En mettant en scène l’« Amphitryon » de Kleist d’après Molière sans toucher au texte, Sébastien Derrey entre au cœur de la pièce : un vacillement d’êtres.
(...) Kleist est plus tourné vers l’intérieur des personnages, ce qui sied au metteur en scène Sébastien Derrey. Amphitryon et Sosie pensent devant nous à haute voix, tout comme Alcmène, les dieux Jupiter et Mercure ne sont pas des surhommes, ils savent être amoureux ou taquins.
Dans l’ensemble, Kleist suit Molière mais s’en éloigne par le ton, l’ambiance, sans compter quelques remaniements et ajouts. Son approche est moins ludique mais plus troublante. Ce trouble est celui de l’identité et de l’amour confondus. C’est cela que Sébastien Derrey met en scène. Sans adapter la pièce à son tour, mais en en décrassant la surface, le décorum. La scénographie (Olivier Brichet) est retorse comme la pièce : au fond de la scène nue (hormis des chaises métalliques pour canaliser la jalousie du roi, seul moment d’éclat physique du spectacle) le rideau rouge du théâtre, drap de l’illusion, tenu par l’ossature métallique d’un cadre de scène. Au-delà se tient la chambre des ébats. « La scène est devant le palais d’Amphitryon » écrit Kleist. Mais c’est comme une scène renversée. On est de l’autre côté du théâtre comme on le dit des miroirs. Les personnages n’en sont que plus nus. D’autant qu’ils sont dirigés par le metteur en scène versune économie des gestes et des voix, sans afféterie pour autant, une tension du calme dans une tempête d’événements déstabilisants.
La pièce avance comme une enquête policière qui cherche à établir la vérité de faits et tombe sur desfaux, usages de faux, emprunts frauduleux d’identité et emplois du temps désarmants mais sans preuves probantes. Les dieux sont des dieux, ils peuvent tout, mais ils sont aussi humains ; l’amour peut les toucher. "