsi, Courrier International du 24 avril avait mis ce titre à la une, une grosse boutade qui n’a rien d’un poisson d’avril, « Dieu est-il une particule ? ». Cette particule en question n’étant autre que le fameux boson de Higgs qui, s’il apparaît dans l’accélérateur, sera considéré comme une épiphanie quantique justifiant un feu d’artifice de bouchons de champagne. Mais avant, il faudra que le fameux boson se manifeste dans une gerbe de particules. Le principe de l’expérience étant de produire des chocs entre faisceaux de protons accélérés à la vitesse de la lumière, enfin presque, un chouïa de moins car cette vitesse ne peut être atteinte par aucune particule, sauf le photon parce qu’il n’a pas de masse. Or, les protons ont une masse et, d’ailleurs, la découverte du boson de Higgs devrait permettre de répondre à la question, pourquoi y a-t-il de la masse plutôt que rien. Les philosophes auront reconnu la fameuse question de Leibniz, pourquoi quelque chose plutôt que rien. Une question des plus métaphysiques, mais, justement, les physiciens de la « matière quantique » sont quelque part les M. Jourdain de la métaphysique.
Quelques mots sur la technologie des accélérateurs, l’une des plus sophistiquées. Il faut accélérer les particules chargées et, donc, utiliser des champs électriques. Pour éviter la dispersion du faisceau, on utilise des lentilles magnétiques nécessitant des aimants puissants. Et pour éviter que le faisceau ne se désagrège en faisant une mauvaise rencontre comme une molécule d’azote ou d’oxygène, un vide plus que sidéral est requis. Pour le LHC, ce sera dix fois plus que l’atmosphère lunaire. Il a fallu creuser un immense tunnel sous la roche. 27 kilomètres. Imaginez le coût. Ensuite, 9 000 aimants encadrent le bon cheminement des particules. Pour produire un champ magnétique intense (comme, par exemple, dans les IRM), il n’y a pas de secret. Il faut faire passer un courant intense dans un conducteur enroulé en hélice, le solénoïde. Mais, comme le métal offre une résistance, il faut le refroidir. En deux étapes, avec de l’azote liquide puis de l’hélium liquide pour atteindre les températures de supraconduction. Pas moins de 60 tonnes d’hélium sont utilisées. Un liquide plus cher qu’un château Yquem de 1968 ou un Pétrus. Ensuite, il faut détecter les centaines de millions de collisions par seconde et, comme on ne peut pas toutes les analyser, des logiciels et des ordinateurs très puissants seront utilisés pour sélectionner les traces les plus significatives, avec l’espoir que l’une d’être elle ait les caractéristiques du boson de Higgs.
Quelqu’un ayant l’esprit tordu, comme peut l’être un enquiquineur doué d’un sens critique exacerbé, se demandera si cette décision ne serait pas tant scientifique que politique. Question de rivalité et prestige oblige, comme au temps de la guerre froide. Bien évidemment, si les nations se jaugent, la communauté des physiciens transcende les frontières, constitue une « grande famille » et le LHC se fait un plaisir d’accueillir des Américains au même titre que l’observatoire du mont Palomar fut « prêté » à des astronomes européens. Déjà, les mauvaises langues envisagent que le boson de Higgs ne puisse pas être détecté. Et qui sait, le boson de Higgs, c’est un peu comme Dieu, on pourrait supposer qu’il n’existe pas ! Plusieurs milliards d’euros dépensés en vain ? Peut-être pas. Car d’autres découvertes inattendues sont envisageables. Et, si on connaît l’Histoire de la physique des particules, on est certain que toutes ces particules étranges ont été de sacrées surprises tout au long du XXe siècle. Des particules avec des caractéristiques précises, obéissant à des symétries, douées de règles précises, avec notamment deux types d’interactions bien cernées, la faible et la forte. Et ces six quarks formant avec les gluons la base du modèle standard de la chromodynamique quantique expliquant autant que faire se peut l’interaction forte.
Mais, au fait, qu’est-ce le boson de Higgs ? Il figure dans le modèle standard de l’interaction dite électrofaible. En quête d’unité, les physiciens sont parvenus à valider une hypothèse en faveur d’une interaction électrofaible décrivant de manière unifiés deux des quatre interactions fondamentale, la faible et l’électromagnétique qui reste la plus connue, impliquée dans la vision, la transmission de signaux et toute l’électronique moderne. L’interaction faible n’intervient pas dans notre monde naturel sauf en cas de processus radioactifs. Par exemple, un neutron se désintégrant en un proton et un électron. La théorie électrofaible est une théorie quantique des champs, construite sur les mêmes bases que l’électrodynamique quantique. Tout est ensuite question de calcul. Feynman et d’autres ont réussi à « renormaliser » l’apparition de quantités infinies grâce à des « régulateurs mathématiques ». Quant au modèle électrofaible, mêmes problèmes et mêmes succès pour cette théorie ayant permis de couronner du Nobel en 1979 trois de ses principaux contributeurs, Salam, Weinberg, Glashow.
En fait, le boson de Higgs est une vieille idée, datant des années 1960. Le modèle électrofaible a ceci d’étrange qu’il unifie deux interactions dont l’une a une portée infinie (pour preuve, on reçoit des signaux depuis les galaxies les plus éloignées avec une lumière ayant transité un milliard d’années) et l’autre une portée infinitésimale (échelle nucléaire). Le modèle prévoit quatre bosons responsables des interactions. L’un est célèbre, c’est le photon, dont la masse nulle explique la portée infinie. Les trois autres sont responsables de l’interaction faible. W-, W+ et Z. Ils ont été observés et possèdent une masse. Le raisonnement de Higgs a consisté à faire entrer un champ scalaire (paramétrée par un nombre, comme la température d’une poêle) susceptible de produire une brisure de symétrie. Le photon n’interagit pas avec le champ de Higgs, mais les trois autres particules sont le résultat d’une interaction avec ce champ, comme si elles avaient « mangé » un quantum de masse qui les a lestées. C’est ce quantum qu’on appelle boson de Higgs et qui est devenue la particule la plus recherchée par des physiciens.
Soyons quand même honnête. On ne peut ramener les programmes de recherche du LHC à cette quête du boson de Higgs. D’autres objectifs ont été assignés et déjà inscrit dans la feuille de route régissant l’usage de cet appareil. Beaucoup de possibilités s’offrent. Les particules vouées à la collision ne se réduisent pas aux protons. Des atomes ionisés de plomb peuvent servir à étudier certains comportements de la matière à des énergies incroyables que les physiciens assignent au big-bang ; mais cette précision n’est pas indispensable et, d’ailleurs, elle n’apporte rien. On étudie un plasma et c’est cela qui importe. Par ailleurs, la série des expérimentations repose sur l’usage de détecteurs spécialement conçu par des équipes de scientifiques. Par exemple, le détecteur Atlas fabriqué au CEA. Un physicien sans son détecteur, c’est comme un photographe d’art sans son Leica. Le détecteur et l’informatique associée, c’est ce qui permet de « voir » ce qui se passe pendant le choc produit à ces énergies faramineuses. Alors, de nouvelles particules ? Rien n’est moins sûr. Rivaliser avec le Tevatron américain (ancien, mais précis grâce à son amélioration constante) s’avère une tâche redoutable et d’ici cinq ans, nous saurons si le LHC aura permis d’obtenir des résultats majeurs ou plutôt fait rêver des centaines de physiciens et des millions de citoyens en attente d’une vérité ultime inaccessible. Car il se peut bien que le mécanisme de Higgs n’existe pas. Et que les mystères de l’univers soient dans le cœur de l’homme.
37 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON