Il
est difficile de répondre à une lettre anonyme. Il est aussi difficile de ne
pas répondre quand on est mis en cause nominativement avec des citations,
exactes, mais tronquées.
Je
m’appelle Michel SUARD, l’un des « charlatans », « mabouls de la
psychologie », désignés dans votre article. En fait, je suis psychologue,
thérapeute familial, avec 50 années d’exercice, président de l’ATFS,
association de thérapie familiale systémique à Caen, et j’interviens particulièrement
dans les situations de violence intrafamiliale, en portant autant d’intérêt aux
victimes qu’aux auteurs et à l’ensemble de la famille.
Je
connais Roland Coutanceau, Jacques Lecomte, j’ai même lu tous leurs livres. Je
connais aussi l’équipe d’Arsinoé, Latifa Bennari, fondatrice de l’Ange bleu
(savez-vous que c’est une ancienne victime d’un pédophile ? Avez-vous lu
son livre ?). Mais je ne suis pas au courant de l’existence d’un « lobby ».
Je tiens trop à mon indépendance !
Il
y aurait donc un lobby qui ferait pression pour qu’on dénigre les victimes,
face à une opinion commune qui s’acharnerait contre les « tarés ».
Puisque vous êtes l’opinion courante, Agora Vox, la voix du peuple, permettez
que je vous nomme M. « On », le « on » défini dans les mots
croisés comme celui qui sait beaucoup de choses muais qui reste invisible.
M. « On »,
vous déformez gravement les propos de toutes les personnes que vous attaquez
dans votre pamphlet. Je ne vous invite pas à lire ce que j’ai écrit. Vous avez
lu et sélectionné ce qui vous arrangeait pour votre démonstration. C’est de
bonne guerre, s’il s’agit d’une guerre, mais certainement pas s’il devait
s’agir d’un débat. Il n’y aura donc pas de débat. J’invite seulement vos
lecteurs à aller sur le blog www.atfs.frpour y trouver la
totalité de ce que j’ai écrit et dit lors de conférences. Toutes mes réponses
sont dans ces textes.
Je
n’insisterai que sur une chose : C’est un conseiller d’insertion et de
probation qui, après un stage en Belgique, m’a fait découvrir que le travail
que je faisais en prison pouvait s’appeler « justice restauratrice » :
J’ai accompagné des entretiens entre auteur et victime d’inceste, toujours à la
demande de la victime, non pas pour qu’elle ou il pardonne, non pas pour
qu’elle ou il excuse, mais pour qu’elle ou il dise sa colère, son sentiment
d’injustice, son incompréhension, son amour aussi parfois, et pour que l’auteur
puisse d’abord reconnaître la réalité des abus, reconnaître le dommage causé
non seulement à la victime mais à toute la famille, exprimer ses regrets,
parfois mais rarement ses explications, car il n’y en n’a pas toujours de
satisfaisantes. Ces entretiens se sont toujours révélés « réparateurs »,
pour la victime d’abord, et aussi pour l’auteur. Le pardon n’est jamais « poussé »
comme l’indique le titre de votre article, jamais forcé ou obligé, ni même nécessaire.
Mais l’expérience prouve que les victimes qui décident librement de donner
leur pardon se sentent encore plus libérés après.
J’ai
dit et écrit à plusieurs reprises que mon expérience n’était sans doute pas généralisable
à tous les cas d’inceste (que je distingue par ailleurs de la pédophilie), mais
que cette expérience prouve seulement qu’elle est possible lorsque la victime
le demande , qu’elle en ressent le besoin, et que le coupable condamné est
prêt à rencontrer sa victime. Cela peut vous rassurer de considérer que les
auteurs de crimes sexuels sont tous des pervers ou des tarés. Il y en a. mais
ceux-là ne sont jamais venus me voir. Et après 50 ans de métier, je sais faire
la différence entre la comédie et le drame. Il y a bien sûr des pervers en
prison, mais je pense qu’ils sont plus nombreux à être passés au travers des
mailles de la justice. Beaucoup plus sont dehors, comme vous et moi !
Enfin,
je ne me sens pas très efficace comme lobbyiste. J’ai mené des entretiens en
prison pendant 12 ans. Je n’ai formé personne pour prendre ma suite. Cette
activité n’existe donc plus dans les deux établissements pénitentiaires où j’ai
exercé. Et l’interdiction de contact entre auteurs d’agressions sexuelles et
leurs victimes, décidée par une loi de mars 2010 vient vous donner raison, et
ne peut que vous satisfaire.
Alors,
pourquoi tant de haine et de mépris envers des personnes qui ne sont que des
professionnels et des chercheurs, des humanistes, désireux d’accorder le même intérêt, la même attention, la même
empathie, à des coupables qu’à des victimes, qui ne sont, tous, que des êtres
humains qui souffrent ?
Sachez,
M. « On », que le remerciement des personnes qui ont été victimes –
et qui ne veulent plus qu’on les appelle victimes – me satisfait évidemment
plus que vos propos fort peu amènes et qui ne peuvent avoir pour effet
qu’entretenir la haine et la peur, ce qui ne me paraît pas êtren le meilleur
moyen de venir en aide aux victimes.