L’article « Bye-bye big bang ! », paru dans Philosophie magazine (numéro 64, novembre 2012), n’a aucune visée apologétique ou athée militante. Le physicien Gilles Cohen-Tannoudji s’exprime en scientifique. Ses engagements et ses opinions ne sont pas en jeu ; il n’entend accréditer ou démolir aucune croyance.
Il montre que si la physique ne doit pas être bridée par la métaphysique, la métaphysique et la foi ne devraient en revanche pas attendre de justification scientifique. On peut supputer l’existence d’un Dieu et néanmoins penser rationnellement, explorer des hypothèses, avancer des arguments raisonnables.
Le chanoine catholique Georges Lemaître lui-même, défenseur de l’hypothèse d’un « atome primitif », que l’on appellera big bang, n’en pensait pas moins. Il affirme face au pape Pie XII, lorsque ce dernier récupère en 1951 la théorie du big bang pour accréditer scientifiquement l’idée du Fiat Lux, que vouloir prouver par des équations physiques l’existence de Dieu est aberrant, sinon dangereux pour le dogme. Il est à craindre un retour de flamme : la Genèse pourrait jouer sa crédibilité en s’aventurant sur le terrain de la science.
Il serait, par ailleurs, aisé de montrer que l’expansion infinie de l’Univers ne contredit pas l’existence divine ou l’idée d’une création ex nihilo ; un dieu à l’origine de toute chose a bien pu créer l’Univers dans un espace-temps infini. Mais la création ex nihilo n’est pas une hypothèse scientifique ; il s’agit bien d’une hypothèse métaphysique.
Or la rigueur demande de veiller à ne pas mélanger les ordres de connaissances, ni à subordonner les uns aux autres : le scientifique et le théologique, le rationnel et le surnaturel, le physique et le métaphysique. Ce que fait allègrement William Lane Claig, mentionné en guise d’exemple dans les dernières lignes de ce billet intitulé « Big flop », qui se sert de la science pour établir et justifier ses croyances, en protestant évangélique, défenseur de la théologie rationnelle et de l’intelligent design, plutôt qu’en philosophe.
Ajoutons aussi une invitation à parcourir à nouveau, sans a priori dogmatique ou prisme idéologique, bref avec un œil philosophique, l’hypothèse du physicien Gilles Cohen-Tannoudji, remettant en cause, si l’on veut bien lire, non la création de l’Univers par un agent x ou y, mais la création de l’Univers en un instant 0.
À NOTER : La vision de l’histoire de l’univers exposée ici par Gilles Cohen-Tannoudji fait l’objet d’un large consensus dans le domaine de la cosmologie dite observationnelle. C’est un domaine dans lequel les chercheurs tentent de bâtir des modèles susceptibles d’expliquer les observations des satellites, lesquelles se sont beaucoup affinées, surtout depuis les années 2000. Ce sont les observations du satellite Cobe (lancé en 1992) puis celle du satellite WMAP (lancé en 2003) qui ont donné l’élan à cette nouvelle vision des choses.
À LIRE : Une compilation des paramètres du nouveau modèle standard de la cosmologie est proposée par Ofer Lahav, Andrew R Liddle : The Cosmological Parameters 2010 ArXiv : 1002.3488. Voir aussi la conférence Nobel de George Smoot, et celle de Saul Perlmutter. Une interprétation originale de cette cosmologie, séduisante, se trouve dans T. Padmanabhan Emergent perspective of Gravity and Dark Energy, ArXiv:1207.0505. Sur l’impact culturel de cette cosmologie, voir Lawrence M. Krauss : The Big Bang, Modern Cosmology and the Fate of the Universe : Impacts upon Culture : ArXiv : 1002.1952.