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Commentaire de Dominique Chapuy

sur Aujourd'hui c'est quoi être libéral


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SDM 94 Dominique Chapuy 22 novembre 2007 00:20

Pour compléter la reflexion, voici un article que j’avais écrit il y a deux ans sur l’utopie démocratique :

La violence autrefois physique est désormais économique : les inégalités croissantes entre pays riches et pauvres et, au sein des pays, entre l’élite qui détient le capital et le reste de la population ne cessent de grandir. La mondialisation économique sur un mode capitaliste « libéral » en est le principal moteur actuel.

Face à cette violence, l’idéal démocratique où les citoyens décident ensemble de leurs règles de vie commune et de leur avenir est redevenu une utopie. Cette utopie a été efficace pour réduire la violence physique entre les hommes au sein des états nation, et dans une moindre mesure entre les états nations. Elle a abouti à l’éradication de la violence physique entre individus ou groupe d’individus en réservant cette violence aux forces militaires et de police dans le cadre de la loi.

Cette utopie démocratique s’incarne par un certain nombre de principes opérationnels qui ne sont jamais totalement respectés mais qui permettent de réduire de façon drastique les possibilités de pouvoir absolu et d’aliénation de l’homme par l’homme. Ils sont simples et peuvent se résumer aux quatre suivants :
-  tout détenteur de pouvoir doit être élu sur pour un mandat et une durée délimitée par les personnes sur lesquelles il exerce ce pouvoir
-  tout pouvoir nécessite des contres pouvoirs et doit régulièrement rendre compte de son mandat
-  les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires doivent être strictement séparés
-  la liberté d’expression et d’information doit être respectée

Aujourd’hui, avec les révolutions en matière de technologie de l’information, le cadre spatial de l’état nation n’est plus suffisant pour garantir le bon fonctionnement du système démocratique. La sphère économique et financière est devenue transnationale, les individus, autrefois membres d’une communauté ancrée dans un territoire défini, participent désormais de façon concomitante à de nombreuses communautés diverses (ces communautés peuvent être liées à son espace physique comme la commune, jusqu’à un espace supra national comme l’Europe ou le monde, son entreprise qui peut être une multinationale, ses cercles amicaux, associatifs ou encore des communautés virtuelles sur Internet sans attache spatiale,...)

Dans toutes ces communautés des rapports de pouvoir apparaissent naturellement, et l’état nation ne peut garantir l’absence de violence ou de prise de pouvoir absolu ou oligarchique dans ces communautés. Ceci n’aurait peu de conséquences si ces communautés étaient de taille réduite et n’avait pas de pouvoir sur les hommes n’en faisant pas partie. Or les entreprises dans leur course effrénée à la taille, ont aujourd’hui de plus en plus de pouvoir sur le quotidien de millions d’hommes notamment quant elles atteignent des positions quasi monopolistiques comme Microsoft par exemple.

Si l’on observe le fonctionnement du pouvoir dans l’entreprise au regard des 4 principes démocratiques définis ci dessus, il est clair que le fonctionnement est fondamentalement non démocratique, on peut la plupart du temps le qualifier de féodal. En effet l’équipe dirigeante au sein de l’entreprise est généralement adoubée par les actionnaires majoritaires, mais elle n’est pas élue ni n’a de compte à rendre aux salariés ni aux autres parties prenantes que sont les clients, les fournisseurs ou les représentants des communautés sur lesquelles l’entreprise a du pouvoir (commune pour une installation industrielle,...). Quant à l’égalité des salariés, la séparation des pouvoirs exécutifs législatifs et judiciaires ou la liberté de l’expression et de l’information, qui aujourd’hui oserait l’imaginer...

Ceci est en partie du au fait que le système économique libéral dominant est basé sur la guerre permanente entre les entreprises et que cet état de guerre favorise le pouvoir féodal. En effet celui ci, par sa structure hiérarchique centralisée, est beaucoup plus réactif aux évolutions extérieures. Que les entreprises modernes évoluent de plus en plus vers des réseaux ou des structures soi disantes décentralisées ne change pas grand chose au système de pouvoir. L’allégeance peut être aussi forte que lien soit contractuel (par le salariat ou vis à vis de structures de sous traitance) ou qu’il s’effectue par la détention de capital.

Au siècle dernier les différents essais de suppression de la propriété privée et de transfert de la propriété des moyens de production à l’état au travers des différentes expériences communistes ont été un fiasco. Elles n’ont fait que remplacer la violence économique par la mise en place de systèmes totalitaires conduisant à l’annihilation de la liberté individuelle.

Comment donc réduire cette violence économique mondiale en respectant la liberté individuelle ?

L’état nation a trouvé ses limites, il reste bien évidement indispensable dans son rôle de régulateur et de redistributeur, mais il ne peut plus faire face à la puissance des investisseurs internationaux et des multinationales. Une première piste est donc bien la mise en place de régulation au niveau supra national comme avec la construction de l’Union Européenne ou au niveau mondial avec l’OMC. L’enjeu aujourd’hui est de rendre ces constructions beaucoup plus démocratiques qu’elles ne le sont. L’Europe en prend très timidement le chemin même si elle ne s’éloigne pas encore suffisement des principes capitalistes et si son budget de redistribution est ridicule au regard des enjeux (1% du PNB des états nations). Au niveau mondial nous en sommes aussi au balbutiement d’une construction démocratique permettant des régulations notamment avec l’OMC, mais il serait temps d’y affirmer un minimum de principes non capitalistes comme le droit inaliénable des peuples à l’autosuffisance alimentaire. Quant au système de redistribution il est quasiment inexistant et commence seulement à être envisagé (la mise à l’agenda de la taxe Tobin sur les transactions financières ou la taxe sur les billets d’avions ou les ventes d’armes en sont les prémices)

A ce jour, ces systèmes ne font qu’encadrer la violence économique et ne permettent pas de la réduire. Pour cela il faut s’attaquer au cœur du principe capitalocratique. Je parle ici de capitalocratie car nous sommes en effet en face d’un système réel de pouvoirs organisés au même titre que la démocratie et non de simples principes philosophiques désincarnés comme le laisserait entendre le mot capitalisme. Pour être clair ; aujourd’hui en 2007, nous ne vivons pas dans un monde démocratique mais d’abord dans un monde capitalocratique ou existe quelques états nation démocratiques.

La capitalocratie est basé sur un principe simple : la liberté absolue et sans limite du détenteur de capital. Quand G W Bush dit qu’il est le défenseur de la liberté et qu’il veut pour les états unis construire une nation de propriétaires c’est parce qu’il est d’abord un capitalocrate même s’il s’accommode d’un système politique démocratique. Ce principe politique, dans un monde fini comme l’est notre planète est générateur d’une violence absolue et sans limite. Il engendre une compétition mortifère entre les individus pour détenir le plus de capital possible au détriment des autres. Il tend à vouloir annexer toutes les activités humaines pour les rendre marchandes et donc « capitalisables ». Au sein des collectivités humaines que sont les entreprises et notamment les sociétés privées à but lucratif il favorise une structure de pouvoir féodale dédiée à la recherche exclusive du profit. Je ne parle même pas ici des dégâts que ce système engendre sur l’environnement ou l’hypothèque qu’il s’octroie sur le monde laissé aux générations futures...

Dans un monde développé qui baigne dans une culture politique démocratique depuis deux siècles, où 80 % d’une classe d’age à un niveau d’éducation secondaire, ces « dégâts collatéraux » rendent ce système de plus en plus illégitime. Face à ces dégâts et en réaction aux pressions extérieures, les entreprises capitalistes ont inventé ses dernières années un certain nombre de concepts et de pratiques pour les rendre acceptables. Ces concepts qu’ils se nomment entreprise citoyenne, développement durable ou démarche de qualité totale ne sont que des caches sexes qui ne remettent pas en cause la structure du pouvoir foncièrement antidémocratique.

Deux pistes aujourd’hui ne sont pas explorées et me paraissent indispensables pour réduire la violence économique de notre monde capitalocratique. Ces deux pistes reposent sur les principes de la démocratie :

Tout d’abord favoriser les entreprises à but non lucratif et ayant une structure de pouvoir interne démocratique. Le statut d’entreprise à but non lucratif n’empêche pas la création de valeur ajoutée pour la société, au contraire il permet de mieux mobiliser l’ensemble des membres vers la réelle raison sociale de la structure qui aujourd’hui est secondaire par rapport au désir de profit. Il suffit de voir l’engagement et l’efficacité des membres des ONG et des entreprises coopératives pour en avoir la démonstration. Le respect des principes démocratiques implique que les membres de l’entreprise, qui sont le collectif humain réellement engagé, nomment les dirigeants au même titre que les actionnaires qui engagent du capital. Il implique aussi la séparation des pouvoirs exécutifs législatifs et judiciaires internes et une réelle liberté d’expression et d’information.

A partir de ces principes il est nécessaire de redéfinir les statuts des entreprises, leur gouvernance et même le statut de salarié. C’est tout un champ de réflexion et d’expérimentation qui est à ouvrir, notamment quels types de dispositifs en fonction des tailles ou d’autres critères comme le secteur d’activité, on ne peut évidemment pas mettre en place les mêmes systèmes dans une entreprise de 10 personnes et une autre de 100 000, même si les principes directeurs peuvent être les mêmes. Dans ce cadre les politiques publiques qu’elles soient locales nationales ou supra nationales pourraient soutenir ce mouvement en conditionnant toutes les aides publiques à la nature de la structure du pouvoir dans les entreprises. Le deal serait clair : « messieurs les actionnaires, vous êtes libres de garder un pouvoir total et discrétionnaire dans vos entreprises, mais dans ce cas ne comptez pas sur les aides de la collectivité »...

Ceci étant cette piste ne pourra pas à elle seule réduire la violence économique. Celle ci est fondamentalement soutenue par le désir irrépressible du pouvoir absolu qui s’incarne aujourd’hui par la détention illimitée de capital. Il est particulièrement notable que la seule activité humaine qui ne soit pas limitée soit la thésaurisation de capital. Or dans un monde fini cette absence de limite engendre forcement une violence car cette thésaurisation individuelle se fait forcement au détriment des autres. En effet, dans une économie avec un taux de croissance et une inflation de l’ordre de 2 %, la recherche de rendement de 15 % se fait forcement aux détriments des autres, compétiteurs, sous traitants et au bout du compte salariés.

Comme la solution d’étatiser les biens est liberticide, une solution serait de fixer un plafond à partir duquel il deviendrait illégal pour un individu d’accroître sa richesse. On pourrait parfaitement mettre ce plafond sans forcement limiter les revenus, simplement chaque année les biens supérieurs à cette limite devraient être redistribués à des structures publiques ou privées sans buts lucratifs et avec lesquelles le donateur n’a aucun lien de quelque nature que se soit. Ce principe accompagné par la démocratisation de toute collectivité humaine réduirait mécaniquement la violence économique. Les entreprises n’auraient plus à garantir des retours sur investissements délirants de 15 % vis à vis de leurs actionnaires, la course à la taille et au profit à tout prix n’aurait plus de raison d’être.

Ceci ne remet absolument pas en cause la liberté de l’entrepreneur privé, mais l’oblige s’il souhaite développer son activité à convaincre non seulement les actionnaires qui engagent leur capital, mais aussi l’ensemble des autres partenaires engagées dans l’entreprise qu’il leur propose. Ces deux pistes auraient aussi un effet bénéfique sur la pérennité des entreprises d’une certaine taille car celles ci ne seraient pas dépendantes d’une petite oligarchie constituée des principaux dirigeants et des actionnaires majoritaires qui par structure est instable.

Il ne restera plus qu’à trouver des dérivatifs pour les drogués de la puissance et du pouvoir absolu, on peut désormais leur réserver des espaces virtuels où ils pourront s’adonner librement à toutes les compétitions possibles et imaginables sans que cette volonté de puissance affecte les autres êtres humains dans l’espace réel...


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