A « jesuisunhommelibre » et Thierry136.
Bonjour,
A mon sens, il ne faut pas mélanger le niveau individuel et le niveau politique. Dans une société où il y a des classes sociales, avec des intérêts fortement contradictoires, il est tout à fait inéluctable que l’on trouve d’un côté, ceux qui sont satisfaits et de l’autre, ceux qui veulent changer les choses. L’homme n’est pas encore totalement contre lui-même, heureusement.
Lorsqu’on mélange les deux niveaux, on ne peut plus rien comprendre et on aboutit à des idéologies et à des formulations qui nient une partie des humains, donc à une certaine inhumanité. On ne peut pas, sans un certain cynisme, expliquer à la mère africaine qui voit ses enfants mourir de faim qu’elle vit dans un bon système économique libéral. On ne peut pas non plus convaincre le bon cadre travailleur et père de famille qui gagne bien sa vie en élaborant des pesticides douteux dans un laboratoire prestigieux des méfaits de l’économie actuelle.
L’homme n’est pas un, l’humanité n’est pas une. Il faut bien s’y résigner. A chacun donc de jouer son rôle. Si des gauches n’ont pas vu lorsqu’il le fallait que Vladimir Chalamov ou Lech Walesa avaient raison, c’est que ce choix n’était pas mesuré politiquement mais individuellement en fonction d’intérêts étroits. Les Christ, les abbés Pierre, les Tolstoï sont, me semblent-il, l’exception.
Un exemple simple permet de mettre en lumière l’impasse intellectuelle des raisonnements qui mêlent choix personnels et termes politiques : l’immigré clandestin. Il est aujourd’hui « le mal aimé ». Héros de la misère, il traverse mille obstacles pour obtenir une source économique et nourrir les siens... et nous, on se complaît à lui administrer des coups.
Pourtant cet immigré qui quitte son champ, son troupeau, ses racines, qui pendant des années va du Mali au Sénégal, de Sénégal en Lybie, du Maroc vers l’Espagne, est un admirable libéral : il n’y a pas dans le monde plus libéral que lui : laissez-passer, laisser-travailler, laisser-vivre, semble dire tout son désespoir. Ça c’est son niveau individuel.
Mais le libéralisme aujourd’hui n’est plus le libéralisme naissant produit du bouillonnement créatif des individus porteur d’avenir. Il est une idéologie qui répond à des structures et à des systèmes d’intérêts verrouillés.
La politique se différencie du personnel parce qu’elle est le fruit de mouvements collectifs structurés, de mouvements d’intérêts. Dans ce sens aussi, il va de soi que le cadre moyen de gauche peut souhaiter manger bio mais n’est pas forcément sensible au sort des Peuls, qu’un ouvrier communiste peut être raciste et qu’un industriel heureux et génereux peut avoir l’idée de contribuer à développer le système sanitaire d’un village lointain.
Au delà de ces considérations, le rapport entre ce niveau individuel et le niveau politique nous conduirait bien trop loin.
Cordialement, Pierre