Cher Neus,
Travaillant à Bruxelles dans le milieu européen, vous connaissez de près la « chose » européenne, avez probablement étudié le droit, la science politique ou/et l’Histoire pour cerner les concepts fondamentaux.
Ainsi, vous ne confondez évidemment pas les notions de « citoyens », « peuples », « populations » etc.
Vous comprenez donc l’immense différence de degré, sinon de nature qui existe entre :
- les Etats européens souverains qui dans les années 60-70 décident de s’associer dans certaines politiques et se dotent d’un Parlement européen (je cite) « composé de représentants des peuples des Etats réunis dans la Communauté » (art 189 du Traité de Rome)
- et l’Union européenne de plus en plus intégrée en 2007, dotée de sa monnaie unique, de sa frontière unique, de ses lois dans presque tous les domaines et qui priment sur les lois des Etats y compris constitutionnelles, d’un ensemble de plus en plus puissant d’institutions centrales dotées de pouvoirs politique, administratif, économique et judiciaire, dont le Parlement européen « composé des représentants des citoyens de l’Union » (art 9A du Traité de Lisbonne).
Pourquoi la Convention qui a rédigé le traité constitutionnel (moins de 5 altereuropéens sur 105 membres je le rappelle) recyclé depuis dans le traité de Lisbonne, a-t-elle modifié l’article 189 du TCE en remplaçant « les peuples » par « les citoyens » ? Pour faire joli ?
Tout simplement pour continuer à casser la logique nationale en Europe, faire tabula rasa de ces vastes communautés humaines apaisées que l’on appelle les « nations », afin de poursuivre le processus supranational bien nommé.
La notion très changeante d’un pays à l’autre de « citoyen », qui n’a en effet ici aucune « connotation nationale », est parfaite pour cela et témoigne bien des intentions des inspirateurs de ces traités.
Cher Neus, c’est en définitive le postulat qui sous-tend votre conclusion qui départage notre vision respective de ce que devrait être l’Europe :
« L’institution citoyenne européenne qui, si elle n’était pas là, laisserait les Etats absolument libres de tout décider dans l’Union. »
Vous considérez, vous, les Etats - c’est à dire les gouvernements contrôlés par leurs parlements nationaux représentatifs des peuples d’Europe - comme un problème et vous êtes inquiets qu’ils puissent encore un peu « décider »...
Moi, je les considère comme les seuls légitimes et donc comme la solution. Je m’oppose à la logique supranationale justement parce que je refuse qu’on arrache aux Etats la maîtrise de l’Europe, qui est leur création.
Vous êtes en conséquence favorable à la fédéralisation de l’Union, et j’y suis hostile.
Mais je vous rassure, encore davantage après Lisbonne : c’est votre logique qui a gagné, très largement, et la mienne qui a perdu. Dans le champ de la comparaison historique, on choisi (encore) l’empire contre les nations. C’est selon moi une erreur tragique que nous allons payer collectivement.
Car la question qui me turlupine aujourd’hui, en repensant à ce concept mythique, indéfinissable et vasouilleux de « citoyenneté européenne », est la suivante : le nationalisme européen n’est-il pas le plus dangereux de tous les nationalismes ?
Bonne journée. C