...se délocalisant vers les pays de main d’œuvre à bas coûts.
Vous auriez pu écrire : « ...vers les pays où la monnaie est fortement dévaluée. »
C’est à dire où la sacro-sainte deuxième fonction d’Aristote (l’étalon monétaire) ne joue en rien ; bien que les pays s’en revendiquant, quand ça les arrange, ne se gênent pas pour en profiter sans vergogne.
Pour l’instant le seul étalon monétaire est la puissance du canon étasunien et la propension au sacrifice des ouailles enrégimentées.
Ne vous en faites pas trop. J’ai également connu cette appréhension, peut-être fortement instillée par 1984 et son extrémisme caricatural nécessaire à une mise en garde. Orwell n’envisageait qu’une tendance à la destruction des mots et de leurs sens associés sans possibilité de résurgence de ces mêmes sens sous d’autres formes. Or, ce ne sont pas les mots l’important ; l’important est le sens et celui-ci existe malgré l’absence de support à son expression.
Dès qu’un sens apparaît à l’esprit d’un humain : celui-ci cherche à poser une forme dessus pour l’exprimer. Ce n’est pas forcément un ou des mots qui surgissent d’emblée ; cela peut-être du graphisme, une sculpture, des notes musicales, etc. et cela peut être durablement confus pendant longtemps même après que ces arts se soient transformés en mots.
En tant que musicien j’ai eu l’occasion de travailler avec un rappeur qui m’a appris un lexique débordant de nouveauté pour moi à l’époque ; alors qu’il était couramment parlé en 2003 dans cette banlieue proche de Paris mais totalement absent — et encore aujourd’hui en 2022— de la pauvreté lexicale médiatique recherchée. Parmi ces mots nouveaux certains sont la traduction d’un sens précis afférent à une situation précise et n’ont pas d’équivalent en Français.
De plus il a nombre de transformations (morphologie lexicale) qui permettent de continuer à utiliser un sens malgré la dépréciation de la forme qui permettait son expression. Par exemple est-ce que la liste des quatre cents mots comprend : « Renoi ; Noiche ; Kebla ; Reubeu ; etc. » ? Est-ce que la disparition des supports rendra impossible la pensée d’un sens précis ? C’était la thèse d’Orwell.
Interdire le mot « Bamboula », connoté péjorativement, permettra-t-il :
1) la disparition des Africains « bamboulisés » ?
2) la disparition de l’esclavage des Africains ?
3) ou permettra-t-il de ne plus penser leur mise en esclavage ?
Le 1) et le 2) sont des raisonnements par l’absurde pour montrer les limites mathématiques de la question. Pour ma part j’ai longtemps redouté le 3) ; mais aujourd’hui je n’en suis plus si sûr. Pendant un temps peut-être mais il y a d’autres moyens que les mots et le sens prendra d’autres voies pour finalement re-sortir.
Une fois notre fille nous avait fait marrer par qu’elle avait ré-inversé le mot Chelou pour en faire Lou-che (en prononçant distinctement le che).
Voyez-vous ? Le sens sait retourner sa veste le temps qu’il faut pour survivre.
Bref : le sens se passe de dictée ; il existe au delà de la forme et rien ne peut le corrompre.