Cette courte analyse de Chauvel vient, à mon avis, éclaicir cette problèmatique notion de classe moyenne. L’auteur a commis un bouquin là-dessus :
Classes moyennes, le grand retournement LE MONDE | 02.05.06 | 14h24 • Mis à jour le 02.05.06 | 21h12
"Les radiographies récentes des fractures de la société française ne laissent pas augurer leur réduction prochaine. L’épisode printanier du contrat première embauche (CPE) aura eu le mérite de révéler clairement le mal : aujourd’hui, la question sociale ne se situe plus simplement à la périphérie, dans la marginalisation d’une sous-classe désaffiliée, ni uniquement dans les banlieues de relégation, ni non plus à l’opposé, dans la sécession des élites, mais au coeur même de la société française, en son noyau central.
(Biographie
LOUIS CHAUVEL est sociologue, professeur des universités à Sciences Po Paris, membre de l’Institut universitaire de France et secrétaire général de l’Association européenne de sociologie. )
Il s’agit bien aujourd’hui de jeunes diplômés de l’université issus des catégories intermédiaires qui voient se dérober sous leurs pas les dernières marches à l’entrée dans les classes moyennes. Ils vivent ce retournement comme un risque de déchéance dans une classe d’incertitude sans avenir ni retour, et leurs parents assistent avec eux à l’extinction d’un projet social hier triomphant.
Il a fallu plus de dix ans pour mettre clairement en évidence cette nouvelle dynamique, installée dans les réalités objectives depuis bien plus longtemps, mais que notre capacité de déni nous empêchait de voir clairement.
Ce retournement dynamique apparaît dans un contexte où, pendant des décennies, les classes moyennes ont fait figure de maillon le plus solide de la société française. Elles étaient considérées comme une classe de confort, protégée et choyée, stable, située fort loin au-dessus de l’écume des difficultés des classes populaires.
En novembre 1994, dans un entretien au Monde, Jacques Delors, encore candidat à la candidature (à l’élection présidentielle de 1995), s’alarmait d’une France où « deux tiers vivraient plus ou moins bien, mais sans s’occuper de ceux qu’ils laisseraient au bord de la route : le troisième tiers, au sein duquel se trouveraient les exclus, les marginaux, les sans-espoir ».
L’hypothèse dominante d’une « moyennisation », chère au sociologue Henri Mendras (1927-2003), était que seule une minorité d’exclus d’une part et une fraction dirigeante de l’autre échappaient à une société fondée sur deux tiers de bénéficiaires avec, en son centre, une classe moyenne dominatrice et contente d’elle-même, maîtrisant son destin social et partageant une culture de sécurité et de confiance dans l’avenir.
Ce portrait social d’une classe moyenne heureuse correspond-il aujourd’hui à 70 % de la population, ou plutôt à 10 % ? Tout semble indiquer que ce noyau central, idéalement situé aux environs de 2 000 euros de salaire mensuel, doit faire face à un vrai malaise et connaît, comme par capillarité, la remontée de difficultés qui, jusqu’à présent, ne concernaient que les sans-diplôme, les non-qualifiés, les classes populaires. A la manière d’un sucre dressé au fond d’une tasse, la partie supérieure semble toujours indemne, mais l’érosion continue de la partie immergée la promet à une déliquescence prochaine.
Est-ce inéluctable ? Ce diagnostic d’involution est-il fondé, ou n’est-il qu’une angoisse sans cause réelle ? Des données diversifiées montreraient en France la stabilité remarquable des inégalités depuis vingt-cinq ans, et la relative homogénéité des classes moyennes, contrairement à ce qui se passe dans la majorité des autres pays développés, où les dynamiques sont claires et univoques.
Ainsi, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, mais aussi la Suède et d’autres encore ont fait face à un renforcement indéniable de leurs inégalités économiques, qui s’accompagne d’un phénomène de rétrécissement de leur classe moyenne (shrinking middle class). Bien au contraire, en France, globalement, rien ne bougerait.
Sous cette surface lisse et plane, il en est pourtant des inégalités comme de la pauvreté : si, en vingt ans, les pauvres sont restés aussi nombreux, ce ne sont plus les mêmes. Naguère, il s’agissait de vieux qui devaient bientôt disparaître. Aujourd’hui, les pauvres sont avant tout des jeunes, pleins d’avenir dans la pauvreté.
La dynamique des inégalités en France est assez semblable : si les générations nées avant 1920, trop tôt pour bénéficier vraiment de l’Etat-providence et d’une société plus égalitaire, ont été polarisées à l’extrême entre un prolétariat exploité et une bourgeoisie d’héritiers, celles qui sont nées entre 1925 et 1950 ont connu l’expansion massive du salariat intermédiaire, des perspectives de mobilité ascendante historiquement exceptionnelles, tant du point de vue social qu’économique, les échelons les plus modestes ayant bénéficié des augmentations salariales les plus substantielles, comme l’a montré Thomas Piketty (Les Hauts Revenus en France au XXe siècle. Inégalités et redistributions, 1901-1998, Grasset, 2001).
L’émergence de la société salariale, le plein-emploi, la fin des paysans et des rentiers, l’allongement de la vie, la généralisation d’assurances sociales plus généreuses et, bien évidemment, l’impôt progressif ont ensemble contribué à l’élévation du plancher social et à l’abaissement du plafond, entre lesquels une grande classe moyenne, comprimée entre ces extrêmes, a gagné en homogénéité.
En revanche, les générations nées ultérieurement sont confrontées à un retournement historique. Elles ne se contentent pas de faire face à des salaires qui ont cessé de progresser depuis maintenant une génération entière (alors que leurs aînées continuaient de progresser) : elles connaissent en outre un degré d’inégalité supérieur à celui de leurs aînés au même âge. Ainsi, la partie inférieure des nouvelles générations décroche et la partie supérieure tend à stabiliser sa situation, mais la tranche intermédiaire est écartelée entre ces deux pôles.
Simultanément, le déclin de la société salariale se mesure aux coûts de la vie spécifiques selon l’âge : dans Paris intra-muros, un salaire annuel net gagné entre 30 et 35 ans permettait d’acheter 9 m2 en 1986, et seulement 4 aujourd’hui. A la location, le temps de travail qui permettait de jouir de 1 mètre carré n’offre maintenant qu’une bande de 50 centimètres sur 1 mètre. Au contraire de ceux qui se sont endettés à temps pour bénéficier de l’inflation, les jeunes aux revenus stagnants mettront au mieux deux fois plus de temps à acquérir le même bien.
En réalité, le signe le plus inquiétant est ailleurs, mais il exige une caractérisation plus fine des classes moyennes : il ne suffit pas de les définir comme trop pauvres pour être riches ni comme trop riches pour être pauvres. En forgeant la notion de « nouvelle classe moyenne », Gustav Schmoller, l’économiste du régime bismarckien, fut, en 1897, le premier à comprendre la bidimensionnalité de cette catégorie."
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