En tout cas, voici un extrait de l’arrêt de la CEDH :
" PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE RIVAS c. FRANCE
(Requête no 59584/00)
ARRÊT
STRASBOURG
1er avril 2004
DÉFINITIF
01/07/2004
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Rivas c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,
J.-P. Costa,
Mmes F. Tulkens, N. Vajić,
M. E. Levits,
Mme S. Botoucharova,
M. A. Kovler, juges,
et de M. S. Quesada, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 6 mars 2003 et 11 mars 2004,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 59584/00) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Giovanni Rivas (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 juillet 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me Maître Waquet, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au Ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant alléguait en particulier la violation de l’article 3 de la Convention en raison des mauvais traitements subis au cours de sa garde à vue.
4. La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement).
5. Par une décision du 6 mars 2003, la chambre a déclaré la requête recevable. .
6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
7. Le requérant est né en 1979 et réside à Nouméa .
8. Le 14 janvier 1997, à 11 h 50, le requérant, à l’époque âgé de 17 ans, mesurant 1 m 66 et pesant cinquante kilos, fut interpellé dans le cadre d’une enquête sur un vol avec effraction. Le jeune homme avait déjà eu affaire à la police pour des petits délits, vols et autres.
A 14 h 10, le lieutenant W., de l’unité des flagrants délits du Commissariat central de Nouméa, commença l’audition de l’intéressé.
A 14 h 30, ce policier informa le responsable de son groupe, le capitaine H. (d’une taille de 1 m 61 et d’un poids de 61 kilos), que [le requérant] « niait l’évidence ». Le capitaine H. décida alors d’emmener le jeune homme dans son bureau, afin de le « raisonner ».
Quelques instants plus tard, le fonctionnaire de police lui porta un coup qui l’atteignit aux parties génitales.
Selon les déclarations du requérant, le capitaine H. lui donna, au moment de pénétrer dans le bureau, un coup de poing dans le dos, pour le pousser à l’intérieur. Sous la violence du choc, il aurait fait quelques pas dans le bureau, puis se serait retourné pour parer d’autres coups éventuels. C’est à ce moment que le policier lui aurait porté un violent coup l’atteignant au niveau des testicules.
Selon la version du capitaine H., le requérant serait normalement entré dans son bureau, et se serait assis sur le siège qui lui était indiqué. Lui-même se serait assis à son bureau et aurait tenté de raisonner le mineur. Ce dernier se serait alors énervé, se serait levé et dirigé vers la porte. Le policier aurait rapidement contourné le bureau et attrapé le jeune homme par l’épaule, qui se serait retourné et aurait levé son bras dans la direction du policier. Se sentant menacé, il aurait riposté, en parant le bras du jeune homme avec le sien, et en donnant un coup de genou au niveau des parties génitales.
9. Dans le procès-verbal de compte rendu établi le 14 janvier 1997, le capitaine H. précisa ceci :
« (...) Nous informons [le requérant] que sa garde à vue serait maintenue s’il persistait à nier les faits. [Le requérant] élève alors le ton, s’agite, vitupère et tape des pieds. Il se lève alors et se tourne vers la porte avec l’intention manifeste de partir en criant qu’il n’avait rien fait. Nous nous levons rapidement et nous précipitons vers lui pour le saisir par le bras gauche. Ainsi empêché, Rivas se retourne vers nous et se met en garde un poing levé. Parons le coup et ripostons en lui donnant un coup de genou qui le touche au bas-ventre ».
10. Le 15 janvier 1997, interrogé alors qu’il était hospitalisé, le requérant déclara ce qui suit au lieutenant de police W. :
« (...) Le capitaine H. m’a emmené dans son bureau et lorsque l’on y est rentré, il m’a donné un coup dans le dos pour me pousser à l’intérieur. Il n’y avait personne à l’intérieur et il a refermé la porte derrière nous. A ce moment là, je me suis retourné vers lui et il m’a donné un coup de pied droit dans les testicules. Je suis tombé à terre et il m’a dit de me relever mais je ne pouvais pas car j’avais mal. Au bout d’un petit moment, j’ai réussi à me lever et à m’asseoir sur une chaise et là le capitaine m’a donné un verre d’eau. Ensuite le téléphone a sonné dans le bureau et le capitaine H. m’a raccompagné dans votre bureau où j’étais auparavant. J’ai fini d’être entendu par vous mais je n’étais pas bien. Quand on m’a redescendu en cellule de garde à vue, la douleur est devenue de plus en plus forte et me voyant très mal, les policiers m’ont conduit à l’hôpital. On m’y a examiné et on m’a dit que j’avais une fracture testiculaire. J’ai été opéré dans la nuit et maintenant cela va mieux. Je n’ai rien d’autre à ajouter sinon que je verrai avec ma mère pour la suite de cette affaire (...) ».
11. Dans un procès-verbal d’audition du capitaine H. en date du 16 janvier 1997, ce dernier déclara :
« Je prends acte du motif de mon audition. Effectivement mon groupe a traité sous mon contrôle à partir du 10 janvier 1997 une affaire de recel de vol. Cette enquête devait amener l’interpellation le 14 janvier [du requérant] suspecté en fait d’être l’auteur principal du cambriolage. Le 14 janvier en début d’après-midi, le lieutenant W. m’indiquait que [le requérant] malgré les témoignages et les preuves recueillies, ne reconnaissait pas les faits. Je décidais donc de prendre quelques instants en aparté dans mon bureau [le requérant] pour le raisonner. J’expliquais donc au requérant qu’il n’obtiendrait certainement pas une mansuétude du tribunal en niant bêtement les faits alors qu’il y avait des preuves formelles contre lui. J’informais encore [le requérant] que son attitude rendrait l’enquête un peu plus longue et que durant ce temps, nous devrions le maintenir en garde à vue. A ces mots, [le requérant] est alors entré en crise ; criant fort qu’il n’avait rien fait, que c’était une affaire montée et que ses copains qui le dénonçaient étaient tous des menteurs. Soudain [le requérant] s’est levé et s’est dirigé vers la porte de mon bureau. Je me suis précité derrière lui et l’ai saisi par le bras. [Le requérant] s’est alors retourné et s’est mis en garde en levant un poing. Il a alors porté dans ma direction un coup de poing que j’ai évité et j’ai riposté en lui portant un coup de genou. Il a alors porté ses mains à son bas ventre et s’est assis en faisant une grimace de douleur. J’ai pensé qu’il jouait la comédie et je lui ai ordonné de se lever. Il s’est donc levé mais restait plié. Je lui ai proposé de se rasseoir et il a accepté le verre d’eau que je lui ai proposé. (...) [Le requérant] est connu de notre service pour de multiples affaires, dans certaines, il avait tenté d’échapper aux forces de police lors de son interpellation. A l’agression physique du [requérant], j’ai réagi d’une manière conforme à ce qui nous est enseigné en self défense. Je n’ai rien d’autre à ajouter ».
12. Le requérant fut transporté à l’hôpital vers 16 h 15. Le certificat médical du praticien du service des urgences ayant vu le requérant dès son arrivée à l’hôpital fut ainsi établi :
« Je soussigné (...) avoir examiné le requérant qui déclare avoir été victime d’un coup de pied au niveau du testicule gauche. A l’examen constate une importante augmentation de volume du testicule gauche. A l’échographie, il y a fracture testiculaire avec volumineux hématome nécessitant une intervention chirurgicale ».
13. Le requérant sortit de l’hôpital le 17 janvier 1997. Le certificat médical établi la veille prévoyait une incapacité temporaire de travail (ITT) de sept jours pour le traumatisme testiculaire gauche avec fracture du testicule et réservait la détermination ultérieure d’une éventuelle incapacité permanente partielle.
14. Le 6 mars 1997, la mère de l’intéressé se présenta au commissariat central de Nouméa, munie d’un certificat médical constatant un « traumatisme testiculaire gauche avec fracture du testicule » qui prévoyait une ITT de sept jours, et déposa une plainte avec constitution de partie civile contre le capitaine H. en tant que représentante légale de son fils mineur.
15. A la suite d’un réquisitoire introductif du 18 avril 1997 contre le capitaine H. et le requérant, visant des faits de violences volontaires commises par une personne dépositaire de l’autorité publique d’une part, et de rébellion d’autre part, une information fut ouverte de ces chefs.
16. Le requérant subit un examen échographique le 19 juin 1997 qui fit état de :
« - Nette asymétrie des dimensions des testicules avec
- à droite un testicule normal de 40 mm de longueur 24 mm de large
- à gauche un testicule de moindre volume mesurant 25 mm de long 15 mm de large (...) ».
17. Dans un autre procès-verbal daté du 27 août 1997, le capitaine H. s’exprima ainsi :
« Je maintiens aujourd’hui mes déclarations dont vous avez donné lecture. Cet évènement est déjà loin, mais la façon de procéder utilisée par moi avec [le requérant] est habituelle : quand les affaires sont traitées par le groupe, comme je ne peux traiter moi-même chaque affaire, je les supervise. Quand je vois que les choses traînent, c’est-à-dire que les suspects nient l’évidence, je les prends en aparté dans mon bureau pour les raisonner. C’est ce que j’ai fait avec le [le requérant]. (...) Je n’ai pas donné de coup de poing dans le dos au requérant pour le faire rentrer dans mon bureau, il est passé devant moi, et il s’est assis sur la chaise. J’ai fermé la porte derrière lui, et j’ai fait le tour pour m’asseoir derrière mon bureau. J’ai repris l’affaire, en lui disant que cela ne servait à rien de nier l’évidence, que ses copains l’avaient balancé, et qu’il resterait en garde à vue, en faisant perdre du temps à tout le monde. Il a commencé à s’agiter, il tapait du pied, il a fini par se lever en disant qu’il ne voulait pas rester ici, et à se diriger vers la porte. (...) Voyant qu’il se dirigeait vers la porte, je l’ai attrapé par l’épaule pour le retenir en lui disant : tu vas où ? Il s’est retourné vers moi, et en faisant cela il a esquissé un coup de poing, en tout cas j’ai eu l’impression qu’il esquissait un coup de poing. Je me suis senti menacé et j’ai immédiatement riposté ; avant de riposter j’ai paré le coup et j’ai porté un coup de genou. C’est une riposte globale instinctive. Rivas s’est plié en deux mais il n’est pas tombé parterre, il s’est assis sur une chaise (...)
Il est vrai que les choses se sont passées très vite quand j’étais dans mon bureau avec [le requérant], je n’ai pas eu le temps de le raisonner, puisqu’il s’est énervé tout de suite. (...)
Expliquez moi pourquoi j’aurais eu ce comportement à son égard, pourquoi l’aurais-je frappé sans qu’il ait rien fait ? Si c’était le cas, il vaudrait mieux que je quitte la police. Mon intention était bien de le raisonner. (...) Je tiens d’abord à dire que je n’ai pas visé les testicules, je n’ai rien visé du tout cela a été une riposte. Vous me demandez pourquoi je n’ai pas riposté différemment, par exemple en le repoussant contre la porte ou en lui donnant une claque, une riposte ne se raisonne pas, c’est quelque chose qui part comme ça, un réflexe.
[Le requérant] a déclaré que chaque fois que vous le voyez, vous le prenez à part pour le questionner, et quand il ment, vous lui tapez sur les genoux avec une matraque et vous lui donner des claques sur la tête. Est-ce exact ? Bien sûr que non ce n’est pas vrai. [Le requérant] dit également que plusieurs de ses copains ont également été frappés par vous. Ce sont toujours les mêmes qui disent ça, ils n’ont d’ailleurs que ce moyen de défense, c’est pour cela qu’ils nous mettent en cause en disant qu’on les frappe, ou par exemple en nous insultant par des inscriptions dans les cellules des geôles, ou même ailleurs . (...) »
18. Le 25 novembre 1997, le juge d’instruction en charge de l’affaire entendit deux témoins. Les procès-verbaux établis à cette occasion relatèrent l’interrogatoire du premier témoin comme suit :
« Le juge : [le requérant a déposé plainte contre le capitaine H. pour un coup qui a entraîné des séquelles pour lui. Il a déclaré que ses copains lui avaient dit qu’ils avaient également été tapés par H. Notamment vous auriez été obligé sur ordre de H. de taper L.C. sur la tête avec une petite masse en caoutchouc. Pouvez-vous nous expliquer quel a été le comportement du capitaine H. à votre égard ?
Le témoin : il est arrivé plusieurs fois que le capitaine H. me frappe sur le corps, aussi bien sur les cuisses que dans le dos, les bras, avec une petit matraque, ou avec une masse en caoutchouc.
C’est vrai qu’une fois, H. m’a obligé à frapper L.C. avec sa petite masse en caoutchouc, parce qu’on ne voulait pas dire la vérité. Et L.C. devait frapper un autre mec qui était avec nous. (...) L. C. a été obligé de le faire pour ne pas être bombardé par H. avec la masse.
Quand il nous frappe c’est toujours dans le cadre des interrogatoires pour nous faire avouer ; ça se passait souvent quand il était seul dans le bureau, ou avec un autre inspecteur dont je ne connais pas le nom.
Il n’y a que H. qui m’ait astiqué. Mais il n’a pas fait seulement à nous, il fait ça à tout le monde. Il y a des gars en prison avec moi actuellement qui m’ont dit qu’ils avaient été frappés par H. Actuellement je suis en prison pour vol, j’ai pris huit mois, je sors bientôt (...) ».
Quant au deuxième interrogatoire, il est relaté dans les termes suivants :
« Le juge : [le requérant] a déposé plainte contre le capitaine de police H. (...) Il a déclaré que ses copains lui avaient dit qu’ils avaient également été tapés par H. Notamment vous auriez été obligé sur ordre de H. de taper L.C. sur la tête avec une petite masse en caoutchouc. Pouvez vous nous expliquer quel a été le comportement du capitaine H. à votre égard ?
Le témoin :
Il est exact que les interrogatoires avec H. se passaient mal. Souvent pour nous faire avouer, il me frappe avec ses poings ou ses pieds sur le corps ou sur la figure. Il aime bien aussi nous tirer les cheveux, c’est vrai qu’on a souvent les cheveux longs. Je me souviens d’une fois où j’avais été interpellé pour une affaire de canabis, il m’a demandé avec quelle main j’avais fumé, je lui ai dit la main droite, il m’a demandé de la mettre sur le bureau, il m’a donné un coup sur la main avec un genre de petit maillet en plastique.
(à suivre)
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