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Commentaire de Marsupilami

sur Dessine-moi un monstre...


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Marsupilami Marsupilami 22 septembre 2007 11:35

@ Snoopy86

Absolument d’accord avec toi, et puisque Fouadraiden a fait mention de Lévi-Strauss, j’en profite pour poster ce qu’il disait de l’Islam dans Tristes tropiques en 1955 (donc un an avant la citation de Malraux que j’ai faite ci-dessus) :

« Pourquoi l’art musulman s’effondre-t-il si complètement dès qu’il cesse d’être à son apogée ? Il passe sans transition du palais au bazar. N’est-ce pas une conséquence de la répudiation des images ? L’artiste, privé de tout contact avec le réel, perpétue une convention tellement exsangue qu’elle ne peut être rajeunie ni fécondée. Elle est soutenue par l’or, ou elle s’écroule. A Lahore, l’érudit qui m’accompagne n’a que mépris pour les fresques sikh qui ornent le fort : »Too showy, no colour scheme, too crowded" ; et sans doute est-ce très loin du fantastique plafond de miroirs du Shish Mahal, qui scintille à l’égal d’un ciel étoilé ; mais, comme si souvent l’Inde contemporaine en face de l’Islam, c’est vulgaire et ostentatoire, populaire et charmant.

Si l’on excepte les forts, les musulmans n’ont construit dans l’Inde que des temples et des tombes. Mais les forts étaient des palais habités, tandis que les tombes et les temples sont des palais inoccupés. On éprouve, ici encore, la difficulté pour l’Islam de penser la solitude. Pour lui, la vie est d’abord communauté, et le mort s’installe toujours dans le cadre d’une communauté dépourvue de participants.

Il y a un frappant contraste entre la splendeur des mausolées, leurs vastes dimensions, et la conception étriquée des pierres tombales qu’ils abritent. Ce sont de tout petits tombeaux où l’on doit se sentir à l’étroit. A quoi donc servent ces salles, ces galeries qui les entourent et dont seuls jouiront les passants ? Le tombeau européen est à la mesure de son habitant : le mausolée est rare et c’est sur la tombe même que s’exercent l’art et l’ingéniosité, pour la rendre somptueuse et confortable au gisant.

Dans l’Islam, le tombeau se divise en monument splendide, dont le mort ne profite pas, et une demeure mesquine (elle-même dédoublée d’ailleurs entre un cénotaphe visible et une sépulture cachée) où le mort paraît prisonnier. Le problème du repos de l’au-delà trouve une solution deux fois contradictoire : d’une part, confort extravagant et inefficace, de l’autre inconfort réel, le premier apportant une compensation au second. N’est-ce pas l’image de la civilisation musulmane qui associe les raffinements les plus rares : palais de pierres précieuses, fontaines d’eau de rose, mets recouverts de feuilles d’or, tabac à fumer mêlé de perles pilées, servant de couverture à la rusticité des mœurs et à la bigoterie qui imprègne la pensée morale et religieuse ?

Sur le plan esthétique, le puritanisme islamique, renonçant à abolir la sensualité, s’est contenté de la réduire à ses formes mineures : parfums, dentelles, broderies et jardins. Sur le plan moral, on se heurte à la même équivoque d’une tolérance affichée en dépit d’un prosélytisme dont le caractère compulsif est évident. En fait, le contact des non-musulmans les angoisse. Leur genre de vie provincial se perpétue sous la menace d’autres genres de vie, plus libres et plus souples que le leur, et qui risquent de l’altérer par la seule contiguïté.

Plutôt que parler de tolérance, il vaudrait mieux dire que cette tolérance, dans la mesure où elle existe, est une perpétuelle victoire sur eux-mêmes. En la préconisant, le Prophète les a placés dans une situation de crise permanente, qui résulte de la contradiction entre la portée universelle de la révélation et l’admission de la pluralité des fois religieuses. Il y a là une situation « paradoxale » au sens pavlovien, génératrice d’anxiété d’une part et de complaisance en soi-même de l’autre, puisqu’on se croit capable, grâce à l’Islam, de surmonter un pareil conflit.

En vain, d’ailleurs : comme le remarquait un jour devant moi un philosophe indien, les musulmans tirent vanité de ce qu’ils professent la valeur universelle de grands principes : liberté, égalité, tolérance ; et ils révoquent le crédit à quoi ils prétendent en affirmant du même jet qu’ils sont les seuls à les pratiquer.

Un jour, à Karachi, je me trouvais en compagnie de Sages musulmans, universitaires ou religieux. A les entendre vanter la supériorité de leur système, j’étais frappé de constater avec quelle insistance ils revenaient à un seul argument : sa simplicité. La législation islamique en matière d’héritage est meilleure que l’hindoue, parce qu’elle est plus simple. Veut-on tourner l’interdiction traditionnelle du prêt à intérêt : il suffit d’établir un contrat d’association entre le dépositaire et le banquier, et l’intérêt se résoudra en une participation du premier dans les entreprises du second. Quant à la réforme agraire, on appliquera la loi musulmane à la succession des terres arables jusqu’à ce qu’elles soient suffisamment divisées, ensuite on cessera de l’appliquer - puisqu’elle n’est pas article de dogme - pour éviter un morcellement excessif : There are so many ways and means...

Tout l’Islam semble être, en effet, une méthode pour développer dans l’esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d’une très grande (mais trop grande) simplicité. D’une main on les précipite, de l’autre on les retient au bord de l’abîme. Vous inquiétez-vous de la vertu de vos épouses ou de vos filles pendant que vous êtes en campagne ? Rien de plus simple, voilez-les et cloîtrez-les. C’est ainsi qu’on en arrive au burkah moderne, semblable à un appareil orthopédique avec sa coupe compliquée, ses guichets en passementerie pour la vision, ses boutons-pression et ses cordonnets, le lourd tissu dont il est fait pour s’adapter exactement aux contours du corps humain tout en le dissimulant aussi complètement que possible. Mais, de ce fait, la barrière du souci s’est seulement déplacée, puisque maintenant il suffira qu’on frôle votre femme pour vous déshonorer, et vous vous tourmenterez plus encore. Une franche conversation avec de jeunes musulmans enseigne deux choses : d’abord, qu’ils sont obsédés par le problème de la virginité prénuptiale et de la fidélité ultérieure ; ensuite que le purdah, c’est-à-dire la ségrégation des femmes, fait en un sens obstacle aux intrigues amoureuses, mais les favorise sur un autre plan : par l’attribution aux femmes d’un monde propre, dont elles sont seules à connaître les détours. Cambrioleurs de harems quand ils sont jeunes, ils ont de bonnes raisons pour s’en faire les gardiens une fois mariés.

Hindous et musulmans de l’Inde mangent avec leurs doigts. Les premiers, délicatement, légèrement, en saisissant la nourriture dans un fragment de chapati ; on appelle ainsi ces larges crèpes, vite cuites en les plaquant au flanc intérieur d’une jarre enfouie dans le sol et remplie de braises jusqu’au tiers. Chez les Musulmans, manger avec ses doigts devient un système : nul ne saisit l’os de la viande pour ronger la chair. De la seule main utilisable (la gauche étant impure, parce que réservée aux ablutions intimes) on pétrit, on arrache les lambeaux ; et quand on a soif, la main graisseuse empoigne le verre.

En observant ces manières de table qui valent bien les autres, mais qui, du point de vue occidental, semblent faire ostentation de sans-gêne, on se demande jusqu’à quel point la coutume, plutôt que vestige archaïque, ne résulte pas d’une réforme voulue par le prophète : « Ne faites pas comme les autres peuples, qui mangent avec un couteau », inspiré par le même souci, inconscient sans doute, d’infantilisation systématique, d’imposition homosexuelle de la communauté par la promiscuité qui ressort des rituels de propreté après le repas, quand tout le monde se lave les mains, se gargarise, éructe et crache dans la même cuvette, mettant en commun, dans une indifférence terriblement autiste, la même peur de l’impureté associée au même exhibitionnisme. La volonté de se confondre est d’ailleurs accompagnée par le besoin de se singulariser comme groupe, ainsi l’institution du purdah : « Que vos femmes soient voilées pour qu’on les reconnaisse des autres ! ».

La fraternité islamique repose sur une base culturelle et religieuse. Elle n’a aucun caractère économique ou social. Puisque nous avons le même dieu, le bon musulman sera celui qui partagera son hooka avec le balayeur. Le mendiant est mon frère en effet : en ce sens, surtout, que nous partageons fraternellement la même approbation de l’inégalité qui nous sépare ; d’où ces deux espèces sociologiquement si remarquables : le musulman germanophile et l’Allemand islamisé ; si un corps de garde pouvait être religieux, l’Islam paraîtrait sa religion idéale : stricte observance du règlement (prières cinq fois par jour, chacune exigeant cinquante génuflexions) ; revues de détail et soins de propreté (les ablutions rituelles) ; promiscuité masculine dans la vie spirituelle comme dans l’accomplissement des fonctions religieuses ; et pas de femmes.

Ces anxieux sont aussi des hommes d’action ; pris entre des sentiments incompatibles, ils compensent l’infériorité qu’ils ressentent par des formes traditionnelles de sublimation qu’on associe depuis toujours à l’âme arabe : jalousie, fierté, héroïsme. Mais cette volonté d’être entre soi, cet esprit de clocher allié à un déracinement chronique (l’urdu est une langue bien nommée « du campement »), qui sont à l’origine de la formation du Pakistan, s’expliquent très imparfaitement par une communauté de foi religieuse et par une tradition historique. C’est un fuit social actuel, et qui doit être interprété comme tel : drame de conscience collectif qui a contraint des millions d’individus à un choix irrévocable, à l’abandon de leurs terres, de leur fortune souvent, de leurs parents parfois, de leur profession, de leurs projets d’avenir, du sol de leurs aïeux et de leurs tombes, pour rester entre musulmans, et parce qu’ils ne se sentent à l’aise qu’entre musulmans.

Grande religion qui se fonde moins sur l’évidence d’une révélation que sur l’impuissance à nouer des liens au-dehors. En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l’intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s’en rendent coupables ; car s’ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c’est plus grave) incapables de supporter l’existence d’autrui comme autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l’abri du doute et de l’humiliation consiste dans une « néantisation » d’autrui, considéré comme témoin d’une autre foi et d’une autre conquête. La fraternité islamique est la converse d’une exclusive contre les infidèles qui ne peut pas s’avouer, puisque, en se reconnaissant comme telle, elle équivaudrait à les reconnaître eux-mêmes comme existants".

Là encore, les méchants étasuniens n’y sont pour rien...


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