Permettez-moi de vous soumettre ces commentaires d’humeur (en vrac), basés sur ma modeste expérience de ce pays :
1) Il me semble plutôt que ces élections sont - avant tout - un cuisant échec de la coalition PLD-New Komeito, coalition qui a souffert, au cours de ces dernières années, d’un déficit de chef charismatique, sur fond de crises (politiques, économique) à répétition et d’usure générale des institutions : après le bien pâle et pusillanime Fukuda, le velléitaire et brouillon Aso... Le jeu était faussé d’avance ; et que dire de l’efficacité de mesures prises un jour et défaites le lendemain. Souvenons-nous du tonitruant (et cassant) Koizumi (père), lequel, alors leader du PLD, fédérait (naguère) tout à fait le Japon, bien que menant une politique souvent bien plus à droite que celle de ses successeurs, s’affichant aussi sans vergogne dans le sanctuaire très-droitiste de Yasukuni, au grand dam des deux Chine, des deux Corée, etc... et qui, lui aussi, avait introduit des nouveaux/elles-venus/es dans l’Assemblée... Sans parler du soutien aux premiers pas politiques de son jeune (e qui semble être un avantage, n’est-ce pas ?) fils, plus récemment... D’autre part, la sanction des urnes ne préfigure absolument pas le succès des vainqueurs ; ceux qui ont voté naguère Koizumi votent aujourd’hui DPJ. Et : on aura vu maintes fois, dans bien des pays, à bien des occasions, des élus se révéler autrement plus catastrophiques que leurs prédécesseurs (*)...
(*) Un peuple peut tout à fait se tromper : Hitler est arrivé au pouvoir de manière tout à fait légale... C’est la loi démocratique.
2) Leader charismatique ? On peut penser ici à Ozawa, qui a été - malheureusement - écarté du leadership du DPJ sur fond de fraude. Nous verrons comment ceci se règlera avec le pâle Hatoyama, dont il ne faut pas oublier qu’il affiche un pédigree en tous points semblable avec celui d’Aso. C’est à dire souffrant des mêmes liens avec le passé troublissime du Japon. Et bénéficiant d’innombrables relations d’inter-service (typiquement japonais) avec les autres politiques. Et notons que le DPJ est en train de s’ouvrir à la transfuge Tanaka (*), fille et héritière sans aucun complexe de l’un des politiciens les plus corrompus de l’après-guerre (affaire Lockheed !)...
(*) Il s’agit pourtant de l’une des personnalités politiques les plus appréciées de l’archipel.
3) Ras-de-marée de gauche ? Ceci me semble aussi à regarder à plusieurs fois, le DPJ vainqueur étant surtout composé de transfuges du PLD, et la gauche n’ayant pas une excellente presse dans un pays où, souvenons-nous, le parti socialiste (*) a tout à fait raté la gestion du séisme du Hanshin, il y a plus de dix ans. Je pense surtout à une usure des institutions politiques, qui ne répondent plus vraiment aux attentes des citoyens, et surtout des citoyennes, de plus en plus concernées par ce domaine, cherchant à préserver leurs acquis et à améliorer le reste. D’autre part, le Shin-Komeito pourrait tout aussi être classé à gauche, s’agissant d’un parti bouddhique essentiellement social ; d’ailleurs nombreux sont ceux qui ont critiqué son alliance - tactique - avec le PLD, pour cette bonne raison.
(*) Le brouillon et dogmatique Murayama avait refusé de faire intervenir les FAD à Kobe au prétexte qu’il était antimilitariste ; le bilan humain reste là...
4) Burakumin : tout d’abord, il s’agit d’un problème de division sociale (devenue caste) nippo-japonaise, hérité du passé (permettez-moi de vous renvoyer vers l’excellente analyse du regretté Y. Amino à ce sujet). En conséquence, les personnes d’origine coréenne (*), qu’elles soient implantées au Japon depuis l’occupation du XXème, ou du XV/XVIème, voire bien avant (clan Hata), ne sont pas - techniquement - des burakumins ; je crois d’ailleurs que M Aso a lui-aussi des parents d’origine coréenne, s’agissant d’une famille buke du Kyushu. Et je doute que vous fassiez plaisir à ces personnes d’origine coréenne en les traitant de burakumins (test à faire !). D’autre part, il ne me semble pas que ce problème soit essentiel aux Japonais. C’est un sujet qu’ils abordent bien peu, sinon du bout des lèvres, et quand on les interroge à ce sujet...
(*) L’amiral Tojo, pendu comme criminel de guerre et inscrit au Yasukuni, était justement d’origine coréenne...
5) Bureaucratie japonaise : toutes proportions gardées, elle est tout de même bien moindre que sa consoeur française, et en effectif, et en pouvoir... On la charge régulièrement de tous les pêchés : c’est là une antienne du PLD de Koizumi, puis du DPJ, que de vouloir attaquer les fonctionnaires, en leur prêtant des goûts du lucre (il suffit d’aller dans un service administratif japonais pour se rendre compte du contraire ; et les exemples de concussions sont tout de même bien rares), et en critiquant l’amakudari. Pourtant, ce système, qui n’est absolument pas propre au Japon (que dire d’Alain Juillet qui vient de rejoindre l’américain Orrick, a la suite de Clément et d’Attali...), n’a pas que des défauts. Pourquoi les entreprises privées devraient-elles se refuser les compétences et l’expérience d’anciens administratifs ? Et pourquoi ces anciens administratifs devraient-ils obligatoirement arrêter et prendre une retraite (*), coûteuse au pays, plutôt que de continuer à le servir et à payer la retraite d’autres plus nécessiteux... Et cette même bureaucratie a accompagné et soutenu, sans piper mot, la démocratie japonaise jusqu’à nos jours.
(*) Supprimer l’amakudari signifierait offrir parallèlement des compensations financières, parfois importantes, aux intéressés... Nous verrons donc bien comment le DPJ s’y prendra...
6) Origine coréenne de l’empereur (je ne me souviens pas d’une déclaration du l’intéressé (*) à ce sujet : pourriez-vous éclairer ma lanterne ? Je ne pense pas qu’il s’agisse de Showa) : what for ? Vaste question, où les zélateurs et les contradicteurs apportent de nombreux arguments, à prendre avec des pincettes, l’histoire étant très politisée en Asie... Sans parler de la naissance légendaire d’Ojin, s’il semble avéré que les Sôga avaient des liens familiaux avec des princes du P’aekche, il ne semble pas que les premiers dynastes japonais s’en soient recommandé pour valider leurs tentatives d’invasion de la péninsule (or, pourtant, à cette époque, c’est la civilisation coréenne qui était le référent, pas le Japon...). En se basant sur les objets récupérés dans les tumuli, dont certains proviendraient en réalité de Corée, aux dires d’historiens coréens (et ils semblent bien qu’ils aient raison), on s’aperçoit effectivement que les influences coréennes sont très marquées dans le Japon de l’époque Kofun. Mais ceci ne veut en rien dire que les caciques de l’époque aient été coréens. Ce n’est pas parce que les moines chinois s’habillent d’une robe de safran qu’ils sont réputés d’origine indienne... Et notre empereur Triticus, bien que paré de regalia romains, était pourtant purement gaulois, d’après les témoignages de l’époque...
(*) Si cette origine était avérée, devrait-il raisonner en Coréen (dont il serait alors à 0,0001%), ou en Chinois (0,0010 probables), ou en Japonais (tout le reste...), voire en polynésien ?
7) Age de Hatoyama : 62 ans. Ceci vous semble un problème. Pourquoi ? Il est vrai qu’au Japon, la classe politique n’est toujours des plus jeunes, certes. Mais l’âge est-il tant que cela rédhibitoire ? Pourquoi s’interdire de bénéficier de l’expérience des uns et des unes ? Je crois plutôt que le Japon s’orientera vers l’ouverture de l’emploi aux femmes de plus de 40 ans, dont beaucoup (makeinu, veuves ou divorcées) se retrouvent sans ressources. C’est à dire s’ouvrir à une population encore naguère promise au placard social (*). Souvenons-nous encore que Hitler est arrivé assez jeune au pouvoir (45 ans environ), alors que le très-honnête Adenauer a été nommé chancelier dans sa 73ème année... Que dire de leurs bilans respectifs... ?
(*) Et oui ! Le Japon vieillissant à grandes enjambées, il lui faut donc revoir une bonne part de son modèle économique, et, pourquoi pas ?, nous donner des leçons (utiles ?) en la matière dans quelque temps... Au risque, sinon, d’accroitre la charge des actifs : serait-ce économiquement (et humainement) viable ?
8) En ce qui concerne les besoins de changement(s) de ce pays, faisons confiance aux Japonais. Personnellement, j’apprécie beaucoup d’y vivre, de vivre dans une vraie démocratie asiatique (la passation de pouvoir en est une preuve), à la différence de celles de ses voisins, Chines, Russie, Corées, etc. (*) Néanmoins, je ne sais pas si ces changements se feront sur la droite ou sur la gauche ; en particulier, je pense à la Constitution actuelle, non-belliciste et donc soutenue par la gauche japonaise (pacifiste et assez anti-américaine), Constitution que le centre et la droite voudraient modifier, ne serait-ce que pour disposer d’une armée stricto-sensu. Nous verrons bien...
(*) N’oublions pas que ceux qui critiquent le plus vertement les « tentations extrémistes » du Japon sont la Corée du Nord, si démocratique (que pensez-vous de la nomination un jeune homme de 24 ans (environ) à la tête de l’agence de renseignement du pays, pour devenir bientôt, selon toutes prévisions, le leader bien-aimé), la RPC, si démocratique et nullement belliciste, que bénissent chaque jour Tibétains et Ouighours (pour ne pas citer les autres), Taiwan, digne héritière de Tchang Kai-Chek (qu’y sont donc devenus les indigènes, après deux siècles d’occupation Han ?), jamais condamné pour crimes contre son peuple, la Corée du Sud, où, 20 ans auparavant, porter les cheveux longs, pour un homme, était passible d’emprisonnement, etc...
Voisinage difficile pour l’une des (sinon la) plus ancienne(s) démocratie d’Asie.
TDD
PS : une autre question : pourquoi écrivez-vous qu’Aso a « souillé son nom » en devenant Premier ministre ? Ne serait-ce pas plutôt ses parents et grands parents, qui n’ont pas hésité à exploiter des prisonniers militaires et politiques dans leurs cimenteries ?