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Commentaire de BUOT-BOUTTIER

sur Il était une fois Ségolène à la porte de la « maison des hommes »


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BUOT-BOUTTIER BUOT-BOUTTIER 28 mai 2007 20:20

Bonjour,

Je tiens d’abord à remercier Agoravox qui a accepté de publier cet article et de le mettre à la Une. Il se trouve en effet que je l’ai proposé à l’ensemble de la presse écrite et que je n’ai quasiment pas obtenu de réponse. Or il s’agit d’un texte travaillé avec un personne psychologue du travail et relu par des universitaires. Il est donc appréciable de trouver aujourd’hui un lieu d’expression tel qu’Agoravox qui permet au citoyen de s’exprimer, ce qui était jusqu’alors réservé à une élite.

Je remercie également les commentateurs d’Agoravox qui m’ont remerciée pour la diffusion de ce texte.

Après ces considérations, et pour revenir à notre sujet, je confirme le commentaire de certains rédacteurs qui précisent que le sujet principal de l’article n’est pas plus la politique que les élections présidentielles. Le thème est bien celui, à travers l’échec de Mme Royal, des relations hommes/femmes dans la société de manière générale et au sein du milieu professionnel plus précisément. Le texte tente de mettre en avant la question des attributs à la fois féminins et masculins que la société présente comme étant naturels alors qu’il ne sont qu’une construction sociale, une sorte de façonnement qui se met en place dés la naissance à travers l’éducation et les relations sociales.

Cet article n’est donc pas partisan du parti socialiste, ni de Mme Royal et il est évident que si la candidate n’a pas été élue, le sujet traité par le texte n’est pas et ne peut pas être la seule raison de son échec. En relisant l’introduction vous verrez qu’il est stipulé : « l’une des raisons ».

En revanche, il est certain que nous sommes tous façonnés par la construction sociale des rapports hommes/femmes et que nous avons tous des attendus envers le féminin et le masculin. Dans la mesure où il s’agissait de la première fois en France qu’une femme se retrouvait au deuxième tour des élections présidentielles, pouvions-nous faire l’économie de cette thématique ? Pouvions ne pas nous demander qu’elle était la part d’attendus envers le féminin (à travers Mme Royal) et le masculin (à travers M. Sarkozy) qui a motivé notre choix pour élire la personne qui allait diriger le pays ?

Je souhaite compléter et conclure mon propos en me permettant de citer un extrait du livre de M. Eric Macé (livre co-écrit avec Nacira Guénif-Souilamas ) : « Les féministes et le garçon arabe ». M. Macé est chercheur au Cadis, laboratoire de sociologie de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, maître de conférences en sociologie à l’Université Paris-III et cofondateur de la revue Cosmopolitiques :

« S’agissant de la question du rapport entre les hommes et les femmes dans nos sociétés, il me semble que le paradoxe est le suivant. D’un côté (...) nous vivons dans une société qui s’organise et s’énonce comme égalitariste. Cela signifie à la fois que l’égalité entre les sexes est garantie en droit (...) et que ce principe égalitaire est tenu pour acquis par les femmes (...). D’un autre côté, les données sociologiques les plus récentes montrent qu’il existe toujours une reproduction systématique et universelle d’une discrimination sexiste de fait. Cela se traduit d’une part par un moindre accès des femmes aux métiers et aux carrières prestigieuses et proches du pouvoir (économique et politique)(...) et cela se traduit d’autre part par une profonde asymétrie dans la division du travail au sein de la sphère domestique, qu’elle soit conjugale ou familiale. (...) C’est parce que les femmes se voient »spontanément« chargées des tâches reproductives dans les sphères domestiques et professionnelles qu’elles demeurent moins disponibles pour les tâches dites productives, ce qui a pour triple conséquence, d’une part la généralisation de la »double journée" (cumul du travail domestique avec le travail salarié...), d’autre part, le retrait quasi forcé de la vie active pour les plus démunies en revenu et en diplôme dès lors qu’elles ont des enfants (...) et enfin la justification de leur moindre disponibilité aux mondes compétitifs du travail et de la politique.

Le paradoxe peut donc ainsi s’énoncer : comment se fait-il que, dans des sociétés directement héritières du féminisme ayant en droit, mis à bas les piliers du patriarcat (...) une telle discrimination sexiste de fait puisse ainsi perdurer ? Ce qui conduit à l’observation d’un autre paradoxe : comment se fait-il que, dans une situation discriminatoire aussi manifeste, le féminisme soit si discrédité et si peu efficace ? Je voudrais montrer dans ce qui suit que ces deux questions sont liées : (...) si le féminisme civique et égalitariste a gagné contre le patriarcat différentialiste et hiérarchisé (qui faisait des femmes le nécessaire complément naturellement inférieur des hommes), le féminisme politique a perdu contre l’antiféminisme culturel et social (qui rend dorénavant les femmes responsables de l’asymétrie de leurs trajectoires sociales)."

Au sujet du féminisme politique, l’auteur précise que « c’est Simone de Beauvoir qui ouvre ce second front du féminisme, le plus difficile, lorsqu’elle affirme en 1949 dans »Le deuxième sexe«  : »on ne naît pas femme, on le devient« . Ce faisant, elle fait une rupture fondamentale avec la rhétorique du patriarcat en introduisant la distinction entre »sexe« , la physiologie, et genre, la définition sociale du féminin et du masculin. (...) Cela signifie que »l’être femme« et le »féminin« ne sont pas des faits de nature, mais des construits historiques, sociologiques et symboliques, à la fois naturalisés et institutionnalisés, c’est à dire vécus subjectivement comme une »culture" de la féminité, comme d’ailleurs, et symétriquement, de la masculinité. (...) Ce faisant, l’antiféminisme déploie alors un autre type d’argument (...) en défendant le « féminin » contre le « féminisme » : si les femmes se laissent convaincre par le féminisme, alors elles perdront ce qui fait leur charme (...) - leur féminité. Autrement dit, le féminisme conduit droit à la laideur et à la vulgarité des femmes (...)".

Le féminisme étant également porté par des lesbiennes pour certaines radicales (comme Monique Wittig), « Cette posture révolutionnaire radicale va être à l’origine de la scission du féminisme et d’un regain de l’antiféminisme. (...)Dans ces conditions, être féministe, c’est se condamner à la marginalité, la solitude, la laideur, l’agressivité ».

Une situation qui « lance les femmes dans le piège de la »conciliation« . » En effet, « En réponse, et comme alternative à la fois au lesbianisme politique et aux charges antiféministes, un néoféminisme va se développer en s’appuyant sur deux dimensions. d’un côté, en défendant et en élargissant les acquis du féminisme civique et égalitaire (...) d’un autre côté, en introduisant pour la première fois, la question d’une spécificité du »féminin« . (...) Autrement dit, il s’agit de rétablir le lien entre sexe et genre que Beauvoir et Wittig avaient cherché à rompre. (...) C’est ce néoféminisme »pro-femme« , sans adversaire politique désigné, qui va conduire à une défense et illustration du (...) »bonheur« , du »pouvoir« , des »qualités« féminines permettant non seulement aux femmes de se confronter avec succès aux hommes dans la sphère publique et intellectuelle, amis aussi de rétablir une symétrie dans les relations de séduction et la sexualité, de se réapproprier les dimensions maternelles et maternantes de la féminité au sein de la sphère privée. » Une situation « que résument parfaitement les rubriques des magazines féminins contemporains. » (...)

C’est pourquoi les femmes et les jeunes filles d’aujourd’hui ne peuvent plus se penser féministes : elles ont toutes intériorisé leur égalité en droit et seraient prêtes à s’insurger si elle était menacée mais elles ne peuvent pas se reconnaître dans un féminisme politique à la fois marginalisé et caricaturé dans son agressivité, car elles pensent qu’elles sont dorénavant capables et libres de choisir leur mode et leur style de vie sans plus dépendre matériellement des hommes et sans avoir besoin de « chiennes de garde » pour leur dire ce qui est acceptable ou pas. (...)

C’est pourtant là l’erreur. Car même si l’égalité existe en droit, c’est l’ensemble de l’organisation sociale du travail et de la sphère domestique qui demeure fondé sur une asymétrie entre les rôles sociaux masculins et féminins (...). Et la cause principale de ceci, outre le sexisme et l’antiféminisme, c’est bien le néoféminisme « pro-femme » et sa traduction dans les magazines féminins qui ont conduit les femmes à vouloir concilier l’inconciliable : à la fois la participation au monde public tel qu’il a été défini pour et par les hommes et la réappropriation d’une sphère privée, maternelle et domestique telle qu’elle devrait être en régime d’égalité entre une nouvelle masculinité et une féminité authentique. (...) De sorte que devant (et elles seules) « concilier » leur vie professionnelle et leur vie familiale, elles se mettent en position de faiblesse, du fait de leur moindre disponibilité à l’entreprise, vis-à-vis des employeurs, qui intègrent nécessairement cette dimension sexuée dans la gestion des carrières. (...)

On peut voir là les effets pervers du féminisme égalitaire et « pro-femme » : puisqu’en droit le féminisme a gagné, les femmes comme les hommes sont persuadés que la question ne se pose plus en termes politiques, et que c’est à chacun de développer les stratégies qu’il souhaite, indépendamment de son sexe. Or, cela est loin d’être joué puisque les décisions d’orientation scolaire et professionnelle reproduisent encore massivement le grand partage entre un masculin technique et compétitif (mieux payé, plus prestigieux) et un féminin relationnel et éducatif (moins bien payé, moins prestigieux). (...)

Dés lors, « par amour », ou par « désir d’enfant », des décisions sont prises, des choix sont effectués, des routines sont mises en place, qui le plus souvent reproduisent par inertie la division traditionnelle et hiérarchisée entre le masculin et le féminin. (...)

Du point de vue des hommes, le fait égalitaire et l’autonomie personnelle des femmes étant acquis, les femmes ne peuvent s’en prendre qu’à elles-mêmes si leur condition leur déplaît : ce sont elles qui s’approprient la question de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, en en faisant un domaine d’expertise et de jonglage mental et organisationnel réservé. Les hommes veulent bien y contribuer tant que leur propre autonomie financière et professionnelle n’en pâtit pas (...)

La question politique qui se pose est alors la suivante : sur quelles bases théoriques, symboliques et politiques permettre qu’une politique antisexiste ne soit pas disqualifiée à la fois par l’antiféminisme et par le féminisme « pro-femme » ? (...)

La discrimination sexiste n’a ni nécessité économique, ni intangibilité historique, ni justification morale et juridique. On peut donc alors faire l’hypothèse que si elle perdure, c’est en raison de la reproduction d’une asymétrie des rôles sociaux sexués (...) une discrimination et une subordination qui ne tient plus que par la croyance, héritée du patriarcat, en une différence fondamentale entre les hommes et les femmes en raison de leur différence de sexe. C’est donc cela qu’il convient d’abord de déconstruire (...) la dénaturalisation du genre et de la sexualité est le préalable à leur repolitisation.

Et face à « l’argument commun à l’antiféminisme et au féminisme »pro-femme« selon lequel c’est le sexe qui détermine le genre ou plutôt que les différences sociales, culturelles et psychologiques entre les hommes et les femmes sont causés par leur différence de sexe », l’auteur répond alors : « Autant rouvrir la discussion sur l’existence ou pas des »races" afin d’expliquer le différentiel historique et contemporain entre les humains. Par ailleurs, ce serait méconnaître tout l’apport des travaux anthropologiques et historiques qui montrent la diversité et donc la relativité des identités de genre. (...)

Ainsi, comme le souligne Chrisitine Delphy, la patriarcat est l’institution simultanée et indissociable entre les sexes et des identités de genre qui vont avec. De ce point de vue, l’énoncé de la différence n’est jamais descriptive, elle est normative, la différence est toujours asymétrique, (...) La « différence » est en réalité un stigmate invoqué pour « décrire » les femmes, les non-blancs, les homosexuels, jamais les hommes blancs hétérosexuels.

L’auteur cite plus loin Marie-Hélène Bourcier qui parle quant à elle de « performance de genre ». Eric Macé explique que cela signifie que « l’orsqu’une personne de sexe féminin ou de sexe masculin se comporte »spontanément« comme une »femme« ou comme un »homme« , elle réalise une »performance de genre« , c’est à dire à la fois une représentation théâtrale des attributs attendus du »féminin« et du »masculin« , et la reproduction instituée d’une différence de sexe et de genre. » Et « comme le souligne Ervin Goffman, le sexe de chaque individu l’assigne à une socialisation et à un classement différencié dans les interactions et dans les organisations ».

"Dés lors, au sein d’une société où le patriarcat n’a plus pour lui ni le droit, ni les institutions, ni les aspirations, comment lutter contre la domination masculine ?

Il me semble« , nous dit l’auteur, »que la « reconflictualisation de la question passe par deux voies : d’un côté la lutte contre les assignations de genre et leurs dérivés sociaux, de l’autre la lutte contre les discriminations de sexe et de genre », des discriminations qui ne manquent pas dans certains commentaires liés à cet article et qui sont, comme le précisent d’autres commentaires, une belle illustration de la problématique sexiste dans notre société.

Mais l’auteur ajoute également que la dynamique de dénaturalisation des genres féminins et masculins ne suffit pas, « il est également nécessaire de transformer le droit, les institutions, les organisations et la sphère domestique en ce sens. En effet, l’égalité professionnelle, y compris dans les carrières politiques, entre hommes et femmes n’est possible qu’à deux conditions : que l’organisation du travail, en particulier des cadres, intègre la nécessaire disponibilité domestique et éducative des hommes comme des femmes et que le partage des tâches domestiques et éducatives soit effectivement égalitaire au sein de la famille (l’auteur cite la Suède comme exemple). Cela suppose deux choses. D’une part, que les personnes de sexe féminin adoptent très tôt le même type de stratégie scolaire et professionnelle que les personnes de sexe masculin : se penser d’abord comme un être social devant assurer son autonomie personnelle, indépendamment des configurations conjugales et familiales (...). D’autre part, que les personnes de sexe masculin acceptent (et revendiquent), tout comme les personnes de sexe féminin, les contraintes (domestiques et professionnelles) liées au fait de devoir concilier vie professionnelle et vie familiale. »

« Mais sans doute le droit ne se forme-t’il pas de lui-même, et il est nécessaire que se déploient des »mouvements culturels« dans les domaines de l’art, de la culture de masse, des pratiques associatives locales, à partir d’initiatives personnelles ou de la formation de »groupes concernés« afin que la légitimité du point de vue ne soit plus nécessairement du côté des définitions »naturalisantes« ou »essentialistes« des genres. »

« Dans ces conditions, des actions symboliques spectaculaires visant à libérer du fardeau des assignations de genre ceux (hommes ou femmes, hétérosexuels ou homosexuels) qui en souffrent ou qui en font souffrir les autres, couplées à des revendications antisexistes structurelles, peuvent être constitutives d’un mouvement posféministe prolongeant et réconciliant à la fois le féminisme égalitaire et le »déconstructivisme queer". Nacira Guénif-Souilamas, Eric Macé, « Les féministes et le garçon arabe », Editions de l’Aube, 2006.

Le livre est composé en deux parties, chacunes rédigées par un auteur.

Isabelle Buot-Bouttier


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