@ Je me permets de joindre le manifeste de C.Hagège.Le Québec s’alarme, en France des pétitions circulent, envoyés aux élus.
Ne ratifions pas le protocole de Londres, par Claude Hagège
LE MONDE | 17.09.07 | 14h22
Dans quelques jours sera soumis aux Assemblées un projet de ratification du protocole de Londres, qui donnerait force de droit en France aux brevets d’invention en anglais ou en allemand. Fait sans aucun précédent, de la monarchie jusqu’aux républiques !
Ainsi, à tout concurrent français, les plus puissantes firmes américaines, japonaises, chinoises ou indiennes pourraient opposer légalement en anglais non seulement une description de leurs brevets, mais aussi les revendications dont il s’assortit, lesquelles peuvent être modifiées à tout moment, selon la Convention sur le brevet européen révisée en 2000.
Les petites et moyennes entreprises, prétendument « bénéficiaires », seraient... les premières victimes ! Elles devraient assurer une traduction, peu coûteuse mais symboliquement lourde, de leurs brevets vers les langues des 17 Etats d’Europe qui, bien qu’étrangers à la tradition française de promotion de la langue, ont refusé de signer le protocole. Certains : Italie, Espagne, Finlande, sont parmi les plus industrialisés du monde. Les PME devraient, en outre, traduire en français les brevets en anglais, les protégeant ainsi contre... elles-mêmes !
Elles pourraient, enfin, déposer à leur tour en anglais, et donc ne recruter que des ingénieurs anglophones, en violant l’égalité entre demandeurs d’emploi et l’exigence de formation des immigrants en français soulignée par le président de la République.
La plupart des grandes firmes françaises déposent leurs brevets en anglais, imposé, en France, aux personnels, ce qui fait gronder même les syndicats les plus modérés sans pour autant faire mieux vendre. Un des enjeux est d’endormir, par un langage opaque, leur vigilance aux conditions de travail, avec le risque de mort d’hommes, comme en 2005 à l’hôpital d’Epinal par surirradiation, due notamment au défaut de compréhension d’un logiciel anglais non traduit.
Le Medef veut-il, de plus, aider et les partenaires anglophones et les PME ? Comment le croire ? La traduction ne coûte que 10 % du total, contre 75 % en taxes et frais de maintien en vigueur, et 15 % en procédures. En fait, les pressions extérieures et ce qu’elles attisent, à savoir les réactions contre la fausse image d’un monolinguisme français de repli, finissent par faire voir dans l’anglais LA langue de l’ouverture. Cela s’ajoute à une autre cause profonde : l’argent n’a pas de langue. Mais, même alors, on se trompe de combat, car rien n’a jamais démontré que l’anglais améliore la compétitivité des entreprises françaises.
Trois raisons expliquent, en fait, le petit nombre de brevets européens d’origine française : un investissement trop timide dans la recherche et le développement, une méconnaissance des atouts de la propriété industrielle, condition stratégique pour la conquête des marchés, enfin l’absence d’une culture de l’action commerciale. La baisse des taxes n’a pas accru le nombre des brevets français. Il faut donc que l’école enseigne très tôt le goût de la découverte avec l’outil de la langue maternelle, ce qui, évidemment, n’exclut en rien la formation plurilingue.
Un vaste programme de domination revêt aujourd’hui le masque de la mondialisation, comme l’admettent crûment certains industriels outre-Atlantique. Dès lors, la francophonie, en attendant le renfort de nouvelles volontés géoculturelles et économiques (hispanophone, lusophone, arabophone, russophone, turcophone), est, face à l’anglophonie, le seul autre projet mondial, avec des idéaux distincts.
Ratifier le protocole de Londres, c’est refuser au français la chance historique de créer en traduction sur Internet une immense base de données scientifiques et techniques d’avenir. Ce n’est pas en immolant ainsi la langue française au mépris des 50 Etats et régions francophones qui, conscients de ces faits, la soutiennent avec force et font résonner très haut ce que la France n’ose plus affirmer comme au temps de son éclat, que l’on accroîtra la capacité commerciale des entreprises françaises.
D’autres moyens existent, beaucoup moins onéreux et beaucoup plus efficaces. Ils sont scientifiques et culturels. Ces moyens sont plus dignes, au demeurant, de ce que l’opiniâtreté de beaucoup dans le monde continue d’appeler, tout en appréciant les autres vieilles civilisations engagées dans la modernité, « une certaine idée de la France ». Cela même qu’exaltaient les grandes voix qu’on oublie.
Claude Hagège, professeur au Collège de France
Article paru dans l’édition du 18.09.07.