" Monde arabe, comment vivre sans avoir Israël pour ennemi ?
La plupart des régimes arabes s’abritent derrière la cause sacrée de la libération de la Palestine pour masquer leurs incapacités et leurs crimes. Autant dire qu’une éventuelle résolution du conflit serait pour eux catastrophique.
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A dire vrai, je commence à douter que cette région puisse un jour vivre sans avoir un ennemi. Celui-ci s’avère indispensable, ne serait-ce que pour focaliser l’attention et détourner l’opinion publique des affaires locales et régionales. L’ennemi israélien a constamment servi d’exutoire factice pour les régimes arabes et les organisations, tout comme la libération de la Palestine a été l’objectif déclaré, élevé au-dessus de tous les autres. Que de crimes commis dans ces pays au nom d’Israël et de la Palestine ! Une vie civile naufragée, des régimes aux prérogatives élargies, renouvelés dans l’exercice du pouvoir, des droits civiques violés et des guerres déclarées !
L’acharnement des Arabes à cultiver l’hostilité
C’est au nom de la Palestine que Saddam Hussein a envahi le Koweït, que la situation intérieure en Jordanie et au Liban s’est détériorée, que la manifestation pour le pain à Sanaa [1998] a été réprimée, que l’état d’urgence a été maintenu [depuis 1963] en Syrie et que les discours des Etats arabes, du Bahrein au Maghreb, fleurissent d’exhortations enflammées à battre l’ennemi. Toutes les causes arabes se revendiquent de la cause palestinienne, jusqu’aux syndicats professionnels qui, en son nom, ont failli à leur mission ! Comment dès lors imaginer que ces institutions, qui tirent de la lutte contre l’ennemi leur raison d’être, leurs positions, leur pouvoir et leur éthique, soient capables de gérer un avenir dont l’ennemi serait absent ?
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Ce qui paraît moins compréhensible, en revanche, c’est l’acharnement des Arabes à cultiver l’hostilité alors qu’en réalité, ils n’ont pas combattu pour libérer leur terre ni cherché une paix qui leur permette de la récupérer. Ils ont continué à vivre leur vie en prétendant faire la guerre à l’ennemi. Résultat de cette attitude : des territoires encore occupés, 1 million de personnes dans les camps et 2 millions de désespérés disséminés aux quatre coins du monde. Quarante ans après la défaite arabe de 1967 [guerre des Six-Jours], nous ne comprenons pas la logique de ceux qui refusent la paix et trouvons inadmissible de faire endosser à la “cause” ou à l’“ennemi” la responsabilité de tous nos maux. "
Abdel Rahman Al-Rached Asharq al-Awsat"