Les questions religieuses et philosophiques ne peuvent certes pas être évacuées, mais ce débat sur la définition de la mort est essentiellement un débat sur la définition des critères de la mort d’un point de vue scientifique. Le Docteur Guy FREYS, Département de Réanimation chirurgicale des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, a fait une présentation lors d’un congrès sur les transplantations en mars 2007. Cette présentation était intitulée : « On ne meurt qu’une fois, mais quand ? » Il mentionne les questions que soulèvent ces dissentions au sein de la communauté médicale scientifique, quant à la définition des critères de la mort :
« Ce qui frappe, ce qui dérange, ce qui va alimenter la confusion, c’est que les critères retenus varient d’un pays à l’autre. Or là on ne peut pas invoquer des différences culturelles. On demande des faits scientifiques, aussi ces variétés de définition ne facilitent-elles ni la compréhension et, surtout, ni l’adhésion du grand public. Ainsi, dans certaines législations, la seule observation clinique suffira à établir le diagnostic de la mort, dans d’autres pays, on exigera un test ou un examen de confirmation pour valider le caractère irréversible de cette mort cérébrale. »
Le Docteur FREYS souligne l’hétérogénéité des critères définissant la mort cérébrale, l’absence de consensus, les controverses :
« Concrètement : suivant les critères retenus dans les différentes législations, vous serez reconnu comme mort à 17h00 en Espagne dès la réalisation du premier EEG puisqu’il s’agit là des critères adoptés en Espagne, par contre dans la même situation en France, on devra attendre quatre heures de plus et réaliser un deuxième EEG pour vous décréter mort. Aux Etats-Unis, où dans la moitié des hôpitaux, les critères d’observation du tableau clinique sont suffisants, suivant les Etats, il faudra attendre 6 à 24h00 avant de vous déclarer mort. » Vous voyez que la voix de la science parvient à l’usager de la santé sous la forme d’une extraordinaire cacophonie.
Pour ce qui est de la question de la religion, celle-ci défend effectivement le dogme du don. Or d’après le professeur Bernard Debré, il serait temps de « sortir des dogmes avec lesquels on jongle pour justifier les transplantations ». Le don, la générosité, font partie de ces dogmes.
Le Professeur David Khayat, dans son livre « Le Coffre aux âmes »(XO Editions, 2002), parle d’un « conflit mortel entre science et religion » : entre un médecin qui vendrait son âme aux diables de la réincarnation (son âme, donc celle des autres) pour vous guérir, et un autre qui accompagne, soulage et guérit sans outrepasser les limites du progrès technique, médical et humain contemporain, ne seriez-vous pas un tout petit peu tenté(e) de choisir le premier ? Si c’est le cas, ouvrez donc la boîte de Pandore, celle du « Coffre aux âmes ». Les « progrès » de la médecine se sont appuyés sur des transgressions : qu’on pense aux avortements, ou aux premières dissections, qui ont eu lieu dans la plus grande réticence, ou encore aux transplantations (un « mort » à coeur battant dont on prélève les organes ??). La médecine des transplantations, comme la pratique de l’avortement, doivent être replacées dans leur contexte : celui d’une pratique transgressive de la médecine. En rendant cohérentes l’une par rapport à l’autre la présentation de l’avortement et celle du don d’organes, l’avortement et le prélèvement d’organes étant deux pratiques issues d’une médecine transgressive, il conviendrait de dire que dans les deux cas, il y a euthanasie d’une vie au bénéfice d’autrui - un début de vie dans le cas de l’avortement ; une fin de vie dans celui des transplantations.
Quel est donc ce conflit mortel entre science et religion ? un médecin chrétien (orthodoxe) fournit un éclairage tout à fait original sur la question des transplantations et de la religion. Ce médecin a été confronté aux prélèvements d’organes sur donneurs « décédés ». Il est l’auteur d’une thèse publiée en 1994 et intitulée : « Transplantation d’organes et éthique chrétienne » (Collection l’Arbre de Jessé, Les Editions de l’Ancre. Distribué par les Editions du Cerf) : Docteur Marc ANDRONIKOF, chef du service des urgences à l’hôpital Antoine-Béclère, Clamart (propos recueillis entre mars 2005 et juin 2007) :
"Pour ma part, si vous n’êtes pas lasse, je veux réaffirmer que depuis le début je dénonce (à mon niveau) l’hypocrisie de la mort encéphalique et le mensonge éhonté qui consiste à dire que les personnes dans cet état sont ’mortes’. Depuis le début je propose que les choses soient claires, comme celles vers quoi les Canadiens se dirigent : proposer aux familles un prélèvement ’lorsqu’il n’y a plus rien à faire’. Là c’est clair et cela correspond à la réalité. Il ya ceux qui accepteront et ceux qui ne le feront pas (les familles ne voulant pas ’transgresser’). Je pense que si les familles (la société) peuvent l’accepter, cela dénote que nous sommes dans une période de très profonde barbarie (cf. le film ’les invasions barbares’). Car la civilisation, la nôtre comme toutes les autres, passées ou présentes, se fondent sur le soin au mort. Se jeter sur un mourant pour le dépecer, oui, c’est le comble de la barbarie. On pourrait évoquer ici les dissections. La parenté est claire et celles-ci ne se sont pas faites sans grandes réticences. Mais la grande différence c’est que les gens sont morts et bien morts depuis plusieurs jours. (...) Le problème c’est que le prélèvement (...) vole la mort aux familles, vole la mort à l’agonisant lui même. La mort c’est ce qui structure la société, la civilisation, la culture, les familles, la réflexion philosophique et religieuse. Depuis toujours.
Ce qui se passe depuis la fin du XXe siècle n’est possible que parce que notre civilisation se désagrège, se déstructure. Et participer à la transformation du rapport à la mort accélère cette désagrégation. C’est un cercle vicieux qui s’est enclenché.
Alors quoi, les familles veulent croire, ou on veut leur faire croire, à une sorte de métempsychose habillée de modernité ? (...) [Le donneur ’mort’] va revivre en quelque sorte dans toutes les différentes personnes dans lesquelles ses organes auront été placés ?? (...) Je voudrais que la pratique cesse. Que les malades arrêtent d’accepter l’illusion de l’immortalité au prix de la mort du voisin, que les familles arrêtent de se laisser faire et que les médecins arrêtent leurs pratiques barbares (et il n’y a pas que celle-là). Mais je crois plus aux familles qu’aux médecins.
En ce qui concerne la mort encéphalique (définition scientifique) : l’argumentation visant à promouvoir la mort encéphalique repose sur le fait que sans coeur mais avec des machines, le reste de l’organisme continue à fonctionner, donc on dit que la personne vit. Quelle est la raison scientifique pour ne pas appliquer exactement le même raisonnement au cerveau ? Or, avec un cerveau détruit mais grâce à des machine, l’organisme continue de fonctionner. Mais on dit que la personne est morte. Pourquoi ? Mais pour permettre aux prélèvements de se faire ! Ce sont les mêmes qui définissent les règles, les appliquent et en profitent... (Savoir si les malades greffés en profitent est une autre question).
Donc des scientifiques au nom de l’avancée de la médecine ont défini un principe philosophique et théologique (l’essence de la personne est logée dans les cellules cérébrales) et on les croit parce qu’ils sont scientifiques. Si le procédé et le résultat ne sont pas une supercherie, qu’est-ce d’autre ? Contrairement aux promoteurs des transplantations qui veulent croire (et faire croire) qu’ils oeuvrent pour le bien (de l’humanité) et que seuls de dangereux monstres obscurantistes pourraient penser autre chose, je place cette affaire à la croisée de choix de civilisation, de culture, de détermination personnelle au regard de sa conception du monde (visible et invisible). Je redis ici qu’un médecin chrétien a pour mission le bien de la personne qu’il a devant lui et pas celui de l’humanité. Quand c’est un mourant, qu’il meure le plus paisiblement possible. Quand c’est un malade qu’il ait les meilleurs traitements. Et c’est là bien sûr que l’opposition se fait jour. On ne peut en sortir que si :
1) le malade ne réclame pas de guérison à tout prix, pour tout prix (et je rappelle ici (...) que même celui qui va être greffé mourra un jour, souvent pas si lointain). C’est la position qu’à mon avis devrait avoir tout malade qui se dit chrétien (au moins) : poser une limite et savoir pourquoi on la pose. Ainsi ne pas accepter que la prolongation de sa maladie (car il ne s’agit que de cela) passe par le dépeçage d’un autre homme. Cela revient, en-deçà de la religion, à sa détermination philosophique devant la maladie et la mort. Notre civilisation est en train de claquer la porte à 2500 ans de philosophie après l’avoir fait de 2000 ans de christianisme.
2) d’autres thérapeutiques se développent (cellules souches ?, xénogreffes humanisées ?) qui rendent caduques les prélèvements.
Car pour le reste, il ne faut pas y compter (comme de comprendre qu’un véritable lavage de cerveau planétaire est organisé depuis 40 ans).
Dans quelques temps on nous dira en France qu’acheter et vendre ses organes c’est très bien car cela permet de contrôler le marché, le rendant ainsi éthique. Alors que jusqu’à présent c’est non seulement interdit mais considéré comme hautement amoral. Cela passera (cf article du ’Lancet’ d’il y a quelques semaines, appelant au commerce d’organes ) comme passe tout le reste. Il suffit de mettre les moyens de communication suffisants, pendant suffisamment de temps.
Ce qui était impensable car ’mal’ hier devient la norme donc ’bien’ le lendemain. Ce qui revient à ce qu’aujourd’hui méprise la veille. Et attende les lendemains encore meilleurs (perspective hegelienne et marxiste dont nous ne sommes pas sortis) donc accueille avec foi tout ce qui vient car s’inscrivant dans le progrès historique..."
Comment sortir de ce conflit mortel entre science et religion ? Dans son livre intitulé « La Revanche du serpent ou la fin de l’Homo Sapiens » et paru en 2005 aux Editions du Cherche-Midi, le Professeur Bernard Debré explique pourquoi « le franchissement de la barrière des espèces » est au centre de l’histoire de l’humanité : des guerres napoléoniennes à la grippe aviaire, en passant par la « tremblante du mouton », la « porosité génétique » s’est installée. Les transplantations d’organes et les expérimentations sur les embryons s’inscrivent dans la lignée de ce « franchissement de la barrière des espèces ». Interdire ou chercher à interdire les manipulations génétiques visant à développer la médecine régénérative de demain, celle qui supplantera les transplantations d’organes, serait insensé. Dans son livre intitulé "Nous t’avons tant aimé : l’euthanasie, l’impossible loi« publié en 2004 aux éditions du Cherche-Midi (Document), le Professeur Bernard Debré revient sur les conséquences gravissimes d’un malentendu qui n’en finit pas de se développer, à l’égard du clonage : greffer, c’est bien ; cloner, c’est mal. C’est en gros ce que nous dit l’Eglise, et avec elle Benoît XVI. Or selon Bernard Debré, seul le clonage thérapeutique peut parvenir à régler la question des greffes d’organes. Demander à ce que les greffes soient déclarées grande cause nationale, c’est oublier un peu vite que les greffes représentent un problème complexe et douloureux : »les greffes d’organes, matière à la fois compliquée, à cause des rejets, et douloureuse, en raison du manque chronique... d’organes à greffer !« (ouvrage cité, p. 107). Faut-il déclarer le clonage thérapeutique grande cause nationale ? Cette question, ce débat devrait, comme vous dites, »intégrer les dimensions éthiques sans tomber sous le joug de l’intégrisme religieux"...
Blog Post à lire à ce sujet : http://ethictransplantation.blogspot.com/2007/10/vertus-des-greffes-et-vices-du-clonage.html
16/10 15:37 - Catherine Coste
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16/10 14:04 - stephanemot
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04/10 22:38 - moebius
..je saurez bien le voir moi avec son téton mais pas l’autre avec sa (...)
04/10 22:37 - moebius
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