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Commentaire de Bertrand C. Bellaigue

sur Les bonzes et la jeunesse birmanes : l'énergie du désespoir


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Bertrand C. Bellaigue Bertrand C. Bellaigue 30 septembre 2007 19:38

A l’intention de « bla-bla » .Vos observationlaisse apparaitre que vous ne connaissaez pas tout de la Birmanie. Voici un extrait d’un livre qui fait autorité en Grande Bretagne.

QUOTE

Les derniers jours du Palais d’Or ( The Lacquer Lady ) ( Extrait)

( ... ) Les charettes de légumes que les habitants des deux villes ( Mandalay et Kala town ) connaissaient bien, faisaient un un énorme vacarme avec leurs essieux mal huilés quand elles arrivaient au marché. Fanny ( voir la note de l’éditeur ) jeta un regard sur le chargement qu’elles transportaient et, là encore, tourna les talons et prit la fuite. Il n’y avait pas eu suffisamment de sacs de velours rouge pour remplir leur office, et des charrettes émergeaient des corps nus, ceux des princes de sang. Elle passa cette seconde journée à pleurer. Ses nerfs étaient exacerbés par la musique qui n’avait cessé de retentir depuis midi la veille. Tout ce qui, en Fanny, était européen, se révoltait. Le bruit, au lieu de l’abrutir, irritait tellement ses nerfs qu’elle se retenait de hurler. Le troisième jour, elle tenta une nouvelle sortie. La musique, les spectacles et les cris n’avaient pas cessé. Cette fois, elle ne demanda aucune autorisation à la fille du Taingda Mingyi. Les habitants du Palais avaient autre chose en tête que ces formalités banales. La musique continuait inlassablement, on pouvait l’entendre de l’autre côté des douves, revenant en écho de la ville kalà. Le monde était devenu un piège atroce. Personne ne pensait ni ne dormait, sinon du sommeil épuisé et abruti des animaux. Partout, l’homme élevait la barrière du bruit contre ses actes, et par là même contre ses dieux. Le bruit, le bruit, le bruit... Là où Mindon avait reposé pendant des nuits paisibles, tandis que ses reines lui lisaient les textes sacrés, l’atmosphère était comme zébrée de sons déchirants aussi variés qu’un tamein aux motifs savamment tissés. Jamais la tranquillité absolue ne reviendrait... Pendant toutes les années qu’il devait encore passer au Palais, Thibô ferait ainsi jouer de la musique nuit et jour. Une fois de plus, Fanny se mit en route. Elle dut passer par ce qui avait été le jardin des femmes pour atteindre la porte de l’Ouest, la seule qu’elle eût la possibilité de franchir sans qu’on lui posât de questions. Tout paraissait tranquille. Elle pressa le pas, ne sachant absolument pas si c’était l’aube ou le crépuscule. Elle était simplement soulagée de ce calme relatif. Il y avait encore du bruit mais, du moins, les lumières étaient-elles moins violentes. Et puis, brusquement, le silence fut déchiré par des cris qui, l’un après l’autre, poignardèrent l’air autour d’elle et figèrent son cœur de peur dans sa poitrine. Elle entendit son propre nom au milieu de ces clameurs. Éperdue de terreur, elle se retourna et constata qu’une fosse profonde avait été creusée dans la terre, et hâtivement comblée. En s’approchant, elle vit le sol frémir, comme animé d’une vie propre, monstrueusement anormale. Un léger brouillard flottait juste au-dessus. Le mouvement des corps mous, vêtus de soie, qu’on avait abandonnés au bord de la fosse donnait l’impression atroce que la terre était animée d’une secousse tellurique. Le regard fixe, pendant quelques secondes, elle pensa à un tremblement de terre que Dieu aurait envoyé en châtiment. Elle vit ensuite que les corps à demi enterrés étaient encore palpitants de vie. Elle se détourna pour fuir, mais son nom retentit une nouvelle fois. Malgré elle, elle se retourna. Une jeune fille sortit en courant de la prison des femmes, de l’autre côté de la fosse, et Fanny reconnut la jeune sœur du prince Thahgaya, avec qui elle avait souvent joué à l’époque paisible de Mindon Min. Celle-ci l’avait aperçue et continuait de crier son nom. L’instant suivant, deux gigantesques hommes nus s’emparèrent d’elle et la forcèrent à s’agenouiller. Ils passèrent vivement des cordes autour de ses mains qui se débattaient et les lui attachèrent entre les genoux. Fanny, trop horrifiée pour détourner les yeux, comme elle aurait tant voulu pouvoir le faire, vit un autre homme tirer en arrière la tête de la princesse. Et ils la tuèrent ainsi à la façon birmane, en frappant sa douce et jeune gorge à coups de matraque. La jeune fille était vigoureuse. Fanny, enfin capable, après le premier coup, de se couvrir les yeux des mains, les entendit en donner encore une demi-douzaine avant que le silence ne tombe. Égarée, elle parvint à regagner sa chambre. Elle s’y terra dans un coin. Le spectacle continuait - à cette heure, le prince et la princesse devaient avoir triomphé de leurs ennemis et les méchants devaient être punis. Les chants et la musique martelaient inlassablement les oreilles de Fanny. Une fois encore, elle décida de fuir, après avoir mangé le riz et le curry que lui avait apportés une servante terrifiée. La vie du Palais se poursuivait apparemment sans heurts, malgré les cris que la musique même était impuissante à couvrir entièrement. Puis, en ce troisième matin, ils cessèrent enfin et des pauses réparatrices vinrent interrompre l’ouragan de musique. Fanny rassembla une dernière fois quelques effets et entreprit de quitter le Palais. Détournant la tête, elle dépassa le coin où étaient enterrées les femmes, mais s’arrêta soudain... Une douzaine d’éléphants, pressés par les injonctions de leurs cornacs, piétinaient de long en large la surface de la fosse. Leurs énormes masses vacillantes occupaient tout l’espace. La terre outragée avait refusé les chairs martyrisées qu’on y avait mises de force. Elle s’était soulevée, rejetant et révélant dans toute son horreur un chaos de têtes et de membres brisés. Maintenant, on utilisait les éléphants pour tasser à la fois la terre et la chair. Et les animaux ombrageux, comme s’ils avaient conscience de violer une loi sacrée en foulant ces pauvres dépouilles, hésitaient, renâclaient, tandis que les cornacs indifférents s’efforçaient de les stimuler avec force cris et coups de pique.

Extrait de pp 185,186, 187

© F. Tennyson Jesse, 1929 © The Public Trustees, The Harwood Wille Trust, 1979 © 1989, Nernal/ Philippe Labaud Editeur Couverure quate de l’Editeur « A la fin du siècle dernier, le royaume de Birmanie évoque un paradis où même la cruauté aurait l’innocence du naturel. A Mandalay, dans le Palais d’or, tout n’est que fastes et plaisirs. Une jeune fille, que son rêve oriental conduit d’Angleterre à la cour de Birmanie, va provoquer la chute de ce monde préservé parce qu’un Français, l’homme qu’elle aime, choisit d’en épouser une autre. Cette histoire authentique, mais non officielle, fut révélée à F. Tennyson Jesse lors d’un séjour en Birmanie en 1922. La romancière anglaise, par ailleurs journaliste au Daily Mail, entreprit alors une longue enquête pour reconstituer les péripéties de ce drame fabuleux où les jours se coloraient de rêves, de fêtes, de passions et de sang. A sa parution en Angleterre, le roman fut salué comme une grande œuvre littéraire. A travers une intrigue d’autant plus passionnante qu’elle était véridique, l’Orient secret était recréé pour demeurer dans les mémoires en un fascinant regret. F. Tennyson Jesse est l’auteur de plusieurs romans et d’une Histoire de la Birmanie. Les Derniers Jours du Palais d’or est sa première œuvre traduite en français »


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