Donc, on atteint un paradoxe : le « sixième sens », cette faculté animale à agir intuitivement peut être obtenu à la suite d’une longue domestication des impulsions, émotions, et pensées qui assaillent notre esprit en permanence.
Absolument. En fait, ici le point commun entre ces deux arts que sont le sabre et le tir à l’arc, est dans l’approche Zen.
Ce que j’en ai compris, c’est que c’est un état d’esprit qui peut être atteint par la méditation et dans lequel la conscience se rapporte au vide. Le sabreur par exemple, ne doit penser ni à sa son sabre, ni à son adversaire, ni au sabre de son adversaire. S’il pense au sabre de l’adversaire, il est quelque part, on dit qu’il s’est fixé. Or, il faut être nulle part pour être partout. Le « but » du Zen est de ne jamais fixer son esprit. Ou de se fixer sur rien, donc de ne pas avoir de but. Juste être.
Plus facile à dire qu’à faire. L’enseignement est assez simple en lui même, c’est l’apprendre qui est délicat. Il existe un tas de légendes bouddhistes qui vont dans ce sens là. On peut passer à côté sans jamais les comprendre d’ailleurs.
Tenez, de mémoire. C’est l’histoire d’un jeune moine qui tandis qu’il mange, face à son maître, lui demande :
-Maître, maître ! Je veux tout connaître de la doctrine bouddhiste !
Le sage le regarde sans rien dire. Le jeune élève plonge la tête dans son bol, puis reprend :
- Ô grand maître, je vous en prie, enseignez moi tout ce que vous savez, je veux connaître toute l’histoire du bouddhisme, de A à Z !
Le vieux moine esquisse un geste de la tête, et sourit avec l’aire de dire « je t’enseignerais tout », puis regarde manger le disciple. Lorsqu’il lui demande « tu as fini ? », le disciple secoue son crâne brillant pour acquiescer, le maître lui lances « Alors VA LAVER TON BOL ! »
Il faut savoir que « la plonge » est la première et la dernière étape de l’initiation. Ayant moi même pratiqué longuement cette corvée dans la restauration, j’ai expérimenté cette « non pensée » que l’on atteint dans l’automatisme. Il s’agit de garder le souci du geste parfait, sans y penser, et de ne pas se laisser décourager aussi. Ne pas regarder la pile de vaisselles et d’ustensiles. C’est le premier pas sur la voie de la sagesse Zen.
Alors évidemment, ça peut sembler moins excitant d’aborder la question du sixième sens sous l’angle du travail, mais personnellement je préfère en tirer un enseignement plutôt que rien du tout.
Cette méthode est également utilisée dans le cadre des arts martiaux, afin de développer le sixième sens. Dans le ninjutsu notamment, il existe une épreuve lors de laquelle l’élève est assis en tailleur, en méditation, un sabreur se tient derrière lui et émet l’intention de le pourfendre. L’élève doit se retirer au moment où le sabre descend.
L’objectif du développement de cette faculté est la survie, comme toutes les techniques du « nin ». Elle a ceci de particulier qu’il s’agit non seulement de développer l’intuition de l’intentionnalité mais également d’apprendre à masquer son intention, ce qui est aussi difficile, voire plus.
Bien sûr que les hommes ont encore ce sixième sens. Le breton, par exemple, qui lorsqu’il sent un projet néfaste à son environnement, adopte intuitivement la formation dites en « Astérix », vue du ciel, qui lui permet de résister au danger.