La tolérance existe. Je crois qu’on la découvre avec une certaine surprise, lorsqu’on en est témoin. C’est aussi un talent personnel assez rare. Arrêter une injustice qui sourd derrière du conformisme lâche - bien des situations courantes et banales - mobilise des valeurs. Quelquefois au prix de la violence. Quelquefois, le sens du contact, de l’opportunisme, un minimum de raison. Nous découvrons alors une personne aux qualités incontestables et ceux, soudains isolés, à qui elle demande, par exemple, d’accepter dans le bus un peu chargé, une personne éconduite sur un critère raciste, et qui a besoin de cette assistance. Tout cela en accordant chacun avec une harmonie qui n’existait pas un instant avant.
J’ai eu l’occasion de découvrir que j’étais peu tolérant ou d’envier le talent d’un autre pour la beauté de ce trait de personnalité très construit et très élégant. Quelquefois j’y parviens depuis. En général, j’affiche un certain mécontentement et une certaine opposition. Souvent, quelques temps ayant passé, les mauvais sujets à qui je m’adressais, détournent les yeux, ou j’apprends qu’ils ont connu des difficultés... que je regrette pour eux... mais que voulez-vous...
Sur le vieux Voltaire, un intellectuel plus classique que nous, Paul Hazard, n’a pas été tendre.
Voltaire est un génie complexe qui promeut une curieuse transition ou réification de l’Ancien Régime à l’adresse d’une époque qu’il ne connaît pas encore. Goethe a une formule célèbre : « Avec Voltaire, c’est le monde ancien qui finit, et avec Rousseau, c’est un monde nouveau qui commence. »
On parle volontiers de ressentiment détourné pour comprendre Rousseau dans la polémique qui l’a opposé à Voltaire. Inversement, on parle peu, à ce sujet, de l’homme aigri et conscient de la supériorité intellectuelle et stylistique de son contradicteur. Si l’époque avait couronné Voltaire, l’histoire qui suivait, en France, puis le développement de la philosophie en Allemagne, ont largement confirmé la première place à Rousseau. Non seulement il est avec Chateaubriand, le plus grand écrivain de notre langue, mais il est aussi le plus grand penseur français.
Voltaire est une référence, mais pas un modèle.