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Leçon de tolérance

S’il y a eu un homme dont le courage et le génie ont combattu l’intolérance, c’est bien Voltaire (1694-1778). Sa lutte contre l’obscurantisme est, malheureusement, toujours d’actualité.

Leçon de tolérance

Si il y a eu un homme dont le courage et le génie ont combattu l’intolérance, c’est bien Voltaire (1694-1778). Par exemple, prenons l’affaire Calas. Ce négociant huguenot, protestant, a été accusé du meurtre de son fils qui s’était converti au catholicisme. Voltaire, convaincu de son innocence, met sa plume au service de la vérité et de la justice.

L’affaire se passe au XVIIIe siècle, à Toulouse, dans le sud-ouest de la France, dans un climat de haine et de suspicion. Il s’agissait d’une étrange affaire, de religion, de suicide, de parricide. Jean Calas exerçait le métier de négociant depuis plus de quarante ans. Son fils aîné, Marc-Antoine, de confession protestante, ayant été retrouvé pendu, on accusa son père avec d’autres complices, de l’avoir étranglé.

Quelques fanatiques toulousains s’étaient attroupés autour de la maison de Jean Calas, en s’écriant que celui-ci avait pendu son propre fils. Aussitôt, ce cri fut unanime, que la famille de Marc-Antoine et le jeune Lavaysse, son ami de toujours, l’avaient étranglé par haine contre la religion catholique. Toute la ville fut persuadée que c’est un point de religion chez les protestants qu’un père et une mère doivent assassiner leur fils dès qu’il se convertit.

Les Toulousains, l’esprit surchauffé, franchirent un pas de plus dans la haine et s’imaginèrent que les protestants du Languedoc s’étaient assemblés la veille ; qu’ils avaient choisi, à la majorité des voix, un bourreau de la secte, que le choix était tombé sur le jeune Lavaysse, que ce jeune homme était arrivé de Bordeaux pour aider Jean Calas, sa femme, leur fils Pierre et la servante catholique à étrangler Marc-Antoine Calas.

La famille Calas, Lavaysse, la servante catholique furent mis aux fers. Marc-Antoine Calas eu droit à des funérailles digne d’un pape, dans l’église Saint-Etienne, malgré le curé qui protestait contre cette profanation, alors que Marc-Antoine aurait dû être traîné sur la claie[1] pour avoir attenté à sa vie. Les confrères blancs firent à Marc-Antoine Calas un service solennel, comme à un martyr. Jamais aucune église ne célébra la fête d’un martyr véritable avec plus de pompe. Il ne manquait plus à Marc-Antoine Calas qu’à être canonisé. Il fit même des miracles !

Treize juges se réunirent tous les jours pour terminer le procès. On n’avait, on ne pouvait avoir aucune preuve contre la famille, mais la religion trompée tenait lieu de preuve. Voltaire s’indigne du sort qui est fait au pauvre Jean Calas et dénonce que dans un cas de parricide et avant de délivrer la sentence, le jugement devrait être unanime avant de livrer un père de famille au plus affreux supplice. Parce que les preuves d’un crime si inouï devraient être d’une évidence sensible à tout le monde : le moindre doute dans un cas pareil doit suffire pour faire trembler un juge qui va signer un arrêt de mort.

Mais dans une hystérie totale, personne n’a pu penser que Jean Calas, vieillard de soixante-huit ans, qui avait depuis longtemps les jambes enflées et faibles, eût seul étranglé et pendu son fils âgé de vingt-huit ans et qui était d’une force au-dessus de l’ordinaire. Mais, il semblait que l’on pensa qu’il fut aidé en cela par sa femme, son autre fils, ainsi que la servante zélée catholique, qui ne s’étaient pas quitté un seul moment le soir de cette fatale aventure. Néanmoins cette supposition était tout aussi absurde que l’autre : car comment une servante zélée catholique aurait-elle pu souffrir que des huguenots assassinassent un jeune homme, élevé par elle, pour le punir d’aimer la religion de cette servante ?

Et s’ils étaient tous coupabless, pourquoi seul le père fut condamné à expier sur la roue ? Révolté, Voltaire invoque « la faiblesse de notre raison et l’insuffisance de nos lois (qui) se font sentir tous les jours  ». Il rappelle : « Il fallait, dans Athènes, cinquante voix au-delà de la moitié pour oser prononcer un jugement de mort. Qu’en résulte-t-il ? Ce que nous savons très inutilement, que les Grecs étaient plus sages et plus humains que nous  ».

Plus près de nous, au XXIe siècle, l’intolérance s’est introduite, sournoise et destructrice du lien confiant et vital qui unit les humains, tel un gaz inodore dont on ne soupçonne la présence fatale que trop tard... Dans l’affaire Calas, Voltaire va nous entraîner, pendant 132 pages, dans Traité sur la Tolérance, dans un tour du monde de la tolérance des nations. Il y fait l’apologie de la tolérance universelle : « Je vous dis qu’il faut regarder tous les hommes comme nos frères. Quoi ! mon frère le Turc ? mon frère le Chinois ? le Juif  ? le Siamois ! oui, sans doute ; ne sommes-nous pas tous enfants du même père, et créatures du même Dieu ? »

Qui plus est, quand trop de gens ne trouvent et n’insistent que sur ce qui nous sépare, un hijab, un handicap, un dieu, un kirpa, une orientation sexuelle, la pauvreté, la race ou la couleur, Voltaire, lui, choisit ce qui nous unit et nous rassemble : « La tolérance nous fait voir du pays », et comme il aime à nous le répéter : « Sortons de notre petite sphère, et examinons le reste de notre globe. Le Grand seigneur gouverne en paix vingt peuples, de différentes religions, deux cent mille Grecs vivent avec sécurité dans Constantinople ; le muphti nomme et présente à l’empereur le patriarche grec ; on y souffre un patriarche latin. Le sultan nomme des évêques latins pour quelques îles de la Grèce, et voici la formule dont il se sert « Je lui commande d’aller résider évêque dans l’Île de Chio, selon leur ancienne coutume et leurs vaines cérémonies. Cet empire est rempli de jacobites, de nestoriens, de monothélites ; il y des cophte, des chrétiens de Saint-Jean, des juifs, des guèbres, des banians. Les annales turques ne font mention d’aucune révolte excitée par aucune de ces religions  ».

Ou encore, quand Voltaire nous exhorte : « Allez dans l’Inde, dans la Perse, dans la Tartarie, vous y verrez la même tolérance et la même tranquillité. Pierre le Grand a favorisé tous les cultes dans son vaste empire ; le commerce et l’agriculture y ont gagné, et le corps politique n’en a jamais souffert ».

Voltaire nous dira le mot de la fin, lui, qui a subi en son temps la persécution et l’exil, pour avoir voulu faire triompher la vérité et la justice. « Je ne parle ici que de l’intérêt des nations ; et en respectant, comme je le fais, la théologie, je n’envisage dans cet article que le bien physique et moral de la société. Je supplie tout lecteur impartial de peser ces vérités, de les rectifier, et de les étendre. Des lecteurs attentifs, qui se communiquent leurs pensées, vont toujours plus loin que l’auteur ».



[1]Ouvrage à claire-voie en forme de carré long, et fait de brins d’osier ou de branches d’arbres entrelacées. Une claie à passer de la terre, à passer du sable. Faire sécher des raisins sur une claie. Autrefois on traînait sur la claie ceux qui avaient été tués en duel, ou qui s’étaient donné la mort. On se sert de claies à la guerre pour faire des retranchements.


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7 réactions à cet article    


  • Boileau419 Boileau419 23 mai 2007 11:35

    Voltaire tolérant ?

    Avec ceux qui lui étaient inférieurs en talent et en esprit, certes. Mais pas avec ceux qui étaient trop malins pour lui. J’ai oublié le nom de ce Jésuite dont le nom se termine par -on que Voltaire, qui avait des amis dans la censure, empêchait de publier son journal.

    Voltaire était un homme plein de haines violentes contre ses contradicteurs. Comme beaucoup d’apôtres autoproclamés de la tolérance d’ailleurs...


    • Boileau419 Boileau419 23 mai 2007 11:38

      « L’autre jour au fond d’un vallon, Un serpent piqua Jean Fréron. Savez-vous ce qui arriva ? - Ce fut le serpent qui creva ».

      Elie Fréron, natif de Quimper.

      La Bretagne semble une pépinière d’esprits qui vont à contre courant.


    • Boileau419 Boileau419 23 mai 2007 12:02

      "En janvier 1749, Fréron publie Les lettres sur quelques écrits de ce temps. Fréron entre immédiatement en matière par l’examen de Denys le tyran premier essai tragique de Marmontel, le protégé de Voltaire. Les hostilités entre Voltaire et Fréron sont désormais ouvertes : par critiques interposées, les deux auteurs s’en prennent l’un à l’autre. Le 15 mars, les feuilles de Fréron sont supprimées sur ordre du chancelier d’Aguesseau, ami du philosophe éclairé. Les Lettres sur quelques écrits de ce temps reprennent cependant en 1750 jusqu’à l’année 1751 où un nouveau scandale éclate entre Voltaire et Fréron. Malesherbes, alors directeur de la Librairie, ordonne la suppression des lettres. Mais en septembre 1752, le critique obtient le soutien de l’ancien roi de Pologne : « Rendez-nous les feuilles de monsieur Fréron, et tout le peuple vous en remerciera. ». Fréron reprend donc la plume avec la collaboration de l’abbé de La Porte et du Port du Tertre jusqu’en 1753.

      L’année 1754 marque la naissance de l’Année littéraire, ouvrage que Fréron qualifie « d’important, lucratif et glorieux ». Ayant rompu son contrat qui le liait à Duchesne, il travaille désormais avec le libraire Lambert . La première feuille de l’Année littéraire paraît le 3 février. A travers cette œuvre, Elie Fréron examine, condamne ou préconise les idées et les projets du siècle des Lumières. Il y combat surtout les philosophes de son temps réunis principalement autour de Diderot et son Encyclopédie. Fréron devient le chantre des traditions littéraires et religieuses du Grand Siècle. Le succès est immédiat et l’Année littéraire devient au fil des ans une revue puissante et redoutée.

      Ainsi en 1760, une grande bataille éclate entre Fréron et Voltaire à la suite d’une comédie de Palissot appelée les Philosophes qui ridiculise la doctrine de l’Encyclopédie. C’est à cette époque que Voltaire compose Le pauvre diable, long pamphlet où Fréron y est qualifié de « vermisseau né du cul de Desfontaines ». C’est aussi l’année où est jouée la comédie l’Ecossaise écrite par Voltaire sous le pseudonyme de M. Hume. Fréron y est représenté sous les traits du personnage Wasp (frelon ou guêpe en anglais). La pièce, traduite en plusieurs langues, va connaître un succès inattendue en Europe. Mais la haine qu’entretiennent les deux hommes est vivace. Elle va perdurer encore longtemps sous la forme de petites phrases assassines et de vers destructeurs. En 1763, Voltaire écrira l’épigramme « L’autre jour au fond d’un vallon... »."

      Archives municipales de Quimper

      Combattre l’intolérance, c’est tout un paradoxe. Me fait penser à la phrase de Saint Just : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ».

      A propos de la tolérance, je dirais que c’est un attitude équivoque, dans laquelle se déguisent souvent l’indifférence ou le mépris, ou les deux.

      Et puis quand on veut imposer la tolérance, on arrive souvent à la haine rentrée.


      • dan 23 mai 2007 15:28

        Entre Voltaire et Fréron je choisis Voltaire même si je ne connais pas les écrits de Fréron(il faudra que je m’y mette et j’aime bien les disputes intellectuelles entre grands esprits)car il me semble d’après les dires de Boileau que Fréron est du côté de L’Eglise et Voltaire du côté des Philosophes ,entre le cléricalisme et Les Lumières je n’ai aucune hésitation,je suis un ennemi acharné du cléricalisme.Et je suis d’accord avec Saint-Just :« pas de liberté pour les ennemis de la liberté ».-----Voltaire dans ce cas là n’est pas haineux mais caustique,ce qui est bien connu chez lui.Et quand bien même,la haine des assasins tortionnaires ou ses commanditaires ou complices est bien légitime.


        • iliaval iliaval 23 mai 2007 16:11

          C’est vrai, mais il était aussi pour la traite des Noirs et l’esclavage...


          • Nicolas Nicolas 24 mai 2007 00:37

            Rien ne prouve que callas fut innocent. D’ailleur, même innocent, ca prouve juste que la Justice peut se tromper, ce qui est puissant, effectivement,mais n’a rien à voir avec le fait de devoir tolérer les criminels. De toute façon, c’était un parpaillos, or, avec tous leurs crimes et monstruosité, c’était interdit en France, pour protéger les français de ces fanatiques (l’équivalent des ISlamiste aujourd’hui, de vrais sauvages) donc il était coupable d’être huguenot à la solde de l’étranger et un ennemi de la France. Alors... bon débaras.


            • prgrokrouk 24 mai 2007 12:03

              La tolérance existe. Je crois qu’on la découvre avec une certaine surprise, lorsqu’on en est témoin. C’est aussi un talent personnel assez rare. Arrêter une injustice qui sourd derrière du conformisme lâche - bien des situations courantes et banales - mobilise des valeurs. Quelquefois au prix de la violence. Quelquefois, le sens du contact, de l’opportunisme, un minimum de raison. Nous découvrons alors une personne aux qualités incontestables et ceux, soudains isolés, à qui elle demande, par exemple, d’accepter dans le bus un peu chargé, une personne éconduite sur un critère raciste, et qui a besoin de cette assistance. Tout cela en accordant chacun avec une harmonie qui n’existait pas un instant avant.

              J’ai eu l’occasion de découvrir que j’étais peu tolérant ou d’envier le talent d’un autre pour la beauté de ce trait de personnalité très construit et très élégant. Quelquefois j’y parviens depuis. En général, j’affiche un certain mécontentement et une certaine opposition. Souvent, quelques temps ayant passé, les mauvais sujets à qui je m’adressais, détournent les yeux, ou j’apprends qu’ils ont connu des difficultés... que je regrette pour eux... mais que voulez-vous...

              Sur le vieux Voltaire, un intellectuel plus classique que nous, Paul Hazard, n’a pas été tendre. Voltaire est un génie complexe qui promeut une curieuse transition ou réification de l’Ancien Régime à l’adresse d’une époque qu’il ne connaît pas encore. Goethe a une formule célèbre : « Avec Voltaire, c’est le monde ancien qui finit, et avec Rousseau, c’est un monde nouveau qui commence. » On parle volontiers de ressentiment détourné pour comprendre Rousseau dans la polémique qui l’a opposé à Voltaire. Inversement, on parle peu, à ce sujet, de l’homme aigri et conscient de la supériorité intellectuelle et stylistique de son contradicteur. Si l’époque avait couronné Voltaire, l’histoire qui suivait, en France, puis le développement de la philosophie en Allemagne, ont largement confirmé la première place à Rousseau. Non seulement il est avec Chateaubriand, le plus grand écrivain de notre langue, mais il est aussi le plus grand penseur français.

              Voltaire est une référence, mais pas un modèle.

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