Pascal
à la première question : comment expliquer l’émergence d’un électorat critique, je réponds de la manière suivante :
il y a une partie croissante des classes moyennes en France qui se heurte à un double blocage. D’une part, elles ne peuvent pas s’engager de manière intéressante et durable dans une carrière professionnelle dans le monde privé. D’autre part, elles se heurtent à des blocages bureaucratiques très forts au niveau des marchés de l’emploi public.
A mon sens, ce qui différencie la capacité de certains pays nordiques ou autres à générer de l’emploi par rapport à nous, c’est la possibilité donnée aux gens de produire, de prendre des initiatives dans le domaine de la vie sociale ordinaire.
Les exemples sont partout : vous souhaitez ouvrir une petite garderie, impossible. Vous envisagez des nouveautés pédagogiques, c’est non. Vous apportez de bonnes idées dans votre entreprise, on vous écarte. Vous faites de l’alphabétisation et vous cherchez les méthodes et les livres adéquats pour enseigner le français, il n’y en a pas vraiment. Vous demandez des renseignements techniques à un groupe industriel, on se méfie de vous.
Le repli des deux marchés du travail, fermés l’un par rapport à l’autre, et à l’intérieur d’eux-mêmes, a généré une expérience sociale critique depuis des années dans certaines catégories de la population que Bayrou a capté sur le thème majeur du « blocage ». Ce blocage exercé par les appareils du marché de l’emploi de l’Etat et du privé sur l’initiative de la société courante est bien moindre en Allemagne par exemple. Les agences de lutte contre la discrimination et autres appareils n’y peuvent rien.
Lorsque Bayrou parle d’initiative créatrice des individus, ce n’est pas la même chose que Sarkozy qui, lui, se réfère surtout à la grande entreprise et non au personnes qui ont des compétences mais ne peuvent pas en faire usage.
De là vient l’électorat critique : il constate que la droite va verrouiller encore plus le privé et la gauche encore plus le public. Le « centre » est une tentative presque symbolique d’apporter de l’air. Les gens s’identifient à cet air manquant, et votent.
A la question 2 :
il y a donc une rencontre de gens de gauche et de droite parce qu’il y a un nouveau point de vue social, qui les réunit durablement. Paradoxalement, ce centre n’est pas au centre mais à l’extérieur, ce qui explique un discours qui, dans certains domaines est plus à gauche et plus ouvert que celui de la gauche, qui vise à ouvrir des portes, et qu’il est accusé d’être anti-système.
Pourquoi Bayrou va dans ce sens, dans le sens populaire, jusqu’où ira-t-il et avec quelle projet de société à long terme ? Tout ça c’est de l’histoire à venir.
Merci de votre commentaire intéressant et constructif.
Pierre Arrighi