Excusez-moi, mais je ne comprends rien à la dialectique.
C’est bien ce qui me semblais avoir perçu à la lecture de votre livre. Mais alors, je constate également que vous n’avez rien compris à mon explication sur l’autonomie du vivant, car les arguments que j’ai avancé et la citation de Pichot ne s’opposent pas à votre citation de Bernard, mais bien au contraire vont dans le même sens et prolongent l’analyse un peu plus loin.
L’univers et plus encore la vie sont traversées par des contradictions... Le saviez-vous ?
Bonjour,
Merci pour vos réponses fort instructives.
Je réponds ici brièvement sur le point concernant l’autonomie des êtres vivants.
Vous dites : Ceci est faux. Les être vivants ne sont pas autonomes. Ils dépendent de leur environnement. Le vivant ne peut pas se concevoir sans l’environnement.
Je crains que vous ne confondiez ici deux notions, celle d’autonomie avec celle d’autarcie. Est autarcique ce qui se suffit à lui-même. Est autonome ce qui se gouverne selon ses propres lois ou principes (ce sont les définitions - fort imparfaites concernant l’autonomie - du dico). Ce sont deux notions différentes, voire opposées par certains aspects.
Il faut dire que le langage courant tend aussi à confondre ces deux termes, à les prendre l’un pour l’autre : on parle de l’autonomie d’une machine pour désigner le temps durant laquelle elle se suffit à elle-même, sans apport extérieur d’énergie, alors qu’il serait plus exact de parler ici d’autarcie. Une machine n’a aucune autonomie, elle ne se gouverne pas par elle-même, mais selon les principes de sa construction, ou selon les instructions de son programme. Une machine est totalement indifférente à l’environnement, laissée à elle-même elle finit par s’arrêter faute d’énergie ou d’entretient (pour les plus automatisées). (Sur la différence entre machine et organisme, il y a aussi les belles et pertinentes analyses - dans une perspective finaliste - de Kant).
L’être vivant puisse matière et énergie dans l’environnement, ce qui lui permet dans le même mouvement (a peu de choses près) de devenir relativement indépendant des contraintes propres à cet environnement. La notion d’autonomie est en ce sens dialectique, c’est de cette contradiction que naît la dynamique interne propre aux vivants, leur activité autonome.
Voyez au passage l’intérêt d’approcher d’une définition "théorique" de la vie par une méthode comparative : ce n’est pas une approche "a priori", ni la recherche d’un "point de vue parfait et définitif (!) sur cette question" (comme vous le dites, reprenant ici les arguments de Cl. Bernard) mais également une approche progressive - qu’il est possible de poursuivre beaucoup plus loin.
Voici quelques extraits d’un texte qui me semble assez éclairant sur cette question de l’autonomie des êtres vivants (il faudrait pour bien faire citer le chapitre entier) :
Le principe est de reprendre l’idée lamarckienne de l’orientation du jeu des lois physiques dans des voies déterminées, étant donné que ce jeu des lois physiques est nécessairement temporel. Cette "orientation" permet d’expliquer comment l’être vivant se définit en une entité distincte, se différenciant de son milieu tout en entretenant avec lui de nombreux échanges. Soit une notion de relation-séparation entre l’être vivant et son milieu extérieur (séparation car il est distinct de ce milieu, relation car il entretient avec lui de nombreux échanges, - c’est le problème de la définition d’un système ouvert).
Cette séparation-relation résulte d’une disjonction de leurs évolutions. En effet, l’être vivant, dans son évolution, individuelle ou spécifique, "canalise" le jeu des lois physico-chimiques dans certaines voies aux dépens des autres possibles, alors que l’environnement, lui, évolue en suivant toutes les voies possibles selon les proportions voulues par le libre jeu de ces lois et des équilibres qu’elles régissent. […]
il n’en est pas moins incontestable et vrai que l’évolution (individuelle et spécifique) des êtres vivants ne suit pas simplement celle de l’environnement. Elle en est autonome, car elle a ses principes propres (ceux de cette "canalisation"). Elle n’en est cependant pas totalement indépendante, car les êtres vivants, tout en évoluant de manière disjointe, ont de constantes relations avec leur milieu (de nombreux échanges de matière et d’énergie). D’un point de vue thermodynamique, ce sont d’ailleurs ces relations qui permettent aux êtres vivants d’évoluer de manière disjointe, et donc de se distinguer de l’environnement. Sont ainsi conciliés les deux moments de l’(auto)définition des êtres vivants : leur distinction d’avec l’environnement (évolution individuelle, et spécifique, disjointe) et leur relation avec lui (échanges divers).
André Pichot, Histoire de la notion de vie, Chapitre de conclusion, La notion de vie aujourd’hui, pp. 941-942.
Il est regrettable que vous ne citiez ce remarquable ouvrage que sur un détail insignifiant concernant Darwin, alors que sur bien des questions d’histoire de la biologie (Descartes, Lamarck, Bernard, Darwin), je trouve qu’il contient des analyses intéressantes - et est une mine d’informations. Manifestement, vous n’avez pas lu la Conclusion, ce qui est bien dommage car cela vous aurait certainement évité ce grossier contresens entre autonomie et autarcie.
Par ailleurs, cela aurait été fort intéressant de vous voir discuter les thèses de Pichot sur l’autonomie et l’auto-organisation (il critique de manière fort pertinente l’idée d’émergence, et l’utilisation de la notion d’information par la biologie moléculaire).
Enfin, je suis peut-être bête, mais je ne vois pas bien quelle est cette "très mauvaise pente" sur laquelle je serais en train de glisser, selon vous.
J’arrête pour aujourd’hui, j’espère pouvoir vous faire part d’autres critiques (à propos de l’auto-organisation, notamment) plus tard.
Tout d’abord, avant de vous faire part de mes critiques, je tiens à dire que je considère les êtres vivants comme des "systèmes auto-organisés", radicalement différents des objets inanimés et des machines, car dotés d’une activité autonome. J’essaie de penser cela dans un cadre strictement matérialiste et déterministe, sans faire intervenir aucune puissance surnaturelle, "force vitale", ou autre phénomène dont les modalités seraient inconnaissable (y compris la providence laïque du hasard des mutations et de la sélection naturelle) ou improbables (programme génétique).
1) Aristote et l’ordre de la nature.
Votre critique du programme génétique et des théories de l’auto-organisation se fonde donc sur une critique de la vision aristotélicienne du monde, que selon vous ces différentes théories reconduisent plus ou moins explicitement.
Si votre critique des conceptions aristotéliciennes est juste, je suis très sceptique quant votre manière de les voir partout encore à l’œuvre, et surtout d’y ramener, à l’aide d’amalgames et de contresens parfois assez grossiers (il faut bien le dire), les théories de l’auto-organisation. J’ai l’impression que vous commettez là une erreur de raisonnement assez considérable.
Aristote n’était pas un abruti mystique : il a observé l’existence d’un ordre dans la nature et il en a donné une interprétation en termes d’essence, de finalité, etc. Ce n’est pas parce que cette interprétation est erronée, que cet ordre n’existe pas et ce n’est pas parce que l’on observe un ordre dans la nature que l’on est obligé de l’interpréter comme Aristote.
Vous semblez commettre ici la même erreur de raisonnement que Darwin il y a 150 ans :
"Si les biologistes d’aujourd’hui ne peuvent concevoir l’idée d’un ordre naturel dans l’évolution des espèces et vantent la contingence en ce domaine comme remède à la finalité, c’est parce que Darwin, en réaction à ses idées de jeunesse, a faussement imaginé qu’un tel ordre ressortissait obligatoirement à la théologie naturelle prônée par un clergyman du XVIIIe siècle (William Paley, que Darwin étudia assidûment à Cambridge). Les chimistes peuvent se réjouir de ce que Mendeléev (1834-1907) n’ai jamais lu Paley, et les cristallographes de ce qu’apparemment René-Just Haüy (1742-1822) n’en ait jamais entendu parler (bien qu’il fut prêtre lui-même et son contemporain), sinon ni la classification périodique des éléments chimiques, ni les systèmes de symétrie des cristaux n’auraient vu le jour."
André Pichot, Histoire de la notion de vie, éd. Gallimard TEL, 1993, p. 837-838.
Il y a donc un ordre dans la nature et ce n’est pas seulement une invention subjective, mais une réalité objective. Il est vrai que lorsque l’on ne veut pas admettre la spécificité de certains corps au prétexte fallacieux que cette spécificité ne peut être définie dans l’absolu et de manière univoque, comme vous le faites, ont ne peut plus discerner aucune espèce d’ordre ni d’organisation dans la nature ni chez les êtres vivants. Mais il s’agit la encore d’une grossière erreur de raisonnement : la spécificité ne se définit pas dans l’absolu (comme Dieu seul pourrait le faire, s’il existait), mais bien relativement aux autres corps. La spécificité des êtres vivants se définit par rapport aux objets inanimés et aux machines, par exemple.
"Nous sommes vigilants afin que les scientifiques n’orientent pas leurs choix ; ils leur donnent simplement les bons outils qui leur permettront de comprendre, de se faire une opinion."
Un chercheur engagé dans le développement des OGM, par exemple, peut-il réellement être "objectif " sur la question des OGM ? N’a-t’il pas déjà pris parti sur ce sujet, sinon il ne ferait pas cette recherche ?
L’honnêteté en la matière ne consisterait-elle pas plutôt à exposer les motivations de cette prise de parti au public, plutôt que de donner l’apparence hypocrite de l’objectivité ?
J’ai lu votre livre, et avant de faire des critiques plus approfondies, je voudrais vous posser une question.
En somme, pour vous, la vie n’existe pas, puisqu’il n’y a pas de spécificité des êtres vivants par rapport aux objets inanimée ni aux machines. Je me trompe ?