Turcophobie : les raisons.
Selon l’expression d’André Fontaine, il demeure encore de nos jours « un déficit d’image qui se traduit par un déficit d’affection » à l’égard de la Turquie. On l’a vu, le poids de l’histoire, ou plutôt de l’enseignement d’une histoire où les Turcs sont présentés comme une menace militaire contre une Europe chrétienne, la transmission cinématographique d’une image hollywoodienne de la Turquie, plus arabe ou hindoue que turque, et l’attitude générale de l’opinion publique occidentale (qui apparente la confession musulmane aux régimes antidémocratiques en terre d’islam, islamistes ou non), sont autant d’éléments qui ont nourri les fantasmes populaires et les préjugés en Occident à l’égard des Turcs.
A cela s’ajoute un autre facteur, de plus en plus déterminant, qui est l’analyse subjective, par les médias occidentaux, des problèmes politiques relatifs à la Turquie. La question kurde, par exemple, y est souvent présentée de façon unilatérale, sans mentionner la violence meurtrière du PKK (le Parti des travailleurs du Kurdistan, marxiste-léniniste à l’origine, il a fini par prendre une coloration ultra-nationaliste et xénophobe. Cette organisation souhaite constituer dans le sud-est de la Turquie, un Etat socialiste kurde indépendant). L’implication de ce mouvement dans le commerce de la drogue et des armes est attestéepar les polices européennes [23]. Cette organisation terroriste est d’ailleurs fermement condamnée par les autorités occidentales.
Pourtant, alors que les séparatistes corses ou basques sont qualifiés de « terroristes », et combattus comme tels, les militants du PKK deviennent dans certains journaux européens des « combattants de la liberté », menant une « lutte juste » pour « l’indépendance nationale des Kurdes ».
Au regard de ces faits, il n’est pas étonnant que les Turcs aient le sentiment d’être les victimes d’une certaine « hypocrisie » occidentale, ce qui d’ailleurs, fait le jeu des mouvements islamistes, opposés à l’intégration de la Turquie à l’Europe, et qui exploitent habilement la frustration de la population à l’égard du traitement que leur réservent les Européens.
Le terrorisme du PKK a rendu de plus l’action diplomatique d’Ankara vulnérable aux critiques portant sur le non-respect des droits de l’Homme. A ce niveau, on constate une interaction entre la défense de la cause kurde et la défense des droits de l’Homme : ceux qui militent pour la première sont souvent aussi ceux qui participent à la seconde.
En France, comme en Allemagne, ce sont essentiellement des mouvements de gauche, partis socialiste et communiste, des syndicats, comme la CGT, ou encore des organisations d’extrême gauche, qui constituent le front anti-turc. A ce niveau, une question se pose : le thème des droits de l’Homme n’est-il pas mis en exergue par ces organisations pour discréditer les autorités turques, et donner une image de victimes aux séparatistes du PKK, légitimant ainsi leur combat, et, plus grave encore, leurs méthodes ?
Il convient également de mentionner un autre facteur, jouant un rôle déterminant dans la perception que se font des Turcs les Occidentaux : l’influence des lobbies grec et arménien. Ce point particulier du lobbying est trop souvent occulté, bien qu’il explique dans une grande mesure la persistance d’une image négative des Turcs en Occident. Les communautés grecque et arménienne, du fait des lourds contentieux historiques avec les Turcs, véhiculent souvent une vision déformée et subjective qu’il n’est pas rare de retrouver chez un Américain ou un Européen ayant un Grec ou un Arménien parmi ses amis. Les Grecs ont ainsi longtemps profité de la frilosité des Turcs pour les dénigrer davantage sur la scène internationale. Et leur discours a toujours porté, du fait des a priori favorables que nourrissent les opinions publiques occidentales à leur égard. Une importante diaspora grecque aux Etats-Unis (plus d’un million de personnes), active et très influente, joue très souvent un rôle important au point de perturber, à de nombreuses reprises, les relations américano-turques. Les communautés arméniennes, comme celles de France ou des Etats-Unis, ont, elles aussi, un capital de sympathie dans les opinions publiques occidentales. Grecs et Arméniens ont eu, et ont encore, un rôle central, dont on a souvent tendance à sous-estimer l’influence, dans la vision des Turcs qu’ont les Occidentaux.