La métamorphose du politique, jeu de mots
La rhétorique est un art subtil qui ne cesse d’émerveiller le monde de l’information. Car comment ne pas s’émerveiller devant l’incroyable aptitude de certains à capturer les mots, les notions, les symboles et à les réorganiser dans un discours apparemment entier, sans failles, lisse et prêt à l’emploi. C’est le sentiment que je garde de votre article.
La politique est l’art de conduire les affaires de l’état, et donc de gouverner. Dans une certaine mesure elle peut être érigée comme une science dans le sens où elle se préoccupe de cristalliser des types de conduites universelles. Enfin de nos jours, la politique voit son champs d’application s’étendre à l’ensemble des activités humaines dans le cadre des sociétés de quelques natures qu’elles soient. Le politique donc, au sens du fait politique, n’est autre que la manifestation concrète de l’action politique. Depuis l’Antiquité grecque, la politique est au cœur des sociétés humaines et se présente comme une discipline transversale qui imprègne l’ensemble des champs sociaux. En ce sens, la politique ne peut être comprise comme notion mutable, ni non plus comme ensemble intellectuel dogmatique. La politique n’est pas le pouvoir. Elle n’est pas la religion.
Or le paradoxe que vous soulevez, à l’instar de l’Histoire que l’on prétend arrivée à son terme, voudrait que la politique soit considérée comme un ensemble historique. Ainsi la politique aurait subie de nombreuses métamorphoses à travers l’Histoire, et soumise à cette dernière, elle se finirait maintenant.
La politique se poursuit au delà des cycles historiques. C’est le pouvoir et les formes de gouvernements qui cèdent devant les révolutions des sociétés et les progrès technologiques. La politique continue d’exister, car elle est fonction et non événement ou système. Malheureusement, elle est noyée dans une soupe d’informations contradictoires et dans des guerres idéologiques d’un type nouveau. Ce bombardement rhétorique permanent que nous subissons, en tant que simples citoyens dans l’espace public, occulte radicalement les caractéristiques fonctionnelles de notre perception et de notre discernement pour ne laisser place qu’à des produits prêts à penser, des ensembles intellectuels plus ou moins complexes mais toujours normatifs. Pour emprunter le titre de l’un de vos livres, nous vivons une véritable guerre des rhétoriques.
Cette guerre de tous les instants se déroule sur tous les supports médiatiques connus et se prépare à étendre son théâtre d’opération aux médias de demain. Son objectif est celui de toutes les guerres, obtenir la suprématie. C’est ce que j’entends quand vous écrivez : « Le paradigme de la complexité révèle désormais l’approfondissement du fossé qui se creuse entre l’art politique traditionnel et la réalité du monde ; tandis que le politique demeure invisible, comme absent. Gouverner a toujours consisté à simplifier, à synthétiser les diversités dans une majorité, à tirer un fil de la pelote des multiples ». Le fossé ne se trouve pas entre la politique et le monde, mais plutôt entre le pouvoir politique détenu par une minorité et la puissance publique dépourvue de canaux d’expression directe non représentative. Mais vous avez raison, le pouvoir politique a toujours eu à cœur de gouverner en simplifiant et en réduisant la pluralité à un concept abstrait et idéaliste.
Il est regrettable que les sociétés occidentales se soient construites sur les promesses mensongères de la certitude, du confort et de la permanence qu’offrait le capitalisme du 19e siècle. Le réveil à la réalité de l’impermanence des choses de la vie aurait été moins douloureux. Ces illusions truffent les discours des politiciens et de ceux qui font le commerce du pouvoir et de l’influence. Et aujourd’hui, l’escroquerie est à son comble. Alors plutôt que de faire la critique des hommes et de leurs dires, il est préférable de construire une rhétorique contre la politique qui minimise son utilité dans une hyper-société peuplée d’hyper-individus atomisés par une hyper-information.
C’est ainsi qu’en lisant dans votre article le terme politique, je dois entendre : les professionnels de la politique. Mais comme ils constituent, pour une grande part, le fond de commerce des consultants en communication ou des instituts d’analyse stratégique, il serait mal venu de mordre la main du maître. Il faut donc continuer à vendre des packages rhétoriques comme l’on vend des missiles ou des mines antipersonnel... Les effets ne sont pas les mêmes, mais les résultats auront une singulière similitude sur des populations entières. Ce sont ces mêmes packages rhétoriques qui permettent à de grandes entreprises de poursuivre d’ignobles commerces bâtis sur de nouvelles formes d’esclavage, de vendre des produits impropres à des populations indigentes, de piller sans crainte des richesses inestimables. Ces entreprises sont le fruit des sociétés, des nations, des états et non le produit d’initiatives solitaires ou isolées.
Cette situation que vous déplorez pour des raisons discutables est la conséquence de faits politiques, de la mise en œuvre d’actions politiques qui ont eu lieu dans notre histoire contemporaine. Et c’est ce qui est absent de votre élégant et stimulant discours. A l’image des chantres de l’aplatissement du monde, de la fin de l’histoire et du triomphe de l’Empire, vous négligez le poids énorme et invisible de l’Histoire. Pas seulement la chronologie et l’accumulation des faits, mais aussi le poids de l’histoire individuelle de tous ces gens que vous appelez à prendre en main et à imaginer une nouvelle « politique post-héroïque ». La pression conjuguée de phénomènes historiques aussi dramatiques que le colonialisme, les bains de sang planétaires du 20e siècle, le rouleau compresseur de l’industrialisation frénétique, l’invasion technologique, l’atomisation des croyances religieuses et des repères moraux traditionnels, ou encore les désastres du communisme, sont des facteurs aggravants qui excluent toute forme de réflexion sociale réelle sur une éventuelle révolution sociale.
La politique ne s’arrête pas aujourd’hui... Pas plus qu’elle ne se métamorphose. Le pouvoir change de mains et ses modes d’exercice sont modérés par de nouveaux facteurs. La seule chose qui se métamorphose lentement, c’est la conscience politique de l’individu. Hier encore, il n’était rien, tantôt esclave, tantôt chair à canon. Aujourd’hui, il prend conscience de son poids sur l’échiquier et il veut sa part de tout... Alors il est comme les enfants. Il pique des colères. Il fait des caprices. La solution de le coller devant la télé fonctionne encore, mais bientôt il voudra choisir ses programmes, puis avoir sa télé... L’individu est le pivot de tout l’édifice et il commence à le comprendre. Il est probable qu’il comprenne assez vite qu’il n’a pas besoin des professionnels du pouvoir, ni de conseillers en communication pour pratiquer l’activité humaine et citoyenne par excellence, la politique.
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