Merci pour cet article très juste et écrit d’une façon intéressante, sur un thème qui n’est pas nouveau cependant.
Loin de moi l’idée de vous le reprocher ! En fait, je crois que c’est une question essentielle pour comprendre comment va et où va notre société moderne.
Le droit des victimes à se plaindre est à la fois très ancien et nouveau.
Très ancien, parce qu’il remonte au Livre de Job et aux Lamentations de Jérémie. Je ne dis pas cela pour faire un quelconque étalage d’érudition, j’ai mon idée en tête, mais si je l’énonce telle quelle, elle restera incompréhensible.
Dans la tragédie grecque, le héros se plaint d’être puni par les Dieux mais à juste titre. Il a réellement commis une faute et ses malheurs sont mérités.
Cette vision des choses a perduré au moins jusqu’en 1945.
Dans l’Ancien Testament, il y a une nuance de taille. Job n’est pas coupable des malheurs dont il est affligé. Ses deux « amis » tentent de le persuader qu’il reçoit un châtiment divin bien mérité, mais Job est en désaccord avec eux : il pense que son malheur est injuste et que Dieu est son seul défenseur (mais s’il se pose la question).
En 1945, Auschwitz et Hiroshima nous ont forcé à voir l’évidence : ce qui sont victimes de malheurs ne l’ont pas forcément mérité. Un malheur peut donc être injuste.
Cette idée va se diffuser dans l’intelligenstia au cours des années 50-60, puis rapidement se démocratiser.
Dès lors, cette bonne idée va devenir un instrument dans les mains des démagogues et autres vendeurs de savonettes. Promouvoir l’idée que tout malheur est injuste, donc inacceptable et se poser comme unique sauveur ou remède. Et pour forcer l’identification, le sauveur présumé prend une posture christique et se déclarant lui-même victime.
Le chaland que vous décrivez d’ailleurs fort bien souffre au quotidien des ravages de la modernité, de la compétition qui détruisent les liens ancestraux et noient l’individu dans une angoissante lutte sans merci pour la réussite sociale.
Le malheur ne peut plus s’exprimer au sein d’un groupe, puisqu’il n’y a plus de groupe, seulement un entourage de rivaux.
Alors, faut de pouvoir s’adresser à Dieu comme le fait Job, l’individu s’adresse « aux puissances » qui nous gouvernent à qui l’ont prête le pouvoir divin des mythologies grecques : récompenser et punir, lever le châtiment non mérité et punir les vrais coupables.
L’omniprésence de la victime est donc liée à une confusion totale sur la nature des mythes qui structurent notre société.
L’individu ne peut se résoudre à faire le choix entre deux visions du monde qui ne peuvent cohabiter.