Voici le texte complet de l’allocution prononcée par le Maire de Paris. Bonne lecture ! Th. M
Discours de Bertrand Delanoë Inauguration du parvis Jean-Paul II
Dimanche 3 septembre 2006
Monseigneur le Nonce apostolique, Monsieur le Cardinal, Monseigneur l’Archevêque de Paris, Monsieur l’Ambassadeur, Mesdames et Messieurs les élus, Messieurs les représentants des cultes, Mesdames, Messieurs,
Il y a un an et demi, à l’annonce de la mort du pape Jean-Paul II, de très nombreux Parisiens se sont rassemblés sur ce parvis. Leur élan n’exprimait pas seulement l’ardeur d’une foi. D’évidence, ce deuil, dépassant la seule conscience catholique, prenait aussi la forme d’un hommage à une figure essentielle de notre temps. Ensemble, ils célébraient sa clairvoyance active, érigée, tel un rempart, contre les dérives intégristes qui menacent.
Cet hommage, nous l’exprimons aujourd’hui, en cohérence avec l’identité de Paris, nourrie depuis toujours d’une diversité féconde. En effet, les noms des rues et des places de notre ville, sont le meilleur symbole de cette multiplicité d’héritages qui forgent notre histoire commune. On y trouve la trace de celui qui croyait au ciel, de celui qui n’y croyait pas, et même de celui qui y croyait à sa façon.
Si notre ville n’oublie pas ce qu’elle doit à la part chrétienne de son histoire, elle a toujours honoré des femmes et des hommes dont la variété des engagements intellectuels et spirituels, dessine une constellation magnifique. Jean-Paul II la rejoint à présent, lui, l’acteur épris de liberté, le combattant de la vérité, l’homme de la paix. Car Jean-Paul II ne se résignait pas aux horizons obstrués. Le jour même de son élection, il s’adressait au monde pour l’inviter à dépasser la fatalité des frontières.
Ainsi, il contribua à ouvrir les premières brèches dans le rideau de fer, en accompagnant la lutte des peuples d’Europe de l’est vers la reconquête obstinée de leur liberté. Il sentait venir l’Histoire, il avait l’intuition farouche que rien - ni l’oppression de la censure, ni la menace des armes - ne pouvait s’interposer indéfiniment entre un peuple et son désir de vivre.
Sans doute ses propres racines expliquent-elles le rapport spécifique de Jean-Paul II au monde. Issu du cœur d’un peuple asservi à deux reprises par le totalitarisme, il mesurait d’autant mieux le sens profond et la valeur infinie de la liberté. Il l’aimait cette liberté. Et d’abord, celle de l’esprit. Jean-Paul II nous invitait à user de la liberté de penser, la seule qui subsiste, toujours, au milieu des pires contraintes, et au nom de laquelle il posa un acte majeur : la réhabilitation de Galilée, ce martyr de l’esprit critique, humilié et condamné à dénoncer la vérité scientifique qu’il avait lui-même établie. Sous le pontificat de Jean-Paul II, l’Eglise pose un regard sans concession sur son propre cheminement. Chacun conserve en mémoire la force et l’impact universel d’un événement singulier : un pape qui demande pardon et qui admet qu’aucune histoire n’est parfaite - même, et peut-être surtout, quand elle se veut l’expression d’un dessein divin. Jean-Paul II substitue ainsi l’exigence à la bonne conscience.
Sur les ravages des Croisades, sur les violences de l’Inquisition, sur la haine stérile des guerres de religion, sur l’indifférence parfois complice de certaines autorités catholiques devant la traite des Noirs, il aborda avec un courage exceptionnel toutes les facettes de cet héritage. Il accomplit même un geste historique en exprimant, le 16 mars 1998, la repentance de l’Eglise sur ses propres silences devant la Shoah.
« Nous avons tous commis des fautes » disait-il, et il ajoutait : « L’Eglise a le devoir de regretter profondément les faiblesses de tant de ses fils qui ont défiguré son visage ». Des paroles si puissantes ne diminuaient en rien l’autorité de l’Eglise, elles la rendaient au contraire plus accessible, plus imprégnée des vertus simples de l’honnêteté.
Mais là ne s’arrête pas le legs de Jean-Paul II. Car mieux que d’autres, il invita le monde à capter cette richesse qui réside dans les interprétations multiples de la vie, dans la façon d’en rechercher le sens. C’est pour cela aussi que son message portait tant auprès des non croyants. Et avec tous les cultes, dont je salue ici les représentants, Jean-Paul II a engagé un dialogue fraternel et confiant.
Resurgit ici l’image saisissante de la grande rencontre d’Assise, où l’on vit le pape de Rome entouré de bouddhistes, d’hindouistes, de musulmans, de juifs et bien sûr, de toutes les familles chrétiennes. Quand il s’adressait aux juifs, qu’il appelait ses « frères aînés », il savait apaiser leur conscience blessée par deux mille ans d’enseignement du mépris.
Après une visite inédite à la synagogue de Rome, il se rendit en Israël, dont il fut le premier pape à reconnaître l’existence, tout en manifestant d’ailleurs, un soutien constant au désir de vivre du peuple palestinien. Il osa rappeler que Jésus était juif, que Marie était juive, et que le christianisme tirait sa sève « de la racine de ce bon olivier ». Ainsi, il ôta toute prise à l’expression d’un antisémitisme chrétien.
Pour combattre la peur de la différence, il consacra aussi d’inlassables efforts à bâtir des ponts entre le christianisme et l’islam. Depuis le Maroc, en 1985, il s’adressa solennellement à tous les musulmans, pour leur dire : « Vous et nous, vivons dans le même monde, et nous croyons dans le même Dieu. Ou bien nous marchons ensemble, ou bien nous partons à la dérive ». Toujours, Jean-Paul II a répété ce même message, année après année, dans toutes les circonstances. Ce faisant, il fut une sentinelle majeure des temps modernes. Car inlassablement, il veilla à transformer ce dialogue inter-religieux en un barrage permanent dressé contre le dessein mortel de ceux qui à travers le monde, prennent le spirituel en otage, pour légitimer leur violence. Jean-Paul II s’opposa à cette guerre des civilisations dont il refusait l’augure. Il lutta, de toute son énergie, pour que la religion ne soit pas dévoyée au service de l’insupportable.
C’est en cela que sa marque dépasse un cadre strictement spirituel, pour s’imprimer dans le champ beaucoup plus vaste de l’humain. Croyant ou pas, athée, agnostique ou religieux, chaque homme de bonne volonté, attaché à la paix et aux valeurs qui fondent une société civilisée, ne peut que saluer le serviteur d’une cause si juste et si fondamentale pour nous tous. C’est aussi pour cela que sa disparition provoqua une onde de choc parmi des peuples très éloignés de la foi catholique. Par delà les cultures et les religions, beaucoup, à travers le monde ont d’abord retenu la dimension universelle de sa démarche. Guidé par cette force morale, que même sa faiblesse physique ne put jamais ébranler, Jean-Paul II n’a suivi qu’un seul chemin : celui de la paix. C’est là, la dimension majeure de son message, son apport à la cohésion de toute notre vie collective. Se battre pour la paix ! Essentielle et bouleversante, cette force morale justifie à elle seule, l’hommage de Paris. Un hommage, je le sais qui a pu heurter des sensibilités. Certains, au nom de la laïcité, se sont émus d’une telle initiative. Mais la laïcité, la Séparation de l’Eglise et de l’Etat, auxquels je suis profondément attaché, n’impliquent en rien l’ignorance réciproque. Notre cité honore, depuis toujours, ceux qui laissent une trace dans la marche de l’humanité. Parmi eux, les femmes et les hommes de foi y ont naturellement leur place. Je le sais aussi, beaucoup ont regretté que la voix de Jean-Paul II n’ait pas fait écho à l’évolution pourtant indéniable de nos sociétés, à l’heure où l’humanité affrontait, déjà, les épreuves, les angoisses et les maladies de cette fin de siècle, telle que le sida.
Ainsi, sur le respect de toutes les identités, sur les droits des femmes, sur les choix de vie, sur le devoir aussi de protéger sa propre existence et celle d’autrui, j’ai regretté publiquement que l’autorité morale de Jean-Paul II ne soit pas mise au service d’avancées attendues et même espérées. Faudrait-il, pour autant, ignorer, l’intensité de son action, la valeur exceptionnelle de son héritage ? Incontestablement, Jean-Paul II a sa place dans la trame de notre cité.
Là où se côtoient déjà tant de noms célèbres, de destins singuliers, avec leurs contrastes et leurs paradoxes, mais surtout leur apport à notre vie collective, à ce que nous sommes ensemble. C’est aussi pour cela que l’identité de Paris est unique et qu’elle dépasse nos consciences individuelles. Cette capitale si chère aux amoureux de la liberté, où toutes les formes de spiritualité, toutes les convictions, doivent pouvoir s’épanouir. Pour que vivent la diversité et la différence.
Puisse le nom de Jean-Paul II, désormais inscrit en ce lieu, maintenir intactes notre vigilance, notre tolérance, notre courage et surtout notre capacité à nous enrichir des autres.
28/02 07:44 - ptitgui
arretons d’etre hysterique, apres tout c’est la place qui se trouve en face de (...)
22/10 16:11 - Païen
C’est Quasimodo qui doit se retourner dans sa tombe ! Voir le parvis de Notre-Dame porter (...)
13/09 13:38 - Pinpin
L’ornière de Paris, je ne prétends pas savoir de quoi elle est faite ; mais il suffit (...)
09/09 10:59 - bacalao
Il y a encore 20-30 ans on disait que les opinions et bulles du pape n’avait guère (...)
06/09 23:21 - bruno
Non, mais le dictateur sanguinaire qui a poussé la mégalomanie jusqu’à baptiser une ville (...)
06/09 23:06 - Jean Damiron
Merci Balao pour ces informations precieuses. Il est vrai qu’il y en a marre de voir (...)
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