@L’auteur
Je trouve cet article détestable sur le fond mais instructif sur la forme. Il est construit sur le postulat non énoncé que la lutte contre l’homophobie est identifiable à l’homophilie, puis utilise une rhétorique fallacieuse pour dénoncer cette lutte au nom de la liberté de conscience. Du grand art, Monsieur l’Avocat Général.
Je ne suis pas persuadé que des instances officielles aient la charge de dicter aux citoyens ce qu’ils doivent ressentir, penser, aimer dans le domaine de l’intimité.
Premier dérapage. L’objectif d’une telle journée, que vous n’avez bien entendu surtout pas défini, est bien de faire en sorte que les gens prennent consience du problème, et y réfléchissent. Donc y pensent. Il n’est pas demandé d’aimer les homosexuels, ni même de ne pas ressentir d’aversion à leur égard, mais simplement de ne pas les discriminer sur la base de leur seule homosexualité.
N’a-t-on le choix qu’entre l’hostilité ou la complaisance ?
Deuxième dérapage, inutilement provocateur. La réponse est évidemment non, l’objectif étant d’aboutir à l’indifférence (en l’absence de provocation délibérée), de la même manière que l’on s’efforce de ne pas traiter quelqu’un différemment selon sa religion, son sexe ou sa couleur de peau.
...les pratiques majoritaires parce que naturelles...
Troisième dérapage, peut-être le plus grave si incontrôlé, et qui dénote au mieux un grave déficit d’information et au pire un esprit réactionnaire. La sexualité des animaux sociaux, humains compris, est tout sauf naturelle. Depuis toujours.
Loin de moi l’idée de contester la nécessité d’une politique contre les violences causées aux homosexuels, contre les multiples discriminations dont ils sont victimes. La sévérité la plus grande doit être manifestée à l’encontre de tous ceux chez qui la haine ou le dégoût se traduisent par des comportements pénalement répréhensibles.
Artifice de construction : vous attendez le milieu de l’article pour évoquer le fond du problème, après trois charges lourdes qui ont permi de conditionner votre lecteur. Votre appel à la sévérité vous rend respectable, pour peu qu’on ne remarque pas qu’elle ne s’applique qu’aux comportements pénalement répréhensibles. Autrement dit excluant toutes les petites mesquineries quotidiennes, et plus généralement toutes les offenses qui ne vont pas donner lieu à plainte ou main-courante.
...au motif que la communauté homosexuelle doit être flattée.
Quatrième dérapage. Vous réduisez l’objectif de cette journée à la satisfaction d’un lobby.
Cela ne regarde pas les Etats tant que des transgressions à la loi n’ont pas été perpétrées.
Cinquième dérapage, et cette fois on nage dans l’hypocrisie. Vous mentionnez vous-même que dans certains états on en est encore au stade de la dépénalisation, ce qui en dit long sur le chemin à parcourir. Faut-il souligner qu’il s’agit d’une journée internationale ? Quant au respect de la loi, si on se limite à la France, combien de transgression échappent-elle à la répression sévère que vous appeliez de vos voeux quelques paragraphes plus haut, simplement parce que les victimes ne peuvent ou ne veulent pas porter plainte ?
Pour lutter contre l’homophobie, définie de manière si large que le moindre soupir de réserve pourrait être blâmé,
Sixième dérapage, critique non argumentée, donc partisane
... on fabrique une obligation de fraternité en confiant cette mission aux Etats.
Et enfin le pompon. L’obligation de fraternité est déjà là, au moins en France ! Prétendre qu’on la fabrique à cette occasion sous-entend qu’elle ne devrait pas s’appliquer dans ce cas !
Ce que vous ne voulez pas dire ou comprendre, c’est que l’objectif premier d’une telle journée est éducatif. Une éducation au respect de la différence, qui fait partie de la civilisation. La caporalisation, si elle existe, consiste à forcer à étendre la perception du champ de la liberté des autres à des domaines que certains considèrent - à tort - réservés. Et il me semble que cela fait bien partie de la mission civilisatrice des états...
La dérive préoccupante, s’il y en a une, consiste à vouloir légiférer sur tout car elle développe l’effet pervers selon lequel, à terme, est ressenti comme permi tout ce qui n’est pas explicitement interdit. Cette dérive légaliste éloigne des principes premiers (liberté, égalité, respect de l’autre, ...) sur lesquels devraient se fonder notre pratique sociale.
Ce que vous sembler rejeter au fond, c’est bien la banalisation publique de pratiques que vous considérez comme déviantes. Mais il faut être cohérent dans la lutte contre les discriminations. Cette lutte est gagnée lorque les traits discriminants (race, religion, sexe, orientation sexuelle, taille, couleur de cheveux...) ne conditionnent plus les discours et les actes. C’est un combat constant, qui ne signifie pas l’abandon de ses propres valeurs ou principes ou croyances, ces derniers étant par ailleurs à mon avis mieux servis par l’exemple que par la dénonciation et l’imprécation.
Je veux bien confesser une méfiance instinctive à l’égard des lobbies, et des accès de lassitude face à certaines outrances ou provocation des activistes -philes en général. Ce qui peut me rendre sur le sujet qui nous occuppe occasionnellement ’homophilophobe’ Mais j’essaye de me contenir... On peut discuter de la priorité à donner à une journée contre l’homophobie face à d’autres problèmes. Mais, selon moi, pas de sa légitimité. Et au final je considère que vous lui avez fait un fort mauvais procès.