• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Certains mots sont-ils dangereux ?

Certains mots sont-ils dangereux ?

Je rapporte un échange avec mon père. Les mots sont beaux. Utilisés sciemment, ils parlent et révèlent de belles choses. Aujourd’hui, Les mots que nous entendons bien souvent font froid dans le dos. Les personnes qui écoutent, voire entendent ces mots prennent-ils le temps de les analyser ? Comprennent-ils la teneur ? J’ajoute : ATTENTION ! LES MOTS SONT DANGEREUX.

La population cible

Une expression est devenue à la mode depuis plusieurs années qui est vraiment étonnante si on prend le temps d’y réfléchir : les « populations-cibles », dont parlent couramment les économistes et les développeurs. Cherchons dans le dictionnaire la définition originelle du mot « cible » : « objet servant de but pour le tir des armes de jet ou des armes à feu ». Mon père qui me dit : Personnellement, je sursaute chaque fois que j’entends l’expression « population-cible » : l’image qui me vient immédiatement à l’esprit est celle de condamnés attachés à des poteaux face à un peloton d’exécution ; moins tragiquement, je repense aussi aux exercices de tirs du service militaire : couchés face à des silhouettes humaines situées à 200 mètres, nous recevions l’ordre suivant : « sur les cibles correspondants à vos numéros, de la droite à la gauche numérotez-vous ! » et chacun nommait sa cible. Peut-être direz-vous que j’exagère : c’est une façon de parler ; il ne faut pas prendre les mots au pied de la lettre... Je suis d’accord. Mais je pense que les mots ne sont pas neutres ni innocents ni inoffensifs ; les images ont une force ; elles véhiculent des idées dans nos têtes ; celles-ci modifient, inconsciemment, nos comportements et nos attitudes. Quand je dis « population-cible », même s’il n’y a aucune idée meurtrière dans ma tête ni dans ma conduite, il est tout de même probable que lesdites populations seront traitées, plus ou moins, comme des objets, passifs et incapables d’initiative, à défaut d’être des condamnés. En tous cas, je vois mal une « population-cible » se lever pour prendre son destin en main. Ou alors, il faut la nommer autrement.

La descente sur le terrain

Prenons un autre exemple : quand vous dites : « descente sur le terrain », ce n’est pas une image physique que vous évoquez ; le terrain peut même se situer plus haut que la ville. En parlant ainsi, sans le savoir, vous exprimez toute la supériorité plus ou moins méprisante de la ville sur la campagne, de l’administration sur les paysans, des citadins sur les ruraux. Comment voulez-vous alors lutter contre l’exode rural ? Tout le monde ne regarde-t-il pas vers le haut ? Plus grave, cette image de supériorité se traduira inévitablement dans vos comportements sur le terrain : vous regarderez forcément de haut les gens d’en bas que vous êtes descendus voir.

Mais revenons au mot « cible ». Evidemment, il est emprunté au langage militaire ; mais il n’est pas le seul. Depuis quelques décennies, - depuis la guerre de 40 peut-être qui a vu le triomphe des armées ? - nous assistons à une véritable contamination de la société civile par le vocabulaire militaire. Et cela non plus n’est pas neutre, j’allais dire inoffensif. Sans que personne ne l’ait décidé, il y a une espèce de « mise au pas » de la société civile : comme les soldats, il faut « marcher au pas ». A l’armée, les valeurs dominantes sont l’efficacité et les résultats ; assortis de la technique et des moyens pour y parvenir, souvent au détriment des hommes et de la société. Un militaire n’a pas d’état d’âme : cela paralyserait son action. A côté du courage et de la bravoure des soldats, il y a les innombrables bavures pour ne pas dire plus. Aujourd’hui, c’est toute la planète qui est mise au pas d’un ordre économique dominant dans un climat de guerre économique.

Le langage militaire investit tous les champs de la langue

En particulier, la contagion militaire a envahi tout le vocabulaire du domaine des moyens et des fins. Prenons quelques exemples. Les hommes n’ont pas attendu l’armée moderne pour donner des buts ou des fins à leurs actions ni pour expliquer l’organisation des causes et des moyens : les philosophes grecs, en particulier Aristote, ont composé des traités toujours actuels sur ces questions.

Mais maintenant, un seul mot s’impose : objectifs  ; globaux, finaux, intermédiaires, opérationnels, tous les qualificatifs que vous voudrez ; en tous cas, dans le domaine du développement, si vous ne parlez pas d’objectifs, vous n’êtes pas à la page ; à la limite, vous risquez de ne pas être pris au sérieux.

Auparavant, la méthode était le choix et l’organisation des moyens en vue d’atteindre un but ou une fin ; maintenant, il n’est plus question que de stratégie.

Le résultat d’une action ne se mesure plus aujourd’hui qu’en termes d’impact.

Désormais, on ne stimule plus, on n’encourage plus les gens à réaliser ce qu’ils veulent faire ; c’est dépassé ! Non, on les mobilise (définition du dictionnaire : mettre sur pied de guerre des forces militaires).

Ce qui complique encore les choses, c’est qu’on continue à utiliser le vocabulaire ancien en même temps que toute la panoplie militaire moderne qui signifient souvent la même chose, mais simplement appliqués à des domaines différents. Du coup, des acrobaties de définitions pour distinguer : finalité, but, mission, objectif final... ; stratégie et méthode... Ce qui évidemment ne simplifie pas les explications et la communication avec les fameuses « populations-cibles ».

Sans doute, on va nous dire que nous jouons sur les mots, que nous pinaillons, que tout cela n’a pas d’importance ; l’essentiel étant le résultat... Nous ne souhaitons pas engager une bataille de vocabulaire (qui nous amènerait, malgré nous, sur un terrain militaire). Nous voulons seulement attirer l’attention du lecteur sur la force que portent les mots et les images : justement, ils peuvent, malgré nous, nous conduire à un autre résultat que celui que nous voulions atteindre.

Marolleau Jean Louis - Label Ngongo Antoine


Moyenne des avis sur cet article :  4.35/5   (74 votes)




Réagissez à l'article

25 réactions à cet article    


  • haddock 13 juillet 2007 13:39

    Souchien par exemple est un mot douteux et délicat à manier .

    Mais pour parler de ce bel animal quelques maximes :

    Pour guider les borgnes on dresse des demi-chiens .

    On croit qu’ on amène son chien pisser midi et soir . Grave erreur : ce sont les chiens qui nous invitent à la méditation deux fois par jour . Daniel Pennac .

    A bien dire , ce qu’ il y a de meilleur chez l’ homme , c’ est le chien . Nicolas Charnet .

    Les hommes c’ est comme les chiens , ça mord parce que ça a peur . Jean Anouilh .

    L’ os dit au chien « je suis dur » le chien répond " j’ ai le temps . Proverbe arabe .

    Ne laissez pas votre chien en laisse si vous voulez qu’ il vous soit attaché . Albert Willemetz .

    Et la meilleure pour la fin :

    Si je préfère les chats aux chiens ,c ’est parcequ’ il n’y a pas de chat policier .


    • Antoine Christian LABEL NGONGO Antoine Christian LABEL NGONGO 13 juillet 2007 17:14

      Bonsoir, les mots que vous maniez sont intéressants et ont une portée significative. Vous avez raison. D’ailleurs, il n’y a qu’à se reporter sur les propos que nous retrouvons dans les fables de La Fontaine pour découvrir la richesse des mots, ainsi que leur subtilité. smiley


      • L'enfoiré L’enfoiré 13 juillet 2007 18:59

        @L’auteur,

        Evidemment, les mots exprimés dans un contexte ou un espace-temps « x » peuvent être dangereux.

        Une virgule mal placée aussi. Je l’avais même écrit à l’époque de manière humoristique « Le poids des mots face aux idées » dans un cas qui provenait d’outre atlantique où les susceptibilité étaient bien différentes.

        Une leçon banale de langage usuel totalement abscons dans son prolongement. Un jour verra-t-on un dictionnaire avec certains mots suivit d’une tête de mort.  smiley


        • Alienor Alienor 13 juillet 2007 19:38

          Cher monsieur, je vous remercie pour cette article original et subtil. Rare sont ceux que se préoccupent encore des interactions existant entre le langage et la pensée, et dans ce sens votre remarque sur l’utilisation du vocabulaire militaire dans le domaine économique m’a semblé très pertinente et révélatrice de notre société. Il est communément admis que la pensée est préalable au langage... Pourtant, le langage contribue à structurer et façonner la pensée élaborée. Certains vont même jusqu’à affirmer que la pensée ne peut exister sans le langage : « Toute pensée qui ne peut pas s’exprimer n’existe pas » Hegel.

          Les mots sont des idées... et inversement.

          Peut-on en déduire que celui qui parviendra à contrôler le langage pourra contrôler la pensée de tous ? Georges Orwell l’avait bien compris lorsqu’il présentait une société asservie dont on avait supprimé du vocabulaire tous les mots potentiellement dérangeants pour le pouvoir. En appauvrissant le dictionnaire, on appauvrit la pensée, un mot ne signifie jamais exactement la même chose qu’un autre, il n’y a pas de synonymes parfaits, chaque mot a sa propre connotation, sa propre histoire, au delà de son sens dans le contexte donné. Oui, vous avez raison de souligner que l’invasion du champs lexical militaire dans le domaine civil (et plus particulièrement dans le commerce) est loin d’être innocent. Tout comme l’utilisation du terrible terme « ressources humaines » au sein des entreprises.


          • Antoine Christian LABEL NGONGO Antoine Christian LABEL NGONGO 14 juillet 2007 23:25

            Merci Alienor pour vos commentaires si perspicaces. L’analyse de vos propos me sied. smiley


          • moebius 13 juillet 2007 21:27

            ces mots terribles sont ceux de l’adminitration française


            • moebius 13 juillet 2007 21:34

              ou le rapport administrant/administré


            • herbe herbe 13 juillet 2007 21:57

              Merci à l’auteur pour ce pertinent propos.

              je m’en étais également aperçu, j’en ai même fait la remarque pour m’apercevoir que certains assument complètement.

              Il y a énormément de bon petits soldats ! Et ceux qui se prétendent officiers raflent la mise...


              • haddock 14 juillet 2007 01:00

                Certains mots ont tellement de mal qu’ ils deviennent des maux .


                • haddock 14 juillet 2007 10:16

                  @ Le Panda ,

                  En un mot comme en plusieurs maux , un maudit : à Malmoe mauvaise maladie môme Maud omit mot-rire , ce qui la mot diva , c’ est le rit de mots .

                  Henrit Dynamot


                • finael finael 14 juillet 2007 16:12

                  Excellent article et peut-être dénonciation discrète de la militarisation d’une société qui n’a plus connu de guerre sur son sol depuis 62 ans.

                  On savait bien autrefois le poids des mots : nommer quelque chose revient à prendre un pouvoir sur ce que l’on nomme : c’est pourquoi les religions monothéïstes utilisent des périphrases pour nommer leur dieu (« lui », « le tout », « le tout puissant », « lui-eux », « celui qui fait »). C’est aussi à la base de nombreuses pratiques magiques (utiliser le « vrai » nom de tel ou tel mal, ou bien, ou créature, ...)

                  Dans un autre registre, les traducteurs savent bien que les mots, les langages, traduisent des pensées, des philosophies différentes et que certains, comme certaines expressions sont intraduisibles.

                  Et pour revenir à ce qui me semble le fond de l’article : cette militarisation du vocabulaire ne traduit-elle pas l’existence d’une guerre ?

                  Une guerre qui n’utilise pas (en tout cas pas toujours) les armes à feu, mais qui fait peut-être tout autant, voire plus, de dégats et de victimes (les conflits armés ont provoqué 1% des morts au XXème siècle, les suicides autant, les accidents 4% - source « The Richardson Institute »).

                  Mais peut-être vaut il mieux se retrancher derrière les mots pour éviter les retombées et les dommages collatéraux de ce genre de pensées ?


                  • nipalm nipalm 14 juillet 2007 16:15

                    Salut, j’aimerai vous faire partager un site que j’aime beaucoup sur les mots : « les mots sont importants ». http://lmsi.net/ ps, pour le premier commentaire d’Haddock, ils ont une opinion intéressante sur souchien.


                    • nipalm nipalm 14 juillet 2007 16:19

                      euh... petite rectification : c’est le site du collectif les mots sont important


                    • forum123 14 juillet 2007 19:15

                      Merçi pour cet article.

                      Effectivement, ces derniéres décennies certains registres du Français sont trés agressifs ! Notamment dans le monde du travail.


                      • Deneb Deneb 14 juillet 2007 22:43

                        Effectivement, certains expressions font froid dans le dos. Notamment lorsque le langage militaire s’introduit dans la science mercantile, l’arnaque savante. Heureusement, il y a plus joyeux. Je voudrais revenir sur le mot de M. Devedjian à propos de Mme Comparini. Il y a quelques décennies, ce mot était une insulte impardonnable. Mais, vu que les moeurs se sont quelque peu libéralisés (j’ose l’espérer), ce terme a aujourd’hui un arrière goût érotique, dans certains contextes c’est à la limite du compliment. Une s..., c’est une femme que l’on désire désespérément, on l’appelle comme ça parce qu’exaspéré de n’avoir pu la séduire. De la même maniere que le mot « coquin » a completement changé de sens au cours des siècles, le mot prononcé par M ; Devesdjian va devenir de moins en moins péjoratif. Je suppose que la réponse d’une femme traité de sorte dans 100 ans sera : merci du compliment !


                        • moebius 14 juillet 2007 23:14

                          Ce ne sont pas les mots en eux meme qui importen. Dans l’absolu les mots n’ont aucune valeur


                          • ExSam 15 juillet 2007 11:40

                            Bien vu, mais j’aurais aimé qu’ils en mette plus...

                            Jamais content ces forumeurs ! smiley


                            • stephanemot stephanemot 15 juillet 2007 14:58

                              Le phénomène s’avère encore plus spectaculaire aux Etats-Unis, où l’Administration Bush aura distillé une propagande en tous points remarquables sur la période 2001-2005, avec un impact optimal dans l’ensemble des media et sur les comportements. J’avais fait un parallèle assez saisissant avec la phrasélogie mussolinienne, en particulier dans la critique sans appel des esprits faibles tentés par le pacifisme.

                              Cette violence s’est logiquement traduite dans la publicité, où le virage des années Clinton aux années Dubya se cristallise parfaitement à mes yeux dans cette pub pour un SUV (Dodge, je crois) où le visuel présentait le pare-choc avant et la calandre sous un angle massif et agressif, avec un lettrage et un code couleur à l’avenant (voiture noire fond rouge), et ce slogan très révélateur : « less soccer mom, more who’s your daddy ».

                              J’ajouterai par ailleurs (en écho au titre de l’article) que les mots ont la capacité de blesser. Considérons l’incident Materazzi - Zidane, par exemple : l’Italien place une agression caractérisée avec l’intention de faire mal, et le Français réplique par une agression physique tout aussi stupide, mais dans l’esprit les deux actes méritent le même carton rouge.


                              • forum123 15 juillet 2007 16:12

                                Grand merci Antoine Christian de nous rappeler ces évidences , Ce qui est sous notre nez est ce que nous oublions le plus facilement !

                                Effectivement certains registres du Français sont de plus en plus agressifs ces dernières décennies, comme la politique ou le monde du travail , les commerciaux par exemple.

                                Eh oui une autre évidence ! language=>implique=>manipulation


                                • forum123 15 juillet 2007 16:17

                                  Merci également pour le petit poème de Desnos, bien raffraichissant


                                • la slavia la slavia 15 juillet 2007 17:29

                                  Les mots paraissent ne plus se suffire à eux-mêmes alors quand on est petit garçon, comme mes fils, on rajoute devant méga, hyper, supra, voire hyper méga top et quand on est adulte, on se place dans des registres excessifs, dont le registre guerrier.

                                  Réapprendre à parler français.

                                  Et si les gens qui nous gouvernent ou ambitionnent de le faire, plutôt que de construire une ligne maginot grotesque en bannissant les mots d’origine étrangère, montraient l’exemple en renonçant à la novlangue !


                                  • Francis, agnotologue JL 15 juillet 2007 20:10

                                    Il n’y a pas que les mots qui posent problème, ainsi l’expression : « les gens qui nous gouvernent ».

                                    Il y a des élus qui gouvernent l’état et les institutions, c’est la démocratie. En revanche, vous je ne sais pas, mais moi je refuse à quiconque le droit de me gouverner !


                                  • Francis, agnotologue JL 15 juillet 2007 20:21

                                    Parmi les mots qui posent problème, il en est un qui paraît innocent, et qui fait des ravages, c’est ’Gauche’.

                                    Les américains ont des démocrates et des républicains, les britanniques ont des travaillistes et des conservateurs, mais nous, nous avons une droite et une gauche. D’un coté la droiture, de l’autre la gaucherie, quand ce n’est pas la senestre, la sinistre !


                                    • Vilain petit canard Vilain petit canard 16 juillet 2007 09:25

                                      Pertinente analyse ! Mais ce vocabulaire « militaroïde » vient d’abord du monde de l’entreprise et du marketing, qui dans les débuts a singé les mathématiques et la sociologie, puis a adopté ce vocabulaire de campagne d’invasion dans les années 80. Il n’était plus question de se positionner, ni de proposer une meilleure offre, mais soudain de contourner le concurrent, parfois même de le détruire, ou d’attaquer ses positions.

                                      On a vu alors les consultants (dont l’incontournable Kotler) proposer des séminaires de marketing de combat, de guerilla marketing. Tout ceci est lié à la montée de la concurrence mondiale et à l’affaissement supposé des valeurs patriotiques en Europe.

                                      L’obsession de garder la forme, la pratique obsessionnelle du jogging, procédent de la même logique (qui va jusqu’aux sauts à l’élastique et autres fariboles, comme les camps/séminaires d’entraînement pour cadres, avec tirs au paintball) : rester opérationnel en cas d’attaque surprise, comme un bon commando.

                                      Parallèlement, pendant la même période, on constate qu’en France, par un mystérieux effet de vases communiquants, l’Armée ne sert plus officiellement à faire la guerre : le Ministère de la Guerre, désuet depuis le conflit mondial, devient progressivement Ministère des Armées, puis Ministère de la Défense (on n’attaque jamais, on ne fait que se défendre), pendant que des consultants sans scrupules lancent l’L’Ecole de Guerre Economique. Bizarrement, l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale organise maintenant des séminaires d’intelligence économique (allez voir, je vous jure !).

                                      Tout ceci fait le lit d’un éloge effréné de la concurrence sauvage (puisque le monde est en guerre économique, battons-nous, et démolissons notre voisin, il l’a bien cherché), au détriment des valeurs de coopération et de partage.

                                      Peu à peu, le citoyen ainsi défendu prend l’habitude de se croire environné de dangers et d’adversaires, et donc de se tourner vers sa puissance tutélaire, ou vers qui prétend l’incarner. La peur rend docile, c’est connu. De plus, devant un ennemi-concurrent aussi flou et diffus, comment faire autrement qu’en restant en garde permanente ? Tout est suspect d’agression : les immigrés, les terroristes, la télé, le voisin ronchon, les pédophiles, les voitures qui roulent trop vite, les cigarettes des autres, les serial-killers. Orwell avait inventé la guerre fictive entre blocs dans 1984, nous avons mis en place la guerre diffuse permanente, avec entraînement physique pour tout le monde...


                                      • Achéron 17 juillet 2007 10:29

                                        Effectivement, le vocabulaire se militarise de jour en jour. Ancien militaire, je n’arrête pas de m’en étonner chaque à chaque emploi par un « civil » d’un terme que je croyait cantonné aux cours de caserne ou aux champs de manoeuvre...

                                        Maintenant, il existe une explication très simple à ce phénomène, quoique sans doute peu connue du grand public, phénomène dont j’ai été le témoin pendant mes dernières années de service entre 2002 et 2005.

                                        Personne n’ignore que, dans les années 80 et 90, les « stages de motivation » organisés pour les cadres d’entreprises (prendre le sens large du mot) ont été une grande mode pour éprouver le mordant et la ténacité d’un cadre sorti de son contexte habituel et placé devant une situation inattendue, voire périlleuse, afin de voir jusqu’où son self-control pouvait aller face à une adversité et des évènements sur lesquels ce cadre n’avait que peu de prise : saut à l’élastique, varappe, paint ball (on donnait déjà dans le paramilitaire), j’en passe et des meilleures.

                                        Depuis quelques années (une dizaine en fait) cette mode du stage « d’oxygénation » a fait place à une prise en compte de certains faits et facteurs appartenant au monde exo-entreprenarial et qui ont poussé les instances dirigeantes de ces mêmes entreprises à se remettre en question.

                                        Beaucoup d’anciens militaires qui ont quitté les rangs de l’institution soit par conviction personnelle (comme moi), par obligation ou par opportunisme, ont innondé le monde des entreprises, qui, reconnaissant certaines qualités intrinsèques à leur ancienne profession (sens de l’organisation, respect de la chaîne hiérarchique, ponctualité, disponibilité, etc.), se sont empressées de les recruter, et ce pour deux raisons essentielles :

                                        PRIMO : Le sens organisationnel et logistique Il ne fait de mystère pour personne que les militaires sont d’excellents logisticiens. Hors, dans le contexte de mondialisation actuelle, la logistique est devenue le nerf de la guerre (sans mauvais jeu de mot, tant il est vrai que la mondialisation est une guerre économique au sens propre du terme). Une part très importante des logisticiens du monde de l’entreprise sont issus du monde militaire (officiers ou sous-officiers)et dans des entreprises de taille internationale (comme Bic, par exemple, ou Perrier). On est là typiquement dans le domaine de « l’organisationnel ».

                                        SECUNDO : la capacité et la rapidité de réaction On cite souvent, dans le milieu militaire, la fameuse réplique de Clint Eastwood entendue dans « Le Maître de Guerre ». A savoir : « Improviser, S’adapter, Dominer ». C’est ce que l’institution militaire apprend à ses cadres à tous les échelons dès leur entrée sous les armes. Dans un contexte de compétition économique mondiale, où ce qui sépare parfois une bonne opération boursière d’une mauvaise n’est parfois qu’une poignée de minutes, la capacité de réaction rapide de la chaîne de commandement militaire impressionne consédérablement les responsables des grandes entreprises. Cette faculté est grandement facilitée par un processus décisionnel codifié et en perpétuelle révolution au niveau de sa conception.

                                        LA NOUVELLE MODE : Depuis une dizaine d’années, donc, et pour reprendre le cours de ma réaction à cet intéressant article, on assiste à des stages en milieu militaire de grandes entreprises industrielles, mais aussi et surtout de prestataires de services (par exemple de grands cabinets de consulting comme Ernst & Young, ou des sociétés de collecte et de retraitement des déchets comme Onyx). Il viennent y étudier les mécanismes de la chaîne de commandement par le biais d’une mise en situation de 24 à 48h00 non-stop, au sein d’une simulation informatique de conflit de haute intensité (la réaction à une invasion d’un territoire fictif par un ennemi, fictif lui aussi pour ne froisser personne), de crise humanitaire (déploiement d’une force d’interposition de type Onusienne, par exemple) où ils devront, encadrés par des officiers de l’armée qui seront les coordinateurs pédagogiques de l’exercice, faire face à la menace et prendre des décisions souvent dans le feu de l’action face à des situations inconnues et perturbées par des évènements qu’ils ne contrôlent pas (attaque d’une unité rebelle sur un check-point lors de la gestion d’un flot de réfugiés...) mais sur lesquels ils doivent influencer pour retourner la situation en leur faveur, ou du moins pour limiter la casse qui se traduit ici non plus en terme de perte de marchés mais en pertes humaines (fictives évidemment). Le bilan qui en ressort est toujours extrêment positif pour les cadres des entreprises qui ont passé ce « test opérationnel », quel que soit le succès du résultat de la simulation.

                                        Ceci peut expliquer, en partie, que certains mots tirés du répertoire militaire fassent irruption dans le langage courant, dans tous les domaines, y compris jusque dans l’Education Nationale, où j’entend de plus en plus de professeurs adopter un langage opérationel, quand il n’est pas « casernier ».

                                        Un deuxième aspect ne doit pas être négligé qui me semble aussi résulter d’une société où l’aspect prime, où l’effet visuel domine afin de marquer voire « d’impressionner » les esprits au détriment parfois du sybillin et du second degré. Les mots se doivent aussi d’être « visuels » ou du moins aisément visualisable (imaginables) par le commun de la société, à tous échelons. Et quoi de mieux qu’un vocable somme toute assez violent (« impactant »), allant droit au but, sans finasser, pour marquer les esprits et faire passer un message du premier coup.

                                        Le militaire lambda n’est après tout pas réputé parmi la société civile pour sa finesse d’esprit...

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès