Excellent article ! J’en profite pour livrer une analyse qui me pèse sur le coeur depuis longtemps.
Zalka, ci-dessus, répète cet argument qui a été, je crois, au centre de la campagne en 2005 :
« 90% des journalistes, 90% des rédactions, 90% des parlementaires, 90% du patronat étaient pour ce traité. Où est donc la pensée unique ? »
Remarquons qu’en général l’unanimité n’est pas un problème : on ne demande pas à une moitié des chroniqueurs d’être pour Al Quaeda, le racisme ou les OGM, et à l’autre moitié d’être contre. Pourquoi alors cet argument a-t-il été si efficace, au point d’inspirer un sentiment de culpabilité aux médias ?
Je crois que c’est parce qu’il accrédite l’éternel mythe de la trahison des clercs, du Peuple trahi par les élites. Ainsi, le TCE aurait été volontairement complexe, pour rendre cette trahison possible. Il fallait donc lire le TCE attentivement pour y déceler les pièges qui ne pouvaient manquer de s’y trouver.
Il s’agit évidemment là d’une interprétation paranoïaque du monde. Et il est impossible de convaincre un paranoïaque. Je le sais, j’ai déjà essayé. Et j’ai retrouvé en 2005, auprès de mes proches, qui ont presque tous voté non, exactement la même imperméabilité à la raison. J’ai trouvé cela effrayant.
Je ne nie pas que l’on ait pu voter non avec raison. Certains intellectuels, peut-être. Mais je suis persuadé que la victoire du non a été avant tout le fruit d’une paranoïa collective. Ou, pour être plus précis, par la propagation de la paranoïa populiste, contre les élites, des extrêmes vers le centre. La frustration ressentie par la gauche après son éviction du deuxième tour en 2002 peut expliquer pourquoi elle y a été plus sensible que la droite.
Pour être positif, on peut se dire que ce genre de processus a déjà mené à des catastrophes bien pires que la mort de l’Europe politique. L’Europe survivra en tant qu’entité économique, avec une certaine activité régulatrice en prime. Et peut-être, dans longtemps, l’espoir politique renaîtra. D’ici là, apprenons à combattre ce mythe du Peuple Trahi, forgeons de bons arguments, et aussi de plus hautes passions.
Bien à vous,
Thierry