Effectivement, le vocabulaire se militarise de jour en jour. Ancien militaire, je n’arrête pas de m’en étonner chaque à chaque emploi par un « civil » d’un terme que je croyait cantonné aux cours de caserne ou aux champs de manoeuvre...
Maintenant, il existe une explication très simple à ce phénomène, quoique sans doute peu connue du grand public, phénomène dont j’ai été le témoin pendant mes dernières années de service entre 2002 et 2005.
Personne n’ignore que, dans les années 80 et 90, les « stages de motivation » organisés pour les cadres d’entreprises (prendre le sens large du mot) ont été une grande mode pour éprouver le mordant et la ténacité d’un cadre sorti de son contexte habituel et placé devant une situation inattendue, voire périlleuse, afin de voir jusqu’où son self-control pouvait aller face à une adversité et des évènements sur lesquels ce cadre n’avait que peu de prise : saut à l’élastique, varappe, paint ball (on donnait déjà dans le paramilitaire), j’en passe et des meilleures.
Depuis quelques années (une dizaine en fait) cette mode du stage « d’oxygénation » a fait place à une prise en compte de certains faits et facteurs appartenant au monde exo-entreprenarial et qui ont poussé les instances dirigeantes de ces mêmes entreprises à se remettre en question.
Beaucoup d’anciens militaires qui ont quitté les rangs de l’institution soit par conviction personnelle (comme moi), par obligation ou par opportunisme, ont innondé le monde des entreprises, qui, reconnaissant certaines qualités intrinsèques à leur ancienne profession (sens de l’organisation, respect de la chaîne hiérarchique, ponctualité, disponibilité, etc.), se sont empressées de les recruter, et ce pour deux raisons essentielles :
PRIMO : Le sens organisationnel et logistique Il ne fait de mystère pour personne que les militaires sont d’excellents logisticiens. Hors, dans le contexte de mondialisation actuelle, la logistique est devenue le nerf de la guerre (sans mauvais jeu de mot, tant il est vrai que la mondialisation est une guerre économique au sens propre du terme). Une part très importante des logisticiens du monde de l’entreprise sont issus du monde militaire (officiers ou sous-officiers)et dans des entreprises de taille internationale (comme Bic, par exemple, ou Perrier). On est là typiquement dans le domaine de « l’organisationnel ».
SECUNDO : la capacité et la rapidité de réaction On cite souvent, dans le milieu militaire, la fameuse réplique de Clint Eastwood entendue dans « Le Maître de Guerre ». A savoir : « Improviser, S’adapter, Dominer ». C’est ce que l’institution militaire apprend à ses cadres à tous les échelons dès leur entrée sous les armes. Dans un contexte de compétition économique mondiale, où ce qui sépare parfois une bonne opération boursière d’une mauvaise n’est parfois qu’une poignée de minutes, la capacité de réaction rapide de la chaîne de commandement militaire impressionne consédérablement les responsables des grandes entreprises. Cette faculté est grandement facilitée par un processus décisionnel codifié et en perpétuelle révolution au niveau de sa conception.
LA NOUVELLE MODE : Depuis une dizaine d’années, donc, et pour reprendre le cours de ma réaction à cet intéressant article, on assiste à des stages en milieu militaire de grandes entreprises industrielles, mais aussi et surtout de prestataires de services (par exemple de grands cabinets de consulting comme Ernst & Young, ou des sociétés de collecte et de retraitement des déchets comme Onyx). Il viennent y étudier les mécanismes de la chaîne de commandement par le biais d’une mise en situation de 24 à 48h00 non-stop, au sein d’une simulation informatique de conflit de haute intensité (la réaction à une invasion d’un territoire fictif par un ennemi, fictif lui aussi pour ne froisser personne), de crise humanitaire (déploiement d’une force d’interposition de type Onusienne, par exemple) où ils devront, encadrés par des officiers de l’armée qui seront les coordinateurs pédagogiques de l’exercice, faire face à la menace et prendre des décisions souvent dans le feu de l’action face à des situations inconnues et perturbées par des évènements qu’ils ne contrôlent pas (attaque d’une unité rebelle sur un check-point lors de la gestion d’un flot de réfugiés...) mais sur lesquels ils doivent influencer pour retourner la situation en leur faveur, ou du moins pour limiter la casse qui se traduit ici non plus en terme de perte de marchés mais en pertes humaines (fictives évidemment). Le bilan qui en ressort est toujours extrêment positif pour les cadres des entreprises qui ont passé ce « test opérationnel », quel que soit le succès du résultat de la simulation.
Ceci peut expliquer, en partie, que certains mots tirés du répertoire militaire fassent irruption dans le langage courant, dans tous les domaines, y compris jusque dans l’Education Nationale, où j’entend de plus en plus de professeurs adopter un langage opérationel, quand il n’est pas « casernier ».
Un deuxième aspect ne doit pas être négligé qui me semble aussi résulter d’une société où l’aspect prime, où l’effet visuel domine afin de marquer voire « d’impressionner » les esprits au détriment parfois du sybillin et du second degré. Les mots se doivent aussi d’être « visuels » ou du moins aisément visualisable (imaginables) par le commun de la société, à tous échelons. Et quoi de mieux qu’un vocable somme toute assez violent (« impactant »), allant droit au but, sans finasser, pour marquer les esprits et faire passer un message du premier coup.
Le militaire lambda n’est après tout pas réputé parmi la société civile pour sa finesse d’esprit...
17/07 10:29 - Achéron
Effectivement, le vocabulaire se militarise de jour en jour. Ancien militaire, je (...)
16/07 09:25 - Vilain petit canard
Pertinente analyse ! Mais ce vocabulaire « militaroïde » vient d’abord du monde de (...)
15/07 20:21 - JL
Parmi les mots qui posent problème, il en est un qui paraît innocent, et qui fait des ravages, (...)
15/07 20:10 - JL
Il n’y a pas que les mots qui posent problème, ainsi l’expression : « les gens qui (...)
15/07 17:29 - la slavia
Les mots paraissent ne plus se suffire à eux-mêmes alors quand on est petit garçon, comme mes (...)
15/07 16:17 - forum123
Merci également pour le petit poème de Desnos, bien raffraichissant
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