La réponse a déjà été donnée plusieurs fois. Elle se trouve en particulier dans l’« Atlas des langues du monde » (éd. Autrement, 2003, p. 21) du prof. Roland Breton. Le prof. Joshua A. Fishman, qui a lui-même préfacé cet ouvrage, connaît très bien l’espéranto. Il est écrit : « Pour l’espéranto, les chiffres vont de 500 000 pratiquants actifs à une audience de près de 8.000.000 de par le monde ». Donc le nombre souvent avancé de 3 millions est dans la moyenne de cette fourchette. On pourrait tout aussi bien poser la question « Combien de personnes à peu près parlent l’anglais couramment ? », et il y aurait lieu de douter du nombre souvent avancé. Le nombre de locuteurs natifs de l’anglais est inférieur à 5% (statistique de la CIA). Or, l’anglais a pris son départ bien plus tôt, de par la colonisation, et il a disposé de moyens humains, matériels et financiers d’une tout autre importance. Et même de moyens militaires : « L’espéranto ? Combien de divisions ? ». Donc la situation de l’espéranto est tout à fait honorable pour une langue qui s’est ainsi hissée « à la force du poignet ». Car s’il a eu des soutiens, ils avaient bien peu de poids à côté des entraves opposées par certains régimes, pas seulement totalitaires. Il faut se souvenir de l’opposition farouche du gouvernement français de 1921 à 1923 à la SDN et de l’interdiction d’utiliser les locaux scolaires pour les cours d’espéranto décidée par un futur Vychiste : Léon Bérard ; des dispositions semblables furent prises la décennie suivante sous le IIIème Reich.
A signaler une étude intéressante sur le site du gouvernement québécois, notamment le point 1.4 « Langue transglossique » http://www.cslf.gouv.qc.ca/publications/PubF147/F147.html
Quant à l’éventualité de patois locaux, il n’en est pas apparu en 120 ans d’histoire de la langue. Certes, elle n’est pas encore généralisée, mais cette langue a un « squelette » à la fois assez rigide par certains traits et souple par d’autres qui est le « Fundamento de Esperanto ». Il n’y a rien de tel pour l’anglais : prononciation chaotique et totalement illogique, innombrables polysémies, rigidité de la syntaxe, etc... Le rôle de l’espéranto n’est pas de devenir la langue unique (ce que tend à faire l’anglais sous des pressions évidentes : on sait à qui profite ce jeu truqué). L’espéranto est appris avant tout comme langue « transglossique » (le terme me paraît intéressant).
Enfin, croire qu’il suffit de la sympathie, même active, de telle ou telle personnalité, aussi influente qu’elle soit, pour que l’espéranto puisse émerger, c’est faire preuve d’un manque certain de perspicacité. Même le président Tito, qui avait appris l’espéranto en prison, et qui n’était sans doute pas un modèle de démocrate, avait reconnu qu’une décision ne pouvait venir que du peuple bien informé (ce qui est loin d’être le cas à travers le monde) : « L’espéranto doit être introduit dans les écoles, non point par un décret d’en haut, mais par l’exigence consciente de l’opinion publique informée, par conséquent depuis la base, d’une manière vraiment démocratique. »
Le président autrichien Franz Jonas, qui parlait couramment la langue, était du même avis.
Je doute que, malgré ses propos, Léon Blum aurait introduit d’autorité l’espéranto dans toutes les écoles comme langue obligatoire. Il espérait simplement que, par une prise de conscience, on en viendrait à l’introduire comme enseignement obligatoire. Il y a donc une nuance.
Aussi nombreux qu’elles ont pu l’être et qu’elles le sont encore, les personnalités qui soutiennent l’espéranto et qui le parlent couramment sont encore loin de l’être assez pour se faire entendre. J’ai déjà cité le cas de l’eurodéputée polonaise Małgorzata Handzlik et du prix Nobel Reinhardt Selten (même si son titre Nobel d’économie est parfois contesté, il est accepté comme tel : http://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_Nobel ). L’évolution des idées et des comportements demande autrement plus de temps que celle de l’évolution des sciences, des techniques, des normes. Pourtant, même le système métrique, bien plus ancien, est encore chahuté par les mêmes qui veulent imposer, à leur avantage, leur langue totalement illogique au monde.