Votre article m’a beaucoup intéressé et j’en partage l’analyse, sauf sur un point de terminologie. En effet je trouve plus qu’abusive l’utilisation qui est faite des mots « barbare » et « barbarie », et qui, selon moi, contribue à fausser notre jugement sur la « civilisation », sur notre civilisation dans une autosatisfaction de mauvais aloi.
Il ya 30 ans, en histoire du droit, un de nos professeurs nous invitait à réfléchir sur les notions de barbarie et civilisation. Le terme Barbare est un pure produit de la « civilisation », et qui fait ressortir ses tendances à la discrimination et à la xénophobie.
Sémantiquement, l’appellation « barbare » est conférée à celui qui diffère de la civilisation dominante (en latin celui qui porte la barbe et diffère du glabre citoyen romain).
Le « barbare », c’est le « bouc émissaire » de la « civilisation », le bouc émissaire de la Rome antique, le symbole de « l’autre à rejeter » ! Selon le « civilisé » il n’a ni mœurs, ni morale, ni valeur, il est l’incarnation de la « loi du plus fort », il ne connaît pas l’état de droit ! Notons au passage l’incongruité de l’expression « loi du plus fort », car il n’y a n’y a, en effet, ni loi, ni droit, ni raison du plus fort, simplement un état de fait : celui d’être le plus fort en un temps et un lieu donné.
Le barbare est surtout bien commode. Le Barbare c’est l’exclu qu’une civilisation dénonce et met au ban, le « bouc émissaire » qu’elle charge de tous ses péchés, la catharsis nécessaire par laquelle elle croit pouvoir s’absoudre, à bon compte de ses crimes et de ses exactions ! Il est aussi très utile dans la création de « lien social » fondé le rejet de l’autre !
Les plus grandes horreurs n’ont-elles pas été commises par des sociétés qui se qualifiaient de civilisées ? Que les usages et les mœurs du temps et du lieu reconnaissaient comme civilisation ? Qui s’autoproclamaient civilisations pour mieux s’absoudre des crimes et des horreurs qu’elles commettaient, dans un but de profit et de lucre ? Cela va de l’esclavage, en passant par la torture codifiée de l’inquisition, les galères et les exécutions sommaires pour aboutir aux génocides et/ou aux ethnocides du 20ème et 21ème siècle.
Etre gouverné par son cerveau primaire, supprimer ce qui fait peur, détruire, tuer, sont des comportements que les communautés humaines ont à la fois utilisés, valorisés et condamnés selon le profit qu’elles pouvaient en tirer. Ce sont les xénophobies, les discriminations, les racismes de toutes sortes, purs produits de nos « civilisations », théorisées et exprimées par ces dernières.
Toucher à ce que nous avons de plus cher, nous mettre en empathie avec la douleur de celles et ceux qui ont vu leur amours, leurs affections, leurs espoirs, leurs vies brisée, crée en nous des peurs et des réactions primaires. La démagogie est de les exalter et de les utiliser pour trouver de nouveaux boucs émissaires (je vous renvoie au ouvrages de Michel Foucault et de René Girard). Seulement la démagogie n’est pas le fait de la « barbarie » mais bel et bien celle de la « civilisation ».
C’est pourquoi je préférerais que, dans votre article, vous dénonciez les défauts et les travers de notre « civilisation » plutôt que ceux de la barbarie. Car, selon moi, il n’y a pas retour de la « barbarie » mais bel et bien continuation et exaltation des pires travers de nos « civilisations ».