J’invite les lecteurs à écouter la présentation du Professeur B.Riou, qui dirige le service des urgences de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, Paris : « Arrêt cardiaque réfractaire : prélèvement d’organes ? » Cette présentation a eu lieu à l’occasion du congrès annuel des anesthésistes et réanimateurs (automne 2007). Lien :
http://www.sfar2008.com/podcast.html
Qu’en est-il de la fin de vie d’un patient potentiel donneur d’organes ? Le patient dont on va prélever les organes est :
1.-) soit maintenu en vie artificielle (l’agonie est donc prolongée, dans le « seul » but de récupérer les organes)
2.-) soit réanimé, également dans le « seul » but de récupérer les organes.
Deux états bien distincts permettent le prélèvement d’organes sur patients « décédés » : l’état de mort encéphalique, et celui d’un arrêt cardio-respiratoire persistant. Dans le cas de l’état de « mort encéphalique », le cerveau est détruit, mais le coeur continue à battre pour quelques heures ; dans le cas de patients « décédés en état d’arrêt cardio-respiratoire persistant », le coeur ne fonctionne plus, mais on ne sait pas avec certitude si le cerveau est détruit ou non.
1.-) Au sujet du premier cas de figure (maintien en vie artificielle) :
A-) Voir la réflexion du Dr. Martin Winckler, dans son article intitulé : « Le paternalisme médical français interdit tout débat sur l’euthanasie » (13/03/2007) : « Prélèvement d’organes et maintien médical légal d’un corps en vie artificielle » :
"Le prélèvement d’organes pose (...) une question éthique rarement abordée avec la famille. La législation actuelle permet à toute personne qui le désire d’autoriser le prélèvement de ses organes en cas de coma dépassé à ’électroencéphalogramme plat’ (en état de mort cérébrale) fût-ce contre l’avis de la famille. Il est donc possible, de son vivant, de donner par écrit aux médecins l’autorisation de disposer de son corps à un moment où l’on ne sera plus en mesure de prendre cette décision en toute lucidité.
Don et prélèvements d’organes sont présentés par les services de transplantation comme étant louables et susceptibles de sauver des vies, mais ils taisent (ou feignent d’ignorer) que le médecin va choisir de maintenir en vie un patient ’en état de mort cérébrale’ afin de prélever ses organes. Maintenir un patient en vie artificielle pour lui retirer le coeur, les poumons, le foie ou les deux reins est une procédure qui n’est pas dénuée de sens symbolique, même si c’est pour tenter de prolonger la vie d’un autre patient.
Certes, la ’mort cérébrale’ est la condition légale préalable à tout prélèvement, mais elle ne donne pas pour autant, à elle seule, toute liberté au médecin de cesser ou de prolonger la réanimation de tous les patients sous machine... C’est la volonté clairement exprimée du patient qui détermine ces gestes.
On ne comprend pas bien pourquoi le maintien artificiel d’une vie pour les prélèvements d’organe serait justifié parce que le patient l’a autorisée, tandis que la mort accompagnée d’un patient lucidement fatigué de vivre et qui en émet le désir serait, en revanche, inacceptable.
La volonté de mourir à une heure choisie par le médecin (en fonction des nécessités du prélèvement) ne serait-elle recevable que pour les donneurs d’organes en mort cérébrale ? La mise à disposition du corps ne serait-elle justifiable que par l’existence d’un ’bien supérieur’ ? On retrouve ici l’aversion séculaire des pays catholiques (même lorsqu’ils se déclarent laïcs) envers toute forme de mort volontaire.
Aux yeux du corps médical, la décision d’un patient sain qui choisit de faire un don d’organes a beaucoup plus de valeur que celle d’un patient gravement atteint qui désire ne pas continuer à vivre.
Aux yeux de l’Eglise catholique, les greffes d’organes sont acceptables ; la mort volontaire ne l’est pas. Coïncidence ?" (source : http://martinwinckler.com/article.php3?id_article=875)
B.-) Le premier cas de figure ne se présente pas dans le cas des prélèvements « à coeur arrêté », où il s’agit d’une personne en situation d’arrêt cardio-respiratoire persistant, et dont le décès a été prononcé, suite à l’échec des tentatives de réanimation visant à sauver cette personne.
2.-) Au sujet du deuxième cas de figure (patient réanimé dans le « seul » but de prélever des organes ou greffons viables) :
A-) Le Professeur Louis Puybasset, Unité de NeuroAnesthésie-Réanimation, Département d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris, au sujet du problème de la réanimation des patients en état de mort encéphalique en vue du prélèvement de leurs organes (propos recueillis en septembre 2005) :
« (...) cette réanimation est limitée dans le temps et (...) elle est douloureuse pour les soignants. Si nous faisons cela, ce n’est pas pour faire souffrir une famille mais pour sauver d’autres vies. (...) Des receveurs d’organes (...) doivent leur vie au dévouement de ces médecins, de ces infirmières et des familles de donneurs (...). Madame, vous-même ou un de vos proches sera peut-être un jour receveur. Je ne doute pas que cela changera alors votre vision de cette médecine qui est une des plus belle qui soit car elle donne véritablement la vie et exprime ce qu’est la solidarité humaine contre l’égoïsme et le repli sur soi."
Dans le cas des prélèvements « à coeur arrêté », qui ont repris en France depuis 2006, il s’agit de personnes ayant fait un arrêt cardiaque, et qui vont être réanimées dans le but de récupérer les organes.
Rappelons les trois étapes qui mènent au prélèvement « à coeur arrêté », suite à une situation d’arrêt cardiaque :
a) La réanimation cardio-pulmonaire constitue la première étape. Elle doit être au moins de 30 minutes. Cette réanimation a pour but de sauver la vie du patient. Entre l’arrêt cardio-pulmonaire et le début de la réanimation cardio-pulmonaire, il ne faut pas que plus de 30 minutes s’écoulent.
b) Pendant cinq minutes, les tentatives de réanimation cardio-pulmonaire infructueuses, qui ont eu lieu durant 30 minutes, sont arrêtées. Ce court laps de temps, ces cinq minutes, permettent de constater le décès. Ces cinq minutes sans réanimation cardio-pulmonaire (RCP) sont nécessaires, afin de vérifier que sans réanimation, il n’y a pas de retour à une respiration spontanée. L’électrocardiogramme doit être plat ou agonique. Ce tracé agonique peut durer plusieurs heures. C’est au cours de ces cinq minutes que le certificat de décès va être signé.
c) Suite au constat de décès, une autre réanimation va être entreprise, cette fois-ci dans le but d’assurer la conservation des organes du patient « candidat » au prélèvement d’organes. Cette seconde réanimation est invasive. Le décret du 2 août 2005 autorise d’ailleurs les équipes médicales à mettre en place des moyens de préservation des organes en attendant l’entretien avec les proches. En d’autres termes : le corps médical a le droit de pratiquer ces mesures invasives qui ne sont plus dans l’intérêt du patient - et ce, avant l’entretien avec la famille afin de savoir si ce patient s’est positionné pour ou contre le don de ses organes à sa mort. On peut donc se poser la question :
« Quelles sont les conditions de respect du corps de la personne juste après son décès lorsque l’on pratique sur lui des gestes techniques de nature invasive ? Comment les réanimateurs vivent-ils la dualité de leur mission lorsqu’ils assurent par tous les moyens une circulation sanguine d’abord sur une personne à qui ils espèrent redonner vie, puis sur le corps de la même personne au moment même où ils renoncent à cet espoir ? Doit-on craindre la survenue de conflit d’intérêt à cet égard ? » C’est ce qu’a fait le Dr. Marc Guerrier, Adjoint au directeur de l’Espace éthique / AP-HP, Département de recherche en éthique Paris-Sud 11, dans son article : « Les Prélèvements ’à coeur arrêté’ : enjeux éthiques », 15 novembre 2006.
Rappelons que la loi Léonetti d’avril 2005, dite loi sur « la fin de vie », ne concerne pas la prise en charge des patients « candidats » au don d’organes à leur mort. Ces patients donneurs d’organes étant « soignés » pour leurs organes et non plus pour eux-mêmes ne sont plus considérés comme des personnes, alors que la loi Léonetti vise à défendre les intérêts des patients en fin de vie, afin qu’ils reçoivent les meilleurs soins possibles (pas d’acharnement thérapeutique). Prolonger un patient en vie artificielle et le faire mourir à une heure déterminée par l’équipe chirurgicale qui procédera au prélèvement des organes, ou encore réanimer un mort dans le but de récupérer ses organes ne peut pas être considéré comme relevant de la loi Léonetti. De telles pratiques se situent d’ailleurs à l’opposé de cette loi, mais poursuivent un bien dit « supérieur » : le recyclage d’un individu à l’autre afin de mettre des greffons à la disposition des patients en attente de greffe.
Maintenant, regardons les chiffres concernant l’activité des transplantations d’organes : on constate une explosion du nombre de patients en attente de greffe entre 2005 et 2006.
« En 2006, 12.411 personnes ont eu besoin d’une greffe d’organe. En effet, le nombre de patients restant inscrits en liste d’attente au 31 décembre 2005 était de 6.978, auxquels se sont ajoutés 5.433 patients nouvellement inscrits sur la liste nationale d’attente au cours de l’année. » Source : Agence de la biomédecine ; site internet de France Adot : ==> http://www.france-adot.org/A149-hausse-de-l-activite-de-prelevement-et-de-greffe-en-2006.html
Le site de l’INSERM communique les chiffres suivants : Survie : "95 pour cent de survie à un an ; 55 à 60 pour cent de survie à 5 ans. Coût : un insuffisant rénal = 100.000 Euros par an ; un greffé = 20.000 Euros par an. Or, un rejet peut apparaître au bout de 5, 10, 15 ans, et le patient ne pas sortir de la liste des patients en attente de greffe ..." Source : « Les limites de la pratique des prélèvements sur les personnes décédées » (2004). Auteur : Docteur Marie-Dominique Besse. Si « le nombre de patients restant inscrits en liste d’attente au 31 décembre 2005 était de 6.978, auxquels se sont ajoutés 5.433 patients nouvellement inscrits sur la liste nationale d’attente au cours de l’année [2006] », on se demande commment on peut arriver au constat suivant : « Chaque année, le nombre de personnes inscrites en liste d’attente est plus élevé (+ 4 pour cent en 2006) » ?! Si « l’activité de greffe a augmenté de 4 pour cent en 2006 », alors il ne devrait pas y avoir pénurie, puisqu’il y a augmentation de 4% d’un côté comme de l’autre... Or bien entendu, ce n’est pas le cas. La pénurie de greffons subsiste, elle est même renforcée par cette explosion du nombre de patients inscrits sur la liste nationale des malades en attente de greffe. D’après les chiffres indiqués (6.978 patients en attente de greffe en 2005) et 5.433 patients nouvellement inscrits après le 31/12/2005), il y a une augmentation de 77% du nombre de patients en attente de greffe, entre 2005 et 2006. Dans le même temps, « l’activité des greffes a augmenté de 4% en 2006 » (toujours d’après les chiffres de France ADOT).
D’autre part, la formulation : « patients nouvellement inscrits sur la liste nationale d’attente au cours de l’année [2006] » ne permet pas de savoir où se situent les patients qui ne sortent pas de la liste d’attente, car la greffe dont ils ont déjà pu bénéficier n’a pas marché pour eux (rejet). Combien de patients sont-ils dans ce cas, et quel pourcentage cela fait-il, sur le nombre total de patients en attente de greffe ?
Si on pouvait prélever les organes de tous les patients morts, le problème de la pénurie de greffons serait résolu. Or Un article scientifique de juin 2007, intitulé « Seeking an ethical and legal way of procuring transplantable organs from the dying without further attempts to redefine human death », montre qu’une définition légale de la mort, dans le but de permettre l’activité des prélèvements d’organes sur donneurs « décédés », se heurte à des contradictions insurmontables. Il y aurait un conflit insurmontable entre la nécessité de laisser passer suffisamment de temps pour que le décès d’un donneur d’organes potentiel puisse être raisonnablement prononcé, et la nécessité de prélever des organes (greffons) viables, ces organes ou greffons devant être prélevés le plus tôt possible. D’où l’adage anglo-saxon exprimant ce dilemme : « as dead as necessary, as alive as possible » : le donneur potentiel d’organes, dont on dit qu’il est décédé, doit en fait être aussi mort que nécessaire (aux yeux de la loi) tout en étant aussi vivant que possible (pour que les organes prélevés soient transplantables). L’article propose de ne plus parler de donneurs morts (s’affranchir de la « règle du donneur mort »), mais de donneurs mourants. Tout en posant la question de savoir si un tel « changement de paradigme » serait accepté au sein de la société (la question de savoir si ce changement rencontrera l’acceptation sociétale : la société permettra-t-elle le prélèvement des organes sur des donneurs mourants ?), l’article insiste sur les mérites d’une information transparente et honnête sur le don d’organes (ne plus dire que les donneurs sont morts) ...
Lien vers l’article en anglais :
http://www.pubmedcentral.nih.gov/articlerender.fcgi?artid=1920527
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17/11 22:19 - caraïbe
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