Je suis l'un des experts francophones de la psychologie positive. Voir ma présentation sur le site que j'ai créé, entièrement consacré à cette discipline : http://www.psychologie-positive.net/
Malgré mes intentions initiales, je réponds aux deux précédents commentaires.
1) Pour Naja : J’ai dit précédemment que je ne suis pas membre d’Arsinoe (et je ne l’ai jamais été). Je n’ai donc aucune légitimité à m’en faire le porte-parole. Les informations que j’ai fournies sur Arsinoe avaient simplement pour but de mieux expliquer la justice restauratrice et le contexte dans lequel s’était déroulée mon intervention. Si vous voulez en savoir plus sur Arsinoe, le mieux est de leur écrire : [email protected]
2) Pour Naja également : Pour ma part, je suis étonné du silence de Ceri, suite à mes remarques. Cette personne se dit « écoeurée par ce que devient le journalisme ». Fort bien, mais dans l’article qui est à l’origine de ces débats, elle ne respecte pas une règle de base du journalisme qui est tout simplement la vérification des sources d’information.
3) Pour Leo le Sage : Comme je l’ai dit dans un commentaire précédent, j’ai écrit un article détaillé de ma plume (avec références de recherches scientifiques) sur la raison d’être de la justice restauratrice, ses finalités et son efficacité, dont voici la référence :
Lecomte J. (2009). La justice restauratrice, in J. Lecomte (2009). Introduction à la psychologie positive, Paris, Dunod, pp. 257-270.
Merci de
ces remarques, qui font avancer sereinement la discussion.
Voici
quelques éléments de réponse.
Il n’existe
évidemment pas de « sérum de vérité » permettant d’évaluer la
sincérité d’un coupable exprimant des regrets. Mais si l’on place du point de
vue des victimes, voici quelques informations :
Dans une série d’études
australiennes, 90 % des victimes estimaient que l’agresseur devait présenter
des excuses. Or 86 % des personnes ayant vécu une justice restauratrice ont dit
que leur agresseur avait présenté ses excuses, contre seulement 19 % des
victimes passées par le tribunal. De plus, 77 % des victimes en justice
restauratrice estimaient que les excuses étaient sincères, contre seulement 41
% des victimes passées au tribunal. En associant ces données, on aboutit à ces
autres chiffres : en justice restauratrice, 66 % des victimes ont affirmé
que leur agresseur avait présenté des excuses sincères, contre 8 % en justice
pénale.
Sherman
L.W. et Strang H. (2007). Restorative Justice : The Evidence, Londres,
The Smith Institute, p. 63.
Relisez
ma remarque initiale sur le pardon : je ne dis pas qu’il n’est pas
question de pardon dans l’association Arsinoe, mais simplement que Ceri n’a pas
lu l’ouvrage dont il-elle parle.
J’ai
signalé ceci essentiellement pour montrer que Ceri parle de la justice
restauratrice sans la connaître véritablement. Et surtout (je me répète, mais
tant pis), cette personne se permet des critiques sans fondement lorsqu’elle
affirme qu’« On nous dit, sans évidemment citer aucune source, que grâce à
la « justice réparatrice », "entre 80 et 100% des victimes se
sentent vraiment prises en compte". » Ce propos montre clairement
qu’elle n’a pas lu le document dont elle parle, puisque celui-ci contient de
nombreuses références.
Je ne
suis pas membre d’Arsinoe mais je connais assez bien cette association dont j’apprécie
l’action. J’aimerais éclairer les relations entre ces
trois éléments : l’association Arsinoe, la justice restauratrice, le
pardon.
-Arsinoe
et le pardon. Arsinoe
prend clairement position en faveur du pardon. Ceci est incontestable, mais il
n’a jamais été question d’imposer le pardon aux victimes. La charte d’Arsinoe
précise : « Il y aura alors peut être
pardon, source de réelle liberté. » Aucune obligation donc. Par ailleurs,
cette charte précise : « Nous posons comme préambule qu’un véritable
travail thérapeutique passe par le fait que la personne se reconnaisse d’abord
comme victime et qu’elle soit reconnue également comme telle. » Nous
sommes donc très loin de ce que fait dire Ceri au sujet de cette association :
« la victime on s’en fiche, elle est juste là pour pardonner. »
-Arsinoe
et la justice restauratrice.
Arsinoe n’est en rien membre d’un prétendu lobby en faveur de la justice
restauratrice. Il y a deux ans, sa présidente, Marie-France Haffner m’a demandé
de participer au colloque des dix ans de l’association, en me proposant d’intervenir
sur la résilience, thème dont je suis l’un des experts francophones. Je lui ai alors
suggéré que mon intervention porte sur la justice restauratrice, en lui
adressant un article que j’avais écrit pour lui décrire en quoi cela consiste
(celui que j’ai cité précédemment, voir mon commentaire antérieur). Les
responsables d’Arsinoe ont lu l’article et ont trouvé ma proposition pertinente.
Arsinoe est donc aujourd’hui favorable à la justice restauratrice, mais n’est pas
engagée formellement dans la promotion de cette approche, contrairement à des
associations telles que l’Inavem ou Citoyens et Justice.
-La
justice restauratrice et le pardon.
La situation est ici très différente de celle qui concerne la relation entre
Arsinoe et le pardon. Les actes du
colloque reprennent ce propos de ma plume : « Le pardon et la réconciliation
peuvent éventuellement survenir à la fin d’une telle médiation, mais ce ne sont
pas l’objectif recherché. » En revanche, la demande de pardon, de la part
de l’agresseur, est effectivement une des attentes de la justice restauratrice,
et est souvent exprimée au cours de celle-ci. Si l’expression « demande de
pardon » pose problème à certains, en raison de ses éventuelles connotations
religieuses, on peut utiliser le mot regrets. Pour ma part, je pense qu’on peut
demander pardon sans références religieuses, et que cette expression est plus
forte que d’exprimer des regrets. Mais ce n’est qu’un avis personnel.
Enfin, je
découvre seulement aujourd’hui, par l’un des commentaires ci-dessus, ces informations
concernant le père
Drouaud et les moments de prière. Il est facile de constater que ce prêtre, que
je ne connais pas, n’est pas intervenu au cours du colloque (programme du
colloque : http://www.bon-pasteur-bfm.org/clients/bonpasteur/upload/fichiers/programme-arsinoe.pdf).
Par ailleurs, aucun moment de prière n’a ponctué ce colloque. Je suppose donc
que ces activités ont eu lieu parallèlement au colloque, au sein de la
communauté du Bon Pasteur. En tout cas, rien de cela n’a eu lieu au cours du
colloque.
J’espère que
ces quelques lignes vous auront éclairé. Je n’aurai pas le temps de répondre à
d’autres commentaires. Ce n’est pas une volonté de ma part de couper court aux
échanges (j’y suis au contraire très favorable). C’est simplement une question
de gestion de mon temps. Au cas où vous souhaitiez en savoir plus, vous pouvez
vous procurer l’ouvrage de l’association Arsinoe, qui contient le texte de mon
intervention ou lire cet autre texte dont je rappelle la référence :
Lecomte
J. (2009). La justice restauratrice, in J. Lecomte (2009). Introduction à la psychologie positive, Paris, Dunod, pp. 257-270.
Votre article
fait largement référence à un rapport de l’association Arsinoe de 2011. En
fait, il ne s’agit pas d’un rapport mais des actes d’un colloque. Mais passons,
ceci n’est pas essentiel. Je suis bien placé pour en parler puisque j’étais l’un
des conférenciers invités, le titre de mon intervention étant précisément :
« La justice restauratrice au service de la reconstruction des victimes »
(références ci-dessous).
Le problème est
que vous n’avez pas lu ce livre et que vous n’en parlez qu’à partir d’informations
de seconde main. Qu’est-ce qui me permet d’affirmer cela ? Tout d’abord, il
n’y a dans ce livre aucun chapitre intitulé « Le pardon »,
contrairement à ce que vous affirmez.
Par
ailleurs, vous
écrivez : « On nous dit, sans évidemment citer aucune source, que
grâce à la « justice réparatrice », "entre 80 et 100% des
victimes se sentent vraiment prises en compte". Alleluia. »
Vous
vous trompez (et vous trompez vos lecteurs, ce qui est plus grave) puisque je fournis
les références de multiples recherches effectuées dans ce domaine. Je vous conseille
donc de lire ce que j’ai écrit, non des comptes-rendus de deuxième main. Je ne citerai
ici que le passage auquel vous faites allusion, avec la référence scientifique :
« 80 à 100 % des victimes déclarent être satisfaits du processus et de
l’accord qui en a résulté et recommanderaient une médiation à d’autres victimes.
Umbreit
M. S., Vos B. & Coates R. B. (2006). Restorative
justice dialogue, Evidence-based practice, Center for Restorative justice &
Peacemaking, University of Minnesota, p. 4.
Ce document
d’Umbreit, Vos et Coates est d’ailleurs disponible sur Internet :
Par
ailleurs, vous écrivez : « en
obligeant la victime à revoir son agresseur et à lui pardonner, l’agresseur
devient un « ex agresseur » et n’est plus susceptible de récidiver (on
rêve !). »
Ce
passage montre que vous connaissez mal la justice restauratrice. D’une
part, il n’y a évidemment aucune obligation pour les victimes ; ne
viennent en justice restauratrice que celles qui le souhaitent. Certes, il se
peut que dans certains cas, des victimes aient été poussées à le faire, mais c’est
alors une aberration ponctuelle, contraire aux principes de la justice
restauratrice. D’autre part, le pardon n’est aucunement un objectif de la
justice restauratrice. Celle-ci a pour premier objectif la reconstruction des
victimes. Il est vrai que certaines victimes pardonnent à leur agresseur, mais
c’est loin d’être une généralité, et lorsque c’est le cas, c’est un choix
personnel de la victime, sans pression de la part de la justice.
Sur la
question de la récidive, les faits sont là : les agresseurs passés par la
justice restauratrice récidivent moins que ceux passés par la justice pénale,
tout simplement parce que la rencontre avec leur victime leur a généralement
fait mieux prendre conscience de la gravité de leur acte.
Je n’ai
pas la place ici de détailler précisément les principes et le fonctionnement de
la justice restauratrice et je renvoie donc à l’article en question, ainsi qu’à
un autre plus complet, de ma plume également.
-Lecomte
J. (2011). La justice
restauratrice au service de la reconstruction des victimes, in Collectif, Inceste : après les blessures de l’intime,
comment retrouver un chemin de vie ?, Actes des journées d’étude, 14 et 15
octobre 2011 à Angers, Chenillé-Changé, Arsinoe, pp. 160-167.
-Lecomte
J. (2009). La justice restauratrice, in J. Lecomte (2009). Introduction à la psychologie positive, Paris, Dunod, pp. 257-270.
Je dirai
cependant que si la justice restauratrice a été instaurée dans de nombreux
pays, c’est précisément à la suite de l’insatisfaction des victimes vis-à-vis
du système pénal traditionnel. Elles n’ont pratiquement pas la parole lors des
procès (alors qu’elles l’ont très largement en justice restauratrice). Ceci est
évidemment tout à fait à l’inverse du « négationnisme de la parole des
victimes » auquel vous faites allusion. Ecrire qu’il s’agit d’une justice
réparatrice « pour les agresseurs » est un non-sens total. Une
attente majeure des victimes est que leur agresseur reconnaisse la souffrance
qu’il leur a causée et qu’il leur demande pardon. Cette reconnaissance n’apparaît
que rarement en justice pénale traditionnelle alors qu’elle est bien souvent
exprimée en justice restauratrice, ce qui explique la différence de taux de
satisfaction des victimes (au maximum 25 % de satisfaction en justice pénale,
entre 80 et 100 % en justice restauratrice).
Dans ma conférence,
j’ai cité l’exemple émouvant de Janet Bakke, abusée sexuellement par son
beau-père dans sa jeunesse et qui dit à quel point la rencontre avec son
agresseur emprisonné a été bénéfique pour elle, avec notamment ces propos :
« mon plus grand regret a été d’aller au tribunal. J’y ai beaucoup perdu ;
cela n’avait aucune valeur. (…) Ils m’ont offert (David et Sandy, qui
travaillent au sein d’un programme de médiation victime-agresseur) quelque
chose que j’avais souhaité toute ma vie : une occasion de rencontrer mon
beau-père et de l’interroger sans qu’il puisse s’enfuir. L’écouter admettre
vraiment la vérité a été l’un des moments les plus importants de ma vie.
C’était la première fois qu’il reconnaissait vraiment qu’il avait fait ces
choses. C’était la première fois qu’il ne m’appelait pas une petite salope
menteuse. Cela a été une étape de guérison parce que j’avais besoin de lui dire
à quel point il avait détruit ma vie. J’étais capable de lui faire face, et je
n’avais plus peur de lui. »
Deux
remarques pour finir :
-je
crois qu’il faut éviter d’employer des expressions comme « négationnisme »
« mabouls de la psychologie »,
« invention débile ». Cela nuit à un débat serein.
-vous
signez par le pseudo Ceri. J’ai cherché en vain votre nom sur votre blog. Je
pense que l’anonymat n’est pas une attitude très honnête lorsqu’on aborde des
sujets délicats, surtout sur le ton polémique qui est le vôtre.