Il fallait que ce débat ait lieu car de nombreux enseignants de Lettres en première commençaient à diffuser cette idée ; friands qu’ils sont de vouloir animer leur cours avec des super-secrets révélés.
Je suis de la mouvance Molière écrit Molière dans la mesure où Molière écrit. L’écriture théâtrale n’est pas une écriture poétique ou romanesque elle peut se construire aussi avec des comédiens la notion d’auteur devient alors plus ténue. Molière est un chef de troupe, comédien, à l’esprit assez habile voire
brillantissime pour construire des pièces avec des trames connues de
tout ses contemporains, et de les mettre au goût du jour. Je dis bien il
construit et non pas il écrit.... mais je ne dis pas que quelqu’un d’autre écrit. Il
faut bien distinguer les auteurs « poètes dramatiques » de cet auteur
atypique qu’est Molière. On lira avec intérêt aussi "Observations sur
une comédie de Molière« du sieur de Rochemont (1665).
J’ai entendu dans un MOOC sur le théâtre classique Georges Forestier parler des éditions de Molière : il serait trop long ici de transcrire ses propos mais Molière n’est pas au sens propre un écrivain, je veux dire un écrivain de profession, c’est pour lui une activité nécessaire ce qui est très différent. Il faut lire les différentes versions imprimées des pièces et connaître les conditions d’édition pour comprendre l’enjeu de l’écriture chez Molière et les aimables éditeurs posthumes.
Il y a des arguments extra-littéraires. Si Molière n’a pas écrit une partie de ses pièces, comment se fait-il que dans le tout petit petit monde du théâtre parisien du XVIIème, où dès qu’on bougeait le petit doigt la République des Lettres remuait Ciel et Terre, qu’aucun des ennemis de Molière (nombreux) n’ait détecté cette pseudo-évidence : Corneille écrit Molière ou le pacte de Rouen. C’est du dernier romanesque. Rappelons que quand Racine cite un vers de Corneille dans les Plaideurs, tous les contemporains ont noté le fait. Les esprits de ce temps étaient très affutés dans leur perception de l’écriture, le plagiat et la ressemblance. Je ne m’étendrai pas sur le vocabulaire restreint du théâtre du XVIIème pour lequel il faudrait un ouvrage entier.
Si la mesure est utile et parfois nécessaire, pour ceux que ça intéresse, j’ai laissé la possibilité à tout le monde de comparer les pièces deux à deux avec le calcul de D. Labbé (la distance intertextuelle) sur un corpus de 840 pièces sur le site theatre-classique.fr . Je laisse chacun faire son opinion mais moi j’ai beaucoup ri et je ris encore.
Dans le groupe des Moliéristes, on note aussi des linguistes et lexicographes qui ont pignon sur rue, comme Etienne Brunet, Jeean-Marie Viprey, Charles Bernet et chez les Corneilliste on note des gens très compétents mais qui ne sont pas des historiens de la littérature. Car l’hypothèse initiale, rappelons le, est une histoire de calendrier sur laquelle on fait jouer une concordance d’évènements, tout ceci issue des biographies douteuses de Molière : un enquêteur de police judiciaire aurait du mal à faire condamner un coupable auprès d’un juge sur des faits aussi minces.
Pour finir, je demanderais volontiers à tout un chacun de lire ou de relire »La Formation de l’esprit scientifique" de Gaston Bachelard et d’autres ouvrages d’épistémologies des sciences où il est recommandé ne pas tomber dans un excès de confiance envers une intuition première et d’éviter ensuite de construire un outil pour la démontrer impérativement.