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Commentaire de Taïeb Moalla

sur Un voile tombe sur la liberté


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Taïeb Moalla (---.---.240.113) 4 février 2006 17:25

La Presse (Montréal) Forum, samedi 4 février 2006, p. A26

De mauvais goût, mais...

Taïeb Moalla

L’auteur est journaliste indépendant. Il réside à Québec.

Les 12 caricatures, publiées le 30 septembre dernier par le quotidien conservateur danois Jyllands- Posten, sont insultantes pour les musulmans. L’une d’elles, montrant Mahomet avec un turban en forme de bombe dont la mèche est allumée, cultive l’amalgame entre l’islam et le terrorisme. Elle choque ceux qui croient profondément que toute effigie du prophète relève de l’idolâtrie. Si le but premier du dessinateur était de faire rire, il a clairement raté son coup. Cela dit, il convient de poser les seules questions qui vaillent. Depuis quand le mauvais goût est-il devenu un crime ? Le nécessaire respect des religions peut-il justifier que l’on renonce à des principes tout aussi fondamentaux que la liberté d’expression et de création ?

Le climat passionnel autour des dessins rend difficile toute tentative de dialogue rationnel. Après tout, les protestataires ont des arguments solides pour justifier leur colère.

Le « deux poids deux mesures » de la communauté internationale est bien réel. La France adopte une « loi sur les signes religieux dans les écoles publiques », généralement perçue comme visant à priver les musulmanes d’exercer librement les principes liés à leur foi. En moins d’un an, les puissances occidentales ont obligé la Syrie à appliquer une décision onusienne, alors qu’Israël viole allégrement des dizaines de résolutions du même organisme, depuis une quarantaine d’années. Sans parler des États-Unis qui bombardent le Soudan et l’Afghanistan, occupent l’Irak, pratiquent la détention illégale et la torture à Guantanamo et à Abou Ghraib, puis menacent la Syrie et l’Iran de sanctions économiques et de frappes militaires.

Sans vouloir minimiser ces données, il convient de revenir aux faits. La publication des caricatures est vieille de quatre mois. S’il y a effectivement eu quelques protestations au moment de la parution du journal, l’affaire n’a été relancée qu’à la suite de la demande, faite le 31 janvier par les ministres de l’Intérieur des pays arabes, de « sanctionner fermement » les auteurs des dessins.

Osons donc une hypothèse. Ces ministres réunis à Tunis représentent pour la plupart des régimes illégitimes, arrivés au pouvoir grâce à l’héritage ou à des élections truquées. Le travail de ces dignitaires consiste, pour l’essentiel, à réprimer les voix discordantes et à brimer toute tentative de libre expression. En jouant sur la fibre religieuse, ces représentants étatiques tentent uniquement de camoufler l’échec politique, économique et social des régimes qu’ils représentent. Quoi de mieux qu’une polémique portant sur l’islamophobie des « méchants » Occidentaux pour détourner le peuple de ses velléités contestataires ?

Un exemple édifiant

Prenons l’exemple de la Tunisie. Voici le pays le plus séculier du monde arabe. Tout en restant présente, la religion ne guide pas tous les pas des citoyens dans leur vie quotidienne. Dans cette contrée, deux acteurs politiques ont réagi de façon prévisible. Le mouvement islamiste (non reconnu) a condamné les caricatures offensantes. Les autorités, coutumières des réponses sécuritaires, ont tout simplement choisi de censurer le numéro du quotidien France Soir qui reprenait les dessins.

Par contre, les mouvements démocratiques et laïques ont observé un silence aussi prudent qu’assourdissant. Alors que cette élite condamne, depuis 50 ans, la mainmise de l’État sur les affaires publiques et les différentes interdictions faites aux journaux de la place, personne n’a osé s’élever contre la saisie d’un journal. Pourtant, chacun sait que cette mesure est totalement inutile (et populiste). N’importe quel quidam peut consulter les dessins incriminés, sur Internet.

Cet unanimisme de façade entre les acteurs politiques tunisiens (cet exemple reflète parfaitement la situation dans les autres pays arabes et musulmans) est extrêmement dangereux. Il conforte une majorité de musulmans dans un préjugé tenace voulant que tous leurs malheurs viennent de l’étranger.


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