Je tente une mise à jour du texte précédent.
J’observe depuis quelques mois des comportements urbains et pour tout dire un peu étranges : de plus en en plus de gens prennent des images avec leur petit galet poli, le tiennent à bout de bras et à tout bout de champ, les yeux écarquillés, prennent tout et souvent n’importe quoi. Scène vue cet été sur le quai d’une gare de banlieue : un groupe de filles, la trentaine, bavardent en attendant leur train. L’une d’elles avise une autre fille à distance, comme je suis à côté, je tends l’oreille : « t’as vu la fille là-bas ?, j’adoooore sa coiffure !!! » Et là, ni une, ni deux, avec un naturel désarmant, elle s’approche d’elle et lui demande si elle peut la photographier. La fille en question, tout sourire se prète au jeu, ravie d’être le centre d’intérêt du quai, fût-ce qu’un instant.
Du coup, je me dis que finalement ce foutu téléphone portable, que je critique souvent est quand même un drôle d’objet de médiation.
Malheureusement... autre scène vue, autres lieux... un corps de milicien du Hamas déchiqueté en palestine, suite à des combats entre miliciens du Fatah et membres du Hamas à Gaza. Au dessus du corps mutilé, des grappes de jeunes prenant en photo le maccabée...
Même scène quelques années avant en Israël : des policiers israéliens sur le site d’un attentat tiennent à bout de bras la tête du kamikase et se photographient avec, hilares.
Mais c’est une autre histoire...
Pour ce qui est de la photo de tous les jours, le portable réconciliera peut-être nos contemporains avec la photo de rue. Reste que porter l’oeil au viseur de son Leica et tendre son portable à bout de bras, n’est pas la même chose. Pas la même attitude : dans le cas de l’appareil, qu’on le veuille ou non, on est un peu amputé de la tête (même si avec le Leica M précisement, c’est un peu moins vrai) du coup, pour celui qui est « la proie » il y a sans doute une appréhension bien légitime.
Le geste du « tendeur de portable » est probablement moins traumatisant, et plus « in », ou plus « fun »...
Les rolleiflex ou les blad, posés sur les paumes ouvertes du photographe avaient en d’autres temps, meilleure réputation. C’était sans doute fondé. On parlait d’ailleurs à ce propos que le photographe qui utilisait ces appareils s’inclinait devant les gens qu’il photographiait.
Prendre une photo sur le vif requiert des compétences et du métier : un sens de l’anticipation, une discrétion et une maîtrise de la technique exemplaires, sans compter une bonne dose de psychologie. Mais quelquefois, apprendre aussi à s’approcher, à ne pas faire la photo tout de suite, à parler avec les gens, à leur donner confiance permet d’obtenir souvent de bien meilleurs résultats. Un regard qui vous sonde, un regard donné de plein gré, avec la générosité de l’instant est souvent bien plus précieux qu’une image volée. A ce propos, lire ce que raconte à ce sujet notre ami Nicolas Bouvier, et enchainer sur « histoire d’une image » du même auteur.
Que du bonheur...
VM