Chap 3 : Le fabuleux Livres des Rêves de Kurt le Vieux
Michlam, pensif, admirait l’antique livre, aux multiples enluminures et reliefs. Datant du début du Temps des Chasses, le grimoire, à l’épaisse reliure en peau humaine battue au marteau, était usée par ses multiples lectures.
Sur les deux plats, était incrusté de feuilles d’or, un Golem stylisé, avec des yeux en rubis qui semblaient mettre en garde le lecteur, par leurs effluves de sorcellerie. C’était le Livre des Rêves du Vieux Peuple, de la cité antique Chaluzz, qui aurait existé avant les Grandes Chasses, durant l’âge de bronze de la première ère. Mais Michlam était dubitatif, il sentait quelque chose de non-orthodoxe, presque d’illicite dans cette transcription en langue impériale.
Aux ordres de la pensée du Seigneur Immortel, l’éclairage de la salle répandit alors une lumière inégale, se focalisant sur le pupitre. Michlam éclaircit la voix, ouvrit le grimoire avec d’infimes précautions, et commença sa lecture à voix haute. Il lui semblait que ces rêves anciens avaient à coeur la déclamation :
« Nous étions la plus petite des cités de l’Empire, et pourtant la plus connue pour sa fantaisie du sort. Mais, quand nous fûmes menacées par les immenses troupeaux barbares des désert noirs, l’Empire semblait hésiter à respecter l’Alliance, et finalement, il refusa tout net de nous porter secours. Alors sous le grand dôme de fer de la Caste des Guerriers, le Conseil des Centurions réuni, ne vit plus qu’une seule issue, il fallait forcer à la guerre les autres Cités timorées, tirer leurs rois par leurs chevelures vers le champ de bataille. A l’aube du jour du Golem, les légions de Chaluzz franchirent la longue muraille pourpre qui serpentait hésitante autour de la Cité. Face aux hordes trente fois plus nombreuses des Gyhls, elles s’alignèrent impeccablement dans le désert noir. Elles semblaient progressivement s’y noyer car les noires armures des hippéis, ainsi nommait-on les légionnaires de Chaluzz, avaient la couleur des sables volcaniques du désert. Le Grand Émir, commandant suprême élu des hordes, dans une parure qui ressemblait plus à celle d’un toréador qu’ à un chef de guerre, trônait dans son effrayant char d’acier, regardant ce déploiement dans une patience indifférente, caressant sa barbe nonchalamment. Il attendait la reddition protocolaire qui s’en suivrait, la destinée évidente choisie par les Dieux. Du haut d’un créneau de la muraille au grands blocs de grès rouge, au bord du vide, Priamonus II, le très vieux Roi de Chaluzz, entièrement nu, levait ses deux bras maigres et difformes vers le ciel, implorant Moloch. Le Grand Émir le regardait mi surpris, mi amusé, commentant la scène ironiquement à son officier de char resté à l’intérieur. Si le chef Gyhls avait été sur le chemin de ronde de la potence de la grande porte, derrière le Roi, il aurait pu y saluer le Prior des légions hippéis, qui s’y tenait en grand uniforme avec son état major. Quand le vieillard rabaissa ses bras lentement en s’agenouillant, l’ Émir aurait pu voir le rictus haineux du Prior avant qu’il donne calmement l’ordre d’attaque à ses aides de camp. Alors l’ Émir aurait vu les légions lançant les premières leurs salves de flèches étincelantes, et un immense orage de plasma semblant sortir des profondeurs du désert, projeter les lourds chars de ses hordes, en une tempête de sable et d’acier incandescente et tournoyante. Mais dans cette asphyxiante odeur de métal fondu et d’ozone, dans ce terrifiant hurlement ininterrompus d’éclairs de soleil des fabuleuses pierres du mal, le chef des Gyhls ne vit rien. Avant que l’image passe de son oeil à son cerveau, il était déjà une vapeur allant vers les bras des houris. Puis se fit le silence, le désert et le ciel semblait doucement fondre comme la paraison dans le four du verrier. Au loin, dans l’Empire ébloui par le feu, comme un aveugle hésitant, les Mille Légions s’ébranlèrent. »
Dans un mouvement lent, le Seigneur Michlam referma le Livre des Rêves. Il se demandait ce que pouvait bien vouloir signifier « plasma », et « éclairs de soleil » pour ces antiques qui vécurent il y a plus de 30000 ans. Les anciens esclaves traducteurs étaient vraiment des incapables ... A leur décharge, La Machine était aussi lamentable sur le sujet.
Alors Michlam décida d’aller chasser quelques benêts, afin de pouvoir écrire une nouvelle ode à la jungle et ses plaisirs.
Et le premier, le Seigneur Michlam de Tyr plaça sous le joug les benêts multiethnqiués, esclaves métissés par leur harnais et par leur corps, afin qu’ils succèdent aux tracteurs grégeois pour les chargements les plus pesants ; et il a attaché aux remorques ces benêts dociles bisounours, comme symbole du luxe le plus éclatant des Seigneurs du Capital. Aucun autre que lui n’a inventé ces véhicules errant sur les antiques autoroutes défoncées, avec leur tentures de bois et de lin, d’un passéisme si romantique. De sa bouche entendant le reste, tu t’étonneras encore davantage des techniques et des moyens que il a mis au point. Le plus important fût la génétique benêtisation, qui assura la reproduction de l’esclave epsilon,, pour l’Éternité ; Et le second fut la grande crétinisation par les écrans hallucinatoires de Maître Gogol, le grand aliénateur des derniers hommes.
Le seigneur Michlam de Tyr s’était paré d’une cote de mailles d’arachnide pourpre de haut facture et d’une longue cape de soie d’or éclatante. Une large ceinture azur soulignait ses hanches fines et de grandes bottes d’écailles de titane, ses longues jambes. Son corps était parfait, signe des puissantes aptitudes acquises auprès des généticiens de l’Ordre de Rê. Si dans ses marais la salamandre fait repousser, pattes, queue, et même cœur ou œil, le corps entier du seigneur Michlam avait ces fabuleuses capacités reconstructives. Par caprice aristocratique, il avait demandé une chevelure bleu cobalt, une peau doré, et des yeux gris, ce qui lui assurait certains succès. Son visage aux pommettes larges était plus pâle, avec un menton pointu, une bouche sensible, tordue de façon caractéristique en un demi-sourire méprisant. Dans sa ceinture était glissée une dague graser, signe d’appartenance à la plus haute caste des chasses.
A travers la grande baie, style le nid d’Aigle d’Adolf, il contemplait le vieux Lotissement de Paristree, les squelettes d’une centaine de tours en ruine jaillissaient de la jungle, chacune d’elles supportant à son sommet l’aire d’un Seigneur Immortel. Dans la grande clairière les joyeuses tentes des Amuseurs d’Esclaves de Framtree avaient été érigées. Malgré la grande distance, ses yeux à l’optique d’aigle pouvaient lire sur une rotonde : Les Merveilles de l’Univers. Un voyage fantastique et économique, sans danger ni inconvénient, dépeignant seize mondes captivants, présentés dans des séquences édifiantes et de bon goût. II y avait un spectacle de marionnettes, donné par une troupe de pantins mortels ; un diorama illustrant des événements importants de l’histoire antique ; des exhibitions de créatures d’autres contrées, vivantes, mortes, ou en simulacres ;