« Par contre, tout aussi clairement, je pense - et vous me confirmez par vos réponses - que les français n’ont pas identifiés les forces à l’oeuvre pour »détenir en otage« la démocratie. »
Ah vous croyez ?
Vous excuserez la sévérité de mon propos, mais je ne peux m’empêcher de voir dans le constat que vous en dressez, ainsi que ceux qui abondent dans votre sens, une propension caractéristique des intervenants de la blogosphère à s’imaginer mieux informés et donc mieux avertis qu’une majorité de l’électorat. Postulat pas toujours entièrement faux par ailleurs, ce n’est pas le sujet, toujours est-il qu’avec ce jugement vous faites bien peu de cas de la lucidité politique de nos concitoyens.
Je pense au contraire que les Français ont dans leur majorité bien conscience de ce verrouillage du système par l’intérieur. On en a encore eu l’exemple pas plus tard qu’avant-hier avec le retour d’une abstention élevée au premier tour des législatives. Mais vous partez du principe que le constat n’a pas été fait par l’électeur, alors que je pars du principe qu’il a été fait, et que la situation électorale actuelle traduit davantage la recherche de la solution que l’incompréhension du problème.
Si l’on admet que l’électorat a pour une majorité perçu cet aspect des choses et qu’il souhaite le changer, deux solutions s’offrent à lui pour y arriver : la voie démocratique, et la volonté de changement par le bulletin dans l’urne - ou l’abstention protestataire, bien qu’elle n’ait actuellement pas d’utilité démocratique. Les Français n’attendent pas tant un changement de visage chez leurs élus qu’un changement de la façon dont ils exercent les fonctions pour lesquelles ils sont investis et une réponse à leurs attentes. L’autre solution est la voie révolutionnaire qui consisterait à tout renverser pour changer radicalement de système et de cette caste que vous évoquez.
En se déplaçant massivement pour voter à la présidentielle, les Français ont clairement opté pour la première. On peut y trouver bon nombre de raisons autres qu’une satisfaction teintée d’aveuglement sur le système actuel ; l’une des principales à mes yeux est le caractère pacifique de la volonté de changement par les urnes, par opposition à ce que serait la brutalité d’une situation révolutionnaire. Beaucoup d’entre nous, principalement chez nos anciens, connaissent le risque d’une instabilité civile et ne souhaitent pas voir le pays livré à un chaos à l’issue incertaine, dans un contexte où il a au contraire grand besoin de stabilité.
Quand la solution-miracle n’existe pas, on s’oriente vers le compromis, ce que la majorité des électeurs a fait en portant au pouvoir l’UMP sortante et son nouveau chef de file. Ne vous trompez pas pour autant sur l’exigence de résultats qui attend ce pouvoir-là, et qui aurait aussi attendu la gauche si elle avait su s’organiser pour passer.
Et ce n’est pas une question de proportionnelle, qu’on retire lorsqu’elle profite au politiquement incorrect pour la réintroduire s’il s’agit de défendre le politiquement correct, appelons un chat un chat. Même avec le retour à la proportionnelle l’UMP serait confortablement majoritaire dans une Assemblée qui est loin d’être le seul lieu d’expression de contre-pouvoirs comme un observateur pourrait le croire à entendre bon nombre de discours depuis quelques semaines. Bien sûr ce retour est à envisager dans la mesure où il apporte un vrai plus démocratique. Ainsi que d’autres mesures importantes sur le cumul des mandats ou l’inéligibilité en cas d’implications judiciaires. Mais si la démocratie est en danger, cela sera jugé à l’aune des mesures politiques à venir et de la capacité de dialogue du pouvoir en place sur celles-ci.
En validant (pour l’instant) le système actuel et en conférant à la majorité une marge plus que nécessaire pour mettre en œuvre sa politique, l’électorat a choisi de faire passer l’action politique, quelle que soit son sens et qu’elle plaise ou non, avant le débat institutionnel... et les querelles de clocher. Ca peut déplaire, donner une sensation d’incompréhension des problèmes structurels du système. Pour ma part j’y vois un besoin de concret qui passe avant celui d’une représentativité dont il ne faut pas perdre de vue que bon nombre de battus aimeraient la tirer à eux. Peut-être aussi, et en ce sens je vous rejoins davantage, un certain découragement face à l’impossibilité d’un changement politique majeur, rapide et pacifique. Toujours est-il que le peuple a tranché.
Quand à votre société du tous contre tous, c’est une vision subjective de la politique sarkozienne qui ne donne pas lieu à débat, dans laquelle affleure les idées reçues de l’incapacité de la droite à faire preuve d’humanisme et d’ouverture, ainsi que de la manipulation de masse. Je doute fort que c’est ce qu’y ont vu les 53% d’électeurs de NS le 6 mai dernier.
Le choix a été effectué. Voyons ce que ça donne. Jugeons ensuite. Les moyens d’expression ne manquent pas.