J’ai du mal à comprendre ce qui, véritablement, t’étonne.
Tu affirmes en préambule que tu ne veux pas faire de politique mais, grands dieux, de quoi parlons-nous là ?
Ce projet de loi, au même titre que les innombrables qui l’ont précédé, n’a bien évidemment qu’un aspect cosmétique.
Tout le monde -et les télétravailleurs en particulier- voudrait croire qu’il en va autrement.
Mais réveillons-nous, une bonne fois, décidément.
Tel qu’il est conçu aujourd’hui, le télétravail ne constitue dans les faits qu’une forme de précarité supplémentaire, très organisée, y compris par des prestataires de services qui ont bien compris leur intérêt, une précarité terriblement efficace au sein de laquelle la perspective d’une indépendance relative vient justifier un esclavage de facto.
À mon sens, et pour faire court, il ambitionne (d’aucuns ambitionnent pour lui, devrais-je dire) de devenir ni plus ni moins qu’un mode de gestion alternatif, séduisant parce que moderne, qui marie trois avantages absolus : la délocalisation du travail, la délocalisation de l’outil de production, et le report de la responsabilité qui, dans les métiers qui sont les nôtres, en découle fort logiquement.
Le résultat c’est qu’à fort peu de frais, l’on peut désormais mettre en œuvre des process industriels pour le quart ou le dixième de ce qu’ils auraient impliqué, en terme de coûts, voilà cinq ans.
Mais nous savons tous ce qu’il en coûte, au bout du compte, des avantages absolus.
C’est ce qui fait que dans les journaux, et y compris dans la grande presse pour ne prendre qu’un exemple, les effectifs des rédactions fondent plus vite qu’un pot de Haagen-Dasz. Ce qui fait que dans un journal, un secrétaire de rédaction peut se retrouver, du jour au lendemain, bombardé maquettiste et iconographe, lorsqu’il n’hérite pas de la correction et de la révision, de surcroît...
Tout ceci ne s’est pas mis en place d’un coup d’un seul. C’est le résultat de près de trente ans de détricotage du droit du travail, sous couvert de la liberté d’entreprendre.
J’ai connu les deux mondes. Je fus salarié, je suis désormais indépendant et je m’apprête à devenir artiste, un statut dont je tends à penser qu’il s’agit de la seule façon de parvenir à marier indépendance et exigence, tout en parvenant à rigoler un petit peu de temps à autres.
À la lecture de ton texte, mon cher Cyril, je ne puis m’empêcher de voir surgir la vision d’un monde parfait du télétravail, un monde où des travailleurs totalement indépendants, solidement épaulés par des prestataires de services avisés autant qu’équitables, viendraient offrir leurs services à des firmes conscientes de leurs responsabilités et soucieuses de la qualité.
Dans les faits, et comme à l’habitude serais-je tenté de dire, les textes ne viennent que légitimer une situation existante.
Pour ce qui nous concerne, nous, les indépendants, force est d’admettre que la situation n’était déjà guère reluisante.
Je ne vois personnellement pas comment elles pourraient devenir pires encore. En particulier, je ne vois pas, contrairement à ce que tu suggères à la fin de ton papier, comment nous pourrions courir le risque de voir notre statut disparaître.
En tant que traducteur, je puis au mieux espérer toucher 9 centimes du mot source. Ce qui m’en laisse grosso-modo 4,5 après paiment de mes charges, mais avant impôt. Si tu comptes bien, ça me fait le salaire d’une femme de ménage parisienne au bout du mois, à temps de travail équivalent, soit environ 1500 € pour 45 ou 50 heures de travail hebdomadaire, rivé à ma bécane pour être sûr de ne laisser passer aucune mission.
Et au fait, c’est quoi le tarif du feuillet pour un pigiste aujourd’hui ? Ou celui d’un quart de page dans un magazine parisien ?
Alors de quel statut parlons-nous ?
De mon point de vue, il n’a que fort peu de chances de pouvoir empirer, même si le pire est toujours certain.
Mais en tout état de cause, je vois mal les travailleurs indépendants disparaître au moment précis où la tendance ultime, en matière d’industrie, consiste pour un entrepreneur à se sortir les mains du cambouis et à devenir un simple donneur d’ordres, autant que faire se peut.
L’émergence de structures de portage, pour ne citer que cet exemple et sans malice aucune de ma part, en est la preuve même. Je n’ai jamais été habitué à payer avant de pouvoir travailler. C’est pourtant le modèle de nombreux organismes de portage.
On passe graduellement du zero-inventory au zero-crew. On peut s’en réjouir. Ce n’est pas mon cas. Mais quoi qu’il puisse en être, je maintiens qu’il faut bien que quelqu’un fasse le boulot.
C’est précisément la raison pour laquelle je vais devenir artiste, artisan autrement dit, la raison pour laquelle je vais désormais prendre le temps de produire un travail de qualité, à destination de gens qui vont savoir l’apprécier, un travail gratifiant pour moi comme pour mes commanditaires, dont je puisse être fier et qui puisse se transmettre. Un travail que, malheureusement, le statut d’indépendant ne m’autorise plus depuis longtemps.
Et de ce point de vue, le portage n’y fait pas grand chose.
J’ai du mal à comprendre ce qui, véritablement, t’étonne.
Tu affirmes en préambule que tu ne veux pas faire de politique mais, grands dieux, de quoi parlons-nous là ?
Ce projet de loi, au même titre que les innombrables qui l’ont précédé, n’a bien évidemment qu’un aspect cosmétique.
Tout le monde -et les télétravailleurs en particulier- voudrait croire qu’il en va autrement.
Mais réveillons-nous, une bonne fois, décidément.
Tel qu’il est conçu aujourd’hui, le télétravail ne constitue dans les faits qu’une forme de précarité supplémentaire, très organisée, y compris par des prestataires de services qui ont bien compris leur intérêt, une précarité terriblement efficace au sein de laquelle la perspective d’une indépendance relative vient justifier un esclavage de facto.
À mon sens, et pour faire court, il ambitionne (d’aucuns ambitionnent pour lui, devrais-je dire) de devenir ni plus ni moins qu’un mode de gestion alternatif, séduisant parce que moderne, qui marie trois avantages absolus : la délocalisation du travail, la délocalisation de l’outil de production, et le report de la responsabilité qui, dans les métiers qui sont les nôtres, en découle fort logiquement.
Le résultat c’est qu’à fort peu de frais, l’on peut désormais mettre en œuvre des process industriels pour le quart ou le dixième de ce qu’ils auraient impliqué, en terme de coûts, voilà cinq ans.
Mais nous savons tous ce qu’il en coûte, au bout du compte, des avantages absolus.
C’est ce qui fait que dans les journaux, et y compris dans la grande presse pour ne prendre qu’un exemple, les effectifs des rédactions fondent plus vite qu’un pot de Haagen-Dasz. Ce qui fait que dans un journal, un secrétaire de rédaction peut se retrouver, du jour au lendemain, bombardé maquettiste et iconographe, lorsqu’il n’hérite pas de la correction et de la révision, de surcroît...
Tout ceci ne s’est pas mis en place d’un coup d’un seul. C’est le résultat de près de trente ans de détricotage du droit du travail, sous couvert de la liberté d’entreprendre.
J’ai connu les deux mondes. Je fus salarié, je suis désormais indépendant et je m’apprête à devenir artiste, un statut dont je tends à penser qu’il s’agit de la seule façon de parvenir à marier indépendance et exigence, tout en parvenant à rigoler un petit peu de temps à autres.
À la lecture de ton texte, mon cher Cyril, je ne puis m’empêcher de voir surgir la vision d’un monde parfait du télétravail, un monde où des travailleurs totalement indépendants, solidement épaulés par des prestataires de services avisés autant qu’équitables, viendraient offrir leurs services à des firmes conscientes de leurs responsabilités et soucieuses de la qualité.
Dans les faits, et comme à l’habitude serais-je tenté de dire, les textes ne viennent que légitimer une situation existante.
Pour ce qui nous concerne, nous, les indépendants, force est d’admettre que la situation n’était déjà guère reluisante.
Je ne vois personnellement pas comment elles pourraient devenir pires encore. En particulier, je ne vois pas, contrairement à ce que tu suggères à la fin de ton papier, comment nous pourrions courir le risque de voir notre statut disparaître.
En tant que traducteur, je puis au mieux espérer toucher 9 centimes du mot source. Ce qui m’en laisse grosso-modo 4,5 après paiment de mes charges, mais avant impôt. Si tu comptes bien, ça me fait le salaire d’une femme de ménage parisienne au bout du mois, à temps de travail équivalent, soit environ 1500 € pour 45 ou 50 heures de travail hebdomadaire, rivé à ma bécane pour être sûr de ne laisser passer aucune mission.
Et au fait, c’est quoi le tarif du feuillet pour un pigiste aujourd’hui ? Ou celui d’un quart de page dans un magazine parisien ?
Alors de quel statut parlons-nous ?
De mon point de vue, il n’a que fort peu de chances de pouvoir empirer, même si le pire est toujours certain.
Mais en tout état de cause, je vois mal les travailleurs indépendants disparaître au moment précis où la tendance ultime, en matière d’industrie, consiste pour un entrepreneur à se sortir les mains du cambouis et à devenir un simple donneur d’ordres, autant que faire se peut.
L’émergence de structures de portage, pour ne citer que cet exemple et sans malice aucune de ma part, en est la preuve même. Je n’ai jamais été habitué à payer avant de pouvoir travailler. C’est pourtant le modèle de nombreux organismes de portage.
On passe graduellement du zero-inventory au zero-crew. On peut s’en réjouir. Ce n’est pas mon cas. Mais quoi qu’il puisse en être, je maintiens qu’il faut bien que quelqu’un fasse le boulot.
C’est précisément la raison pour laquelle je vais devenir artiste, artisan autrement dit, la raison pour laquelle je vais désormais prendre le temps de produire un travail de qualité, à destination de gens qui vont savoir l’apprécier, un travail gratifiant pour moi comme pour mes commanditaires, dont je puisse être fier et qui puisse se transmettre. Un travail que, malheureusement, le statut d’indépendant ne m’autorise plus depuis longtemps.
Et de ce point de vue, le portage n’y fait pas grand chose.