Curieux de prétendre reconnaitre le Génocide arménien et évoquer cet abject instrument du négationnisme turc habituel qui est de réclamer une commission d’historiens mixtes. L’histoire a été dite, redite et archidite.
J’attache à ce message un article que j’ai publié sur le sujet.
Un des principaux arguments Turcs face à la proposition de loi déposée par le parti socialiste le 12 octobre 2006 visant à punir la négation du Génocide Arménien et qui ne confine pas, à ce que l’historien Turc Halil Berktay qualifiait de « délire négationniste » (comme les récents projets de légiférer sur un Génocide Français en Algérie, boycotter toute relation commerciale avec un des principaux pays fondateurs d’une Europe qu’elle souhaite rejoindre ou encore expulser 70000 arméniens de Turquie), tient en une proposition « d’ouverture » faite au premier ministre arménien de créer une Commission mixte d’historiens chargée d’étudier cette question.
Cette grande « avancée » a été acceuillie parfois avec enthousiasme par de nombreux hommes politiques et penseurs soucieux de ne pas froisser la Turquie comme Philippe Douste Blazy le 18 mai 2006 dans son discours d’opposition au premier projet de loi punissant la négation du Génocide prononcé à l’Assemblée Nationale mais également Luc Ferry dans une tribune publiée par le Monde le 12 mai 2006.
Mais pour qui sait ou veut bien lire correctement cette proposition, le négationnisme d’Etat pratiqué par la Turquie, se lit cinq fois dans son le libellé même.
Car enfin, qui la Turquie compte-t-elle tromper avec sa « Commission d’historiens Turco-Arméniens chargée de faire la lumière sur les événements tragiques qui se sont déroulés entre 1914 et 1922 en Anatolie Orientale » ?
- Rouvrir les débats sur un fait historique avéré n’est jamais qu’un grand classique des négationnistes de tous les génocides. La rhétorique est immuable, elle consiste à insinuer de facto un doute à partir de pseudo-vérités scientifiques ou de vérités déformées : s’il est nécessaire de rediscuter des événements en question, c’est que tout n’a pas été dit, qu’il faut « faire la lumière » sur des faits supposés réels mais cachés au plus grand nombre : toute analogie avec les négationnistes d’un autre génocide n’est pas fortuite, les crimes de masse ne peuvent se nier autrement qu’à l’audace, au discours outrageusement spécieux.
- Quand bien même l’inacceptable principe de rediscuter du Génocide Arménien en « commission » devait être retenu, se pose immédiatement la question de sa restriction à des historiens Turcs et Arméniens. Pourquoi une telle limitation ? A cela trois raisons, parce qu’il s’agit de nier l’universalité d’un tel crime, tenter de le banaliser, le déshabiller encore un peu plus de sa dimension exceptionnelle : sa qualification de Génocide.
Par ailleurs placer une telle commission sous l’égide de l’ONU ou de toute autre instance internationale, n’aurait aucun sens pour la partie Turque : elles ont toutes déjà reconnu officiellement le Génocide Arménien sur la base des montagnes de preuve existantes y compris la condamnation même des principaux génocidaires par la Turquie au procès de Constantinople en 1919. De l’ONU au Parlement Européen à la chambre américaine des représentants, le Vatican ou le Grand Rabbin Askenaze d’Israël en passant par la Douma et toutes les associations qui militent dans le monde pour le respect des droits de l’homme, il n’est aucune organisation ou institution crédible qui n’ait reconnu ce Génocide.
Enfin, il faut comprendre « d’Arménie » et non « Arménien », ce qui éliminerait la diaspora, soit la plus grosse partie des arméniens rescapés du génocide de cette commission rêvée par les Turcs.
La mention « d’événement tragique » outre le fait qu’elle diffère du mot Génocide, est également une ancienne « technique négationniste » qui dans le cas de la Turquie va encore plus loin dans l’abjection parce que ce libellé sous-entend spécifiquement dans ce pays, que le Génocide était le fait...des arméniens sur la population civile Turque et que cette commission pourrait établir l’existence de cette chimère que seuls, même en Turquie, quelques ultra-nationalistes extrémistes continuent d’imaginer
La période retenue n’est elle aussi pas neutre, s’intéresser à la période 1914-1922, c’est ignorer les terribles massacres de1894-1896 (dont l’ampleur, 200 000 morts, et l’horreur pourraient leur valoir à eux seuls la qualification de Génocide) ainsi que ceux de Cilicie de 1909 (30 000 morts), c’est nier cette constante génocidaire souvent oubliée, étalée sur plus de 20 ans et trois régimes dans l’Empire Ottoman entre la fin du XIX ème siècle et le début du XXème.
Enfin, circonscrire les lieux à l’Anatolie Orientale, c’est faire bien peu de cas des innombrables massacres d’arméniens perpétrés bien loin de cette zone, c’est-à-dire bien loin des zones de combat avec les Russes pendant la première guerre mondiale, et qui élimine de fait un argument essentiel et souvent utilisé par les négationnistes du Génocide Arménien : les tueries n’auraient été que des dégats collatéraux dans les déplacements de population inhérant à une période de guerre.
Force est de constater qu’encore une fois, même dans ces « nouvelles » propositions, la Turquie cherche à échapper à ses responsabilités historiques, à flouer le jeu sur un sujet aussi grave pour cause d’agenda européen. Il serait illusoire, naïf ou inquiétant d’y voir un fléchissement de la Turquie. Les arméniens qui ont appris à reconnaitre la négation et ses techniques depuis 91 ans ne sont pas dupes, et il ne faudra pas s’étonner de les voir refuser dans leur immense majorité, à l’instar du premier Ministre de la République d’Arménie, toute participation à ce type de mascarade.